Rédigé par 16 h 22 min CDs & DVDs, Critiques

Aix vaut bien une messe !

Voici le dernier volet du voyage entrepris par les Passions après le Requiem puis les Lamentations (Ligia) à travers l’œuvre de Jean Gilles qu’hélas peu d’interprètes explorent avec autant de curiosité et de constance que Jean-Marc Andrieu depuis les incursions d’Hervé Niquet.

Jean GILLES (1668-1705)

Messe en ré
Te Deum

Anne Magouët (dessus)
Vincent Lièvre-Picard (haute-contre)
Jean-François Novelli (taille)
Alain Buet (basse)

Cécile Dibon-Lafarge, dessus – Cyrille Gautreau & Christophe Sam, basses
Chœur de chambre Les Eléments (dir. Joël Suhubiette)
Les Passions, Orchestre Baroque de Montauban
Direction Jean-Marc Andrieu 

78′, Ligia Digital, 2012. 

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Voici le dernier volet du voyage entrepris par les Passions après le Requiem puis les Lamentations (Ligia)  à travers l’œuvre de Jean Gilles qu’hélas peu d’interprètes explorent avec autant de curiosité et de constance que Jean-Marc Andrieu depuis les incursions d’Hervé Niquet. Nous prendrons le programme à rebours, en commençant notre article par le Te Deum, presque aussi célèbre que le Requiem, et qui fut composé à l’occasion des célébrations toulousaines en 1698 de la Paix de Ryswick conclue l’année précédente et qui paraissait au premier abord constituer le “produit d’appel” de cette parution. Jean-Marc Andrieu imprime aux Passions sa marque habituelle, alliant la couleur des timbres à un équilibre lumineux. On regrettera parfois un raffinement trop retenu (“Sanctus, sanctus Deus Sabbaoth” un peu sage dans ses attaques). L’orchestre, soyeux et rond, superbe dans les moments lyriques tel le “Pleni Sunt caeli” à la poésie tendre, aurait peu ça et là insuffler un peu plus de nervosité (“Tu Rex gloriae tuae”) et bénéficier du soutien d’une basse continue plus présente (“In te Domine speravi”), à moins que la captation ne soit responsable de cette trop grande légèreté dans les graves peut-être imputable également à l’écriture de Gilles à trois parties. En dépit de ces réserves vénielles, ce Te Deum, d’un optimisme fervent, réserve des instants de musicalité pure. C’est le cas du duo “Te Gloriosus” entre Vincent Lièvre-Picard et Jean-François Novelli, aux effusions sensibles et nuancées, ou du chœur grandiose “Te per orbem” au contrepoint serré et aux nombreux passages en imitation rendu avec une lisibilité altière par Les Eléments. Mais c’est assez de ce Te Deum, venons-en à la – bellissime – surprise de cet opus, la superbe Messe en ré.

La Messe en ré, non datée mais qui pourrait remonter aux vertes années aixoises du compositeur, annonce par de nombreux traits le futur Requiem. Il s’agit d’une oeuvre fastueuse avec simphonie, écrite à cinq parties, où le chef nous a semblé plus inspiré que pour le Te Deum : la fluidité de l’ensemble, l’évidence naturelle des articulations, la fraîcheur chantante et – oserait-on dire – méridionale de la lecture, les changements multiples de climats, contribuent à la réussite exemplaire de cette restitution (restitution notamment du fait des parties intermédiaires manquantes reconstituées) à la fois majestueuse et éloquente. Deux “Kyrie” à l’écriture diaphane, d’une noble franchise, encadrent un “Christe eleison” à trois voix d’hommes, rompant avec la pompe précédente, plongée subite et brève dans l’univers du petit motet qui n’est pas sans rappeler certains procédés lullystes (le “Dignare domine” du Te Deum) avant le second “Kyrie eleison”, à la force impétueuse. De même, le très mélodique “Et in terra pax” théâtral à souhait de Vincent Lièvre-Picard, démontrant une grande maîtrise de la prosodie, parvient à un équilibre entre le carcan cérémoniel du grand motet et l’inventivité expressive de l’Italie. Le “Qui tollis” permet à Jean-François Novelli, après une ritournelle enveloppante et suggestive, de faire valoir son timbre grainé, une émission précise et un art consommé du phrasé pour ce passage délicatement ciselé. Le “Crucifixus”, qui appelle encore un effectif de trois voix d’hommes, s’avère d’une force douloureuse, presque excessive, moment d’abandon des sens qu’un “Et resurrexit” très versaillais clôt avec une virtuosité fastueuse. La Messe se clôt sur un “Agnus Dei” touchant et généreux, où l’orchestre, épanoui, accompagne avec moelleux les arabesques aériennes du haute-contre à la sérénité de chérubin auxquelles répond un chœur plein de compassion gracieuse. S’il s’agit bien d’une œuvre de jeunesse, ce coup d’essai, à la sincérité émouvante et fière, est un coup interprété d’une main de maître, et qui a toute sa place parmi le panthéon des Campra et des Desmarest. 

Viet-Linh Nguyen

Technique : captation chaleureuse et aérée.

Site Internet de l’Ensemble Les Passions 

Étiquettes : , , , , , , , , , , Dernière modification: 9 novembre 2020
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