Rédigé par 13 h 13 min Concerts, Critiques

Cosi… non fan tutti !

L’hiver s’acharne et insiste encore à s’accrocher aux branches nues des arbres de Versailles. Dans le vent qui pousse le train de Montparnasse aux contrées des Yvelines. Si Saint-Quentin-en-Yvelines en week-end prolongé ne ressemble pas aux destinations rêvées des vacanciers en goguette, son théâtre fait de cette cité de ferraille et de verre un point original dans la cartographie francilienne.

Mozart, Cosi fan tutte,

Opera Fuoco, dir. David Stern

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David Stern © Sergei Bermeniev / IMG artists

[clear]Wolfgang Amadeus Mozart (1756 – 1791)
Cosi fan tutte
 

Fiordiligi – Chantal Santon
Dorabella – Caroline Meng
Guiglielmo – Jean-Gabriel Saint-Martin
Ferrando – Cyrille Dubois
Despina – Nathalie Perez
Don Alonso – Pierrick Boisseau 

Opera Fuoco
Dir. David Stern 

Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines, samedi 30 mars 2013[clear]

L’hiver s’acharne et insiste encore à s’accrocher aux branches nues des arbres de Versailles. Dans le vent qui pousse le train de Montparnasse aux contrées des Yvelines. Si Saint-Quentin-en-Yvelines en week-end prolongé ne ressemble pas aux destinations rêvées des vacanciers en goguette, son théâtre fait de cette cité de ferraille et de verre un point original dans la cartographie francilienne.

Une des artères principales de cette salle est la résidence d’Opera Fuoco et son directeur David Stern. Accueillir un orchestre aussi brillant et dynamique qu’Opera Fuoco démontre une réelle ambition de ce Théâtre de devenir une plaque tournante dans les Yvelines. C’est parfois difficile pour un spectateur de se rendre compte lors de l’instant « T » du concert de tout le travail d’une production. Habitué à l’immédiate expérience de l’audiovisuel et du numérique, notre esprit est devenu exigeant avec le spectacle vivant. Démarche tout à fait à l’encontre de l’esprit spontané du vivant et surtout de l’humanité de sa réalité. Le chroniqueur est souvent confronté à bien des  dilemmes. Le meilleur parti est de rester honnête sans être partial et de soulever des problématiques sans pour autant détruire les amours propres ou mépriser un travail réel. 

Nous avons récemment loué le travail incroyable que David Stern a fait avec son orchestre dans des cantates pré-romantiques. Nous  découvrons au fur et à mesure des projets une véritable identité, un son original et étonnant. L’enthousiasme qui plane sur cet ensemble et ses projets nous montre que la musique a encore des paladins qui la défendent dans sa diversité et sa simplicité. Dans le contexte de crise actuel, l’importance d’une résidence tant pour l’ensemble que pour un territoire est un atout essentiel. Prenant part à la vie éducative, sociale et culturelle du bassin de Saint-Quentin-en-Yvelines, la ville semble lui rendre la tâche plus facile en mettant en œuvre un réel soutien logistique des projets. Le pari d’Opera Fuoco semble être relevé brillamment dans chaque réalisation. 

Chantal Santon – DR

[clear]Cosi fan tutte, frais marivaudage aux épices sadiennes nous place dans une réalité sentimentale très moderne. Entre l’échangisme et le jeu de masques, l’amour fait planer toute sa cruauté sur l’intrigue de Da Ponte. Ordonnateurs quasi voyeurs, Despina et Don Alonso sont des maîtres dans l’art du jeu. Dans l’inconscient collectif de l’art d’aimer, Cosi fan tutte se placerait à mi-chemin entre les écrits faussement pudiques de Jane Austen et le terrible et fascinant Salo de Pasolini. Cosi fan tutte n’est misogyne qu’en surface. La gent masculine est simplifiée en Ferrando, amoureux transi et quasiment émasculé et le viril et superficiel Guiglielmo. Les deux personnages masculins sont des pantins, ils sont tout aussi polis par l’amour que leurs belles. Finalement, le personnage qui reste le plus noble de l’histoire est la fieffée Despina. Elle porte en elle les marques d’un cœur échaudé et garde la raison avant tout en s’amusant des heurts des couples et un peu de la fausse bienveillance de l’intrigant Don Alonso. Dans cette petite fable, on ne rit qu’en apparence, le conte n’a pas une fin réellement heureuse.

Dans une verve incroyable, Opera Fuoco décortique Mozart avec énergie, couleur et subtilité. Si bien que les pupitres des cordes sont dans une perfection rarissime pour un ensemble sur instruments anciens, les vents subtils et équilibrés. Malheureusement les cuivres n’ont pas eu la puissance ni la justesse qu’une telle partition jubilatoire attendait.

En tout cas c’est le seul regret que nous pouvons émettre sur cet orchestre enthousiasmant.  Nous louons encore une fois l’énergie et la précision de David Stern qui, de cette partition redoutable, a mené de bout en bout Opera Fuoco sans faillir par une perte de rythme ou de profondeur. 

Dans l’incarnation du quatuor amoureux nous sommes malheureusement moins enthousiastes. Si Chantal Santon a largement la voix pour incarner les rôles forts d’Idomeneo, La Clemenza di Tito ou une Comtesse de légende, malheureusement sa Fiordiligi reste un peu en retrait de ce que nous aurions pu attendre d’elle. Dès le duo introductif elle nous offre des belles vocalises, un timbre ciselé, mais pas cette légèreté élégiaque que nous pourrions saisir dans ce genre de petit bijou. Son « Come scoglio » ne décolla pas malgré l’incroyable étendue de ses aigus. Nous sommes certains que Chantal Santon nous surprendra dans bien des projets, comme elle le fait toujours.

La Dorabella de Caroline Meng ne nous a pas du tout séduits. Le grave, le timbre et la beauté réelle de la voix y est, mais le théâtre, la subtilité n’y sont pas. Nous avons l’impression que Caroline Meng a chanté ce rôle sans comprendre la fragilité de l’architecture mozartienne, à la fois souple mais terrible par sa subtile ornementation. Nous avons été bien déçus dès le duo « A guarda sorella » où aucune naïveté, aucun phrasé n’est présent, juste des vocalises lancées ça et là.  Pourquoi Caroline Meng, qui a un très beau mezzo est restée timide et en retrait ? Malgré les reproches susdits nous l’encourageons à se lancer de nouveau et nous montrer tout le talent qu’elle n’a pas osé nous offrir.

Hélas, la pire déception est venue du Ferrando de Cyrille Dubois. Nous sommes évidemment conscients de la difficulté du personnage et de la partition. Cyrille Dubois a des moyens certains pour faire un Ferrando de rêve, mais il ne semble pas conscient que l’équilibre, la subtilité, l’élégiaque déterminent ce personnage. « Un Aura amorosa » n’est que le pâle reflet de cette évocation intime.

Le Guiglielmo de Jean-Gabriel Saint-Martin fut la plus belle surprise de la soirée. Avec un timbre puissant et clair et une réelle compréhension de la partition, Jean-Gabriel Saint-Martin a saisi la nature virile et fanfaronne du personnage. Il y injecte un peu de sensibilité dans les récitatifs, des saillies comiques qui rendent finalement Guigliemo plus vivant et moins monolithique.  L’incroyable compréhension stylistique de M. Saint-Martin nous a fait pour un moment oublier la version de concert et pénétrer dans la subtile alchimie du chant Mozartien.

Une autre belle surprise de la soirée fut la Despina de Nathalie Perez. Malgré quelques problèmes de projection, nous avons été charmés par son jeu piquant, frais et léger. Nous avons entendu une très belle voix idéale pour une future Susanna peut-être ?

Hélas, l’ordonnateur Don Alonso était absent ce soir-là. Pierrick Boisseau ne nous a pas rendu un être à la fois inquiétant et badin, mais un Alonso sans profondeur, assez terne en somme. Dommage.

La magie d’un spectacle n’est pas forcement dans la restitution absolument stricte mais dans l’humanité, dans les aspérités, dans les petits écarts que le compositeur n’a pas calculé. Et ce soir à Saint-Quentin-en-Yvelines, nous avons eu la preuve que le répertoire peut être redécouvert, et qu’Opera Fuoco et David Stern ne font pas comme tous les autres.

Pedro-Octavio Diaz

Site officiel d’Opera Fuoco 

Étiquettes : , Dernière modification: 10 juin 2014
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