Rédigé par 20 h 49 min CDs & DVDs, Critiques

Le jeu en valait la chandelle

Après Händel, Bach ! Parallèlement à une activité de défricheur en matière de musique française – dont une collection consacrée à Lully et une autre à Rameau font état, pour ceux qui n’auraient pas la chance de posséder quelques disques épuisés consacrés à Desmarest ou Gautier de Marseille…

Jean-Sébastien BACH (1685-1750)

Sonates pour flûte
BWV 1033-35, Suite en ré mineur BWV 997

 

Hugo Reyne, flûtes à bec
Pierre Hantaï, clavecin
Emmanuelle Guiges, viole de gambe

70′, Mirare, 2009.

[clear]Après Händel, Bach ! Parallèlement à une activité de défricheur en matière de musique française – dont une collection consacrée à Lully et une autre à Rameau font état, pour ceux qui n’auraient pas la chance de posséder quelques disques épuisés consacrés à Desmarest ou Gautier de Marseille – Hugo Reyne nous propose aussi de redécouvrir nos “grands classiques”, ou, pour mieux dire, nos “Grands baroques”. Et redécouvrir n’est pas un vain mot, car c’est toujours avec naturel et spontanéité que nous réentendons des œuvres régulièrement interprétées – et c’est particulièrement vrai des sonates pour flûte et clavecin ou basse-continue de J. S. Bach ! Du moins pour le disque, car on les entend plus rarement au concert.

Certains trouveront à redire de ces “transcriptions”, lesdites sonates ayant été écrites pour une flûte traversière, et non pour flûte à bec. On se souvient d’ailleurs de l’excellente version de Frans Brüggen d’une maturité étonnante (Teldec). Mais, comme toujours, il ne faut pas oublier que la pratique de l’arrangement était monnaie courante au XVIIIe siècle, et la notice du présent disque fait état d’un “autre autographe” de la sonate BWV 1030 en si mineur, duquel ne subsiste qu’une partie de clavecin en sol mineur : “Raymond Meylan”, écrit Hugo Reyne, “dans son édition, opte pour le hautbois. Nous préférons plutôt l’idée d’une flûte plus grave que l’habituelle, qui existait à l’époque sous le beau nom de flûte d’amour.” Nous découvrirons donc avec intérêt cet instrument rare. Ajoutons pour être exhaustifs, qu’aux sonates habituelles est joint une suite en  mineur BWV 997, originellement pour le luth ou le clavecin, dont plusieurs auteurs ont supposé qu’il en eût existé une version pour instrument de dessus et basse. Voici donc une possible reconstitution. Il faut saluer le courage et l’honnêteté de ces artistes qui, tout en prenant des options d’interprétations, ne les dissimule pas et savent les défendre. La meilleure défense restant l’interprétation elle-même. Car, dès le prélude de cette suite, on est convaincu que le jeu en valait la chandelle.

Nous l’avons dit, celle-ci brille par un naturel, une spontanéité, et une naïveté réjouissantes : il ne s’agit pas de se positionner par rapport à d’autres lectures, ni d’intellectualiser le discours musical, mais simplement de le dire. Qu’on écoute pour s’en convaincre, l’Allegro de la sonate BWV 1033, “probablement une œuvre de jeunesse”, qui respire… eh bien la jeunesse, justement ! Ce qui n’empêche pas la profondeur de prendre ses droits dans l’Adagio de la même sonate. Le mouvement initial, l’Adagio ma non tanto de la BWV 1035, donne le ton : il y aura la “gravité” (gravitas), le sérieux, mais aussi la sensibilité, toute une palette de sentiments : la première exposition du thème n’est pas équivalente à sa reprise, les deux ne sont pas dites de la même façon. La moindre liaison apporte ici un sens et participe à l’édifice total.

N’oublions pas les clavecin de Pierre Hantaï et la basse de viole d’Emmanuelle Guiges, toujours présents, discrets mais trouvant toujours leur place. Tout le long de l’enregistrement admirablement solidaires, les deux complices trouvent souvent à faire corps avec la flûte, mais aussi à dialoguer avec elle, comme dans ce “voyage” qu’est le long Andante de la BWV 1030. Et les musiciens participent du drame qui se joue dans le prélude de la suite BWV 997. Quand il s’agit, comme ici, de la réalisation d’une basse chiffrée, la sobriété est de mise, et ne vient pas surcharger le discours. Mais l’humour ne lui est pas non plus étranger, comme dans ces contretemps de l’Allegro assai final de la BWV 1035.

Voilà donc un enregistrement dont on ressort heureux, parce qu’on n’a jamais l’impression de n’avoir rien compris, ou de n’avoir rien senti. Non, la clarté n’est pas un défaut !

Loïc Chahine

Technique : enregistrement très aéré.

Étiquettes : , , , , , , , Dernière modification: 23 novembre 2020
Fermer