Rédigé par 18 h 22 min CDs & DVDs, Critiques

Compositions assassines

La folie meurtrière de Carlo Gesualdo est aujourd’hui bien connue. Le compositeur assassin reste malgré tout une figure à part, un personnage exotique et isolé. S’il avait été peintre, architecte ou dramaturge, Gesualdo aurait certainement enfreint les codes et conventions de l’époque avec autant d’empressement qu’il ne l’a fait en musique.

Carlo GESUALDO (c.1566-1613)

Ascanio MAIONE (c.1565-1627)

Tribulationem

Concerto Soave
Mara Galassi, harpe
Jean-Marc Aymes, orgue, clavecin et direction 

2 Cds 48’49 + 64’26, Zig Zag Territoires/Outhere, 2013

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La folie meurtrière de Carlo Gesualdo est aujourd’hui bien connue. Le compositeur assassin reste malgré tout une figure à part, un personnage exotique et isolé. S’il avait été peintre, architecte ou dramaturge, Gesualdo aurait certainement enfreint les codes et conventions de l’époque avec autant d’empressement qu’il ne l’a fait en musique. C’est finalement l’histoire de l’Art en général que Gesualdo a marquée. Aucune autre figure ne peut être comparée à un tel “ovni” artistique.

Beaucoup d’enregistrements déjà ont été consacrés à sa musique hors du commun. Le Concerto Soave s’y est donc attelé à son tour pour nous proposer une nouvelle version des motets et madrigaux du prince napolitain. Jean-Marc Aymes et Mara Galassi y associent des canzone, recercar et toccate d’Ascanio Maione, compositeur contemporain de Gesualdo mais aujourd’hui beaucoup moins reconnu. Ce choix pertinent nous permet de découvrir de belles œuvres  instrumentales, proches de celles de Claudio Merulo, Giovanni Maria Trabaci, ou encore Girolamo Frescobaldi.

Les deux interprètes proposent une instrumentation intéressante de ces pièces, mêlant et alternant harpe et clavecin. Les sources laissent en effet penser que cette union était à l’époque plus répandue qu’on ne le pense aujourd’hui. Le mariage s’opère et offre un rendu convainquant. Les beaux moments sont nombreux et appréciables. On regrette tout de même un manque d’implication général, une stabilité un peu trop prévisible. Le flot, les impulsions semblent contrôlés, retenus alors qu’on aimerait justement pouvoir se laisser emporter par le discours si brillamment éloquent de cette musique. Les ornements sont magnifiques, la virtuosité des deux musiciens est indéniable. Des pièces telles que la Toccata quinta per il cembalo cromatico ou la Canzona francesa terza sont interprétées avec une belle élégance et une certaine grandeur. Le manque de variété dans les arpèges ou de souplesse dans la conduite du rythme n’en est que plus frustrante.

Il semblerait d’ailleurs que les motets et madrigaux aient pâti des mêmes faiblesses. La musique est évidemment frappante en elle-même, les harmonies sont saisissantes, les dissonances douloureuses, les résolutions inattendues. Mais on déplore un manque d’homogénéité dans les voix, de précision dans les attaques. Le tempérament mésotonique est indiscutable et implique des tierces plus hautes qu’à l’ordinaire, soit. La justesse de l’ensemble doit-elle en souffrir pour autant ?

L’écoute de ce disque nous offre malgré tout un panel de sentiments fort variés. Les deux madrigaux Moro, lasso, al mio duolo et Mille volte il di sont frappants de réalisme et de douleur. Chaque mot porte un sens fort, “moro”, “sospiri”, “fuggi a volo”, et la musique en suit les moindres nuances. La basse Daniel Carnovich donne à l’ensemble la profondeur et l’intensité nécessaires. Gesualdo emploie les mêmes artifices exactement dans Ardita zanzaretta mais au service d’un texte comique cette fois-ci. Le résultat est brillant et nous confirme une fois de plus le génie du compositeur. 

Les madrigaux en italien se rapprochent joliment des chansons de Sweelinck. Les deux compositeurs se ressemblent en effet dans leur théâtralité, leur traitement des mots, leur manière de mettre la musique au service du texte. Exactement contemporains, ils ont pourtant vécu dans deux univers bien différents. Ce rapprochement nous rappelle immanquablement les excellents enregistrements du fameux Gesulado Consort, référence aujourd’hui dans l’interprétation de ce répertoire.

On salue donc une interprétation honorable par le Concerto Soave dont les idées sont mises au service d’une musique savoureusement déroutante. Les richesses mal connues de ce répertoire demandent à être explorées et méritent que l’on s’y attarde encore plus profondément.

Charlotte Menant

Technique : bon enregistrement, pas de remarques particulières.

Étiquettes : , , , , , Dernière modification: 23 novembre 2020
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