Rédigé par 14 h 39 min CDs & DVDs, Critiques

“A la manière d’une invention italienne”

Après une exploration heureuse du délicat Charles Levens, Michel Laplénie et Sagittarius reviennent à leurs amours premières, la musique allemande du début du XVIIe (rappelons que le nom de l’ensemble vient de la latinisation de Schütz), avec le plus méconnu des trois S de la musique allemande (Schütz, Schein et Scheidt).

Johann Hermann SCHEIN (1586-1630)

Opella Nova — Fontana d’Israël

 

schein_sagittariusDagmar Saskova, Sophie Pattey (soprani), Pierre Sciama (alto), Olivier Fichet (ténor), Marcos Loureiro de Sà (basse). 

Ensemble Sagittarius
Direction Michel Laplénie

56’, Hortus, 2010.

[clear]Après une exploration heureuse du délicat Charles Levens, Michel Laplénie et Sagittarius reviennent à leurs amours premières, la musique allemande du début du XVIIe (rappelons que le nom de l’ensemble vient de la latinisation de Schütz), avec le plus méconnu des trois S de la musique allemande (Schütz, Schein et Scheidt).

Ce qui est incroyable dans cette musique, c’est qu’elle se trouve à la frontière entre la musique allemande de la même période, et le Stile nuovo italien auquel Schein s’est beaucoup intéressé, ce qui se ressent tout de suite dans la suavité qui baigne l’enregistrement. On sent parfois un peu de la rudesse épurée de la liturgie protestante poindre malgré tout (le début de Wende dich, Herr, und sei mir gnädig, où le choral vient tout de suite à l’esprit, avant de basculer vers une richesse polyphonique incroyable d’entremêlement de voix, ou le Da Jakob vollendet hatte, très sombre, grave), mais cela en est d’autant plus saisissant — tout l’enregistrement est sur le fil de cette belle oxymore baroque.

Cette oxymore est d’autant plus perceptible dans le choix de Michel Laplénie de respecter les conseils du compositeur, qui préconisait la présence d’un basson dans la basse continue. Se rencontrent ainsi la douce et lancinante viole de gambe (qui soutient souvent seule les voix de dessus), l’entraînant théorbe, les grandes orgues planantes de l’église de Saint-Etienne-de-Baïgorry (encore un judicieux choix, permettant un jeu plus riche qu’un simple petit positif) et la truculence ample du basson qui vient un peu tout bousculer — avec heur et justesse. Le continuo est d’ailleurs fort intéressant, alternant des moments très calmes, presque mélancoliques (notamment dans les soli de la viole de Julia Griffin): cf. Da Jakob…, avec une grande force entraînante, dans les tutti, qui vient entraîner les chanteurs dans une autre énergie avec habileté.

Les voix se marient gracieusement, avec deux soprani aériennes qui dominent l’ensemble de leurs voix souples — car ce sont les voix de dessus qui construisent musicalement ces motets madrigalesques —, soutenues par une basse qu’on aimerait parfois un peu plus présente, mais qui sait chatouiller heureusement nos oreilles lorsqu’on la perçoit pleinement de son timbre grave.

Un seul regret: que l’on n’entende qu’aussi peu le ténor Olivier Fichet, dont l’ampleur, mais cependant la légèreté si douce et tendre semblent épouser cette musique comme rarement. Le dialogue entre sa voix délicate et le violon dans l’émouvant Erbarme dich mein est sans doute l’un des moments les plus précieux du disque.

Charles Di Meglio

Technique : prise de son précise, riche, ample, permettant de bien distinguer les différentes voix.

Étiquettes : , , , , , Dernière modification: 9 novembre 2020
Fermer