Rédigé par 19 h 05 min CDs & DVDs, Critiques

Cum Sancto Spiritu, in gloria Dei Patris

Ne se contentant pas de nous faire simplement entendre les partitions (dans la version autographe de Charpentier) qui nous sont parvenues de cette messe écrite pour l’Assomption de la Vierge (composée entre 1698 et 1702), Hervé Niquet et son Concert Spirituel nous proposent une sorte de reconstitution de ce qu’aurait pu être musicalement la célébration religieuse…

Marc-Antoine CHARPENTIER (1643-1704)

Missa Assumpta est Maria (H. 11)

 

Chantal Santon-Jeffery, Hanna Bayodi-Hirt (dessus), François-Nicolas Geslot (haute-contre), Romain Champion (taille), Benoît Arnould (basse), Alice Piérot (premier dessus de violon), François Saint-Yves (orgue).

Le Concert Spirituel, dir. Hervé Niquet.

60′, Glossa, 2009.

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Ne se contentant pas de nous faire simplement entendre les partitions (dans la version autographe de Charpentier) qui nous sont parvenues de cette messe écrite pour l’Assomption de la Vierge (composée entre 1698 et 1702), Hervé Niquet et son Concert Spirituel nous proposent une sorte de reconstitution de ce qu’aurait pu être musicalement la célébration religieuse, y incorporant d’autres compositions de Charpentier (un motet à voix seule pour basse, H. 361, un offertoire, H. 508, une élévation, H. 262, et un motet de sortie, H. 291), ainsi qu’une improvisation à l’orgue pour le benedictus, d’après les indications des partitions, signalant la présence d’autres pièces, nous permettant ainsi d’avoir presque l’impression d’entendre une messe de l’époque, avec l’office proprement dit en moins, à la Sainte-Chapelle (où aurait été créée celle-ci).

Et si toutes les messes étaient aussi belles et confondantes que celle-ci, on comprend facilement que les églises aient alors été beaucoup plus pleines que de nos jours ! Car cet enregistrement, après celui de William Christie (Harmonia Mundi, 1989) et d’Ivor Bolton (Teldec, 1996), dépasse l’entendement, enchante et ébahit du début à la fin. Ici pas de pompe grandiloquente et ornementée comme chez Christie, mais une simplicité toute humble, qui élève. Voici de la musique sacrée – et qui n’oublie pas la sacralité – pleine d’un profond mysticisme. Est-ce à dire que l’atmosphère paraît feutrée, austère, lourde d’encens et de componction ? Bien au contraire, tout est ici très aérien, mais avec une vraie présence, la légèreté ne se confondant pas avec une superficialité évanescente. Il se dégage de l’ensemble une invraisemblable pureté, sans grand effet, qui bouleverse immensément et immédiatement dès les premières notes des dessus de violon dans la Simphonie avant le Kyrie, comme dans le Et in terra pax hominibus du Gloria, un chœur très ample, simplement soutenu par un léger continuo à l’orgue (et de quelques occasionnelles cordes frottées et enfin des théorbes), parfois rejoint par des dessus de violon, qui ne peut que nous annihiler face à une telle sublime force de beauté.

Tous avancent ensemble, musiciens, chœur, solistes, tendus dans une même ligne vers le haut, portés par d’imperceptibles nuances. Chaque partie du chœur et de l’orchestre s’harmonise avec les autres, tout en conservant une clarté des voix et une individualité bien présente : ici, pas de dessus dominant tout, ne laissant pas de place aux autres, ni de basses souterraines qui ne font que ponctuer (comme dans l’enregistrement de Christie). On ne peut que louer cette vraie égalité, où chacun demeure à sa juste place. Le continuo, très tendre et léger, élève gentiment le reste, comme une mère aidant son fils à marcher, humble et heureux de porter les dessus avec bonheur, notamment dans le Tantum ergo de l’offertoire. Le passage d’un tutti à un instrument solo, puis d’un soliste à un autre, avant de repasser à un tutti (comme dans l’Allemande grave du même offertoire) se fait tout en souplesse. Tout coule de source avec clarté et intelligence. Même dans les moments plus rapides, plus poussifs (Domine deus, Rex caelestis ou l’Amen du Quoniam tu solus Sanctus), la vitesse ne noie pas l’ensemble ni la direction, et l’interprétation demeure nimbée de cette grâce divine qui semble porter tout le disque (rappelons, au sujet de le Grâce, que le même Monsieur Charpentier a écrit une messe pour le Port-Royal, H. 5).

Nous pourrions tenter de longuement décrire les voix solistes, comme il est de coutume en pareils cas, mais ce serait les séparer d’un tout auquel ils appartiennent merveilleusement, les isoler de l’orchestre, du chœur, ce qui nous semble tellement dommage tant la symbiose est parfaite. Qu’il suffise de dire que chacune des voix est aussi pure que la direction générale, chacun a la même légèreté suave et portée. Les deux dessus (Chantal Santon-Jeffery, Hanna Bayodi-Hirt) sont aussi aériens que les violons. Le O salutaris hostia, pour une voix de dessus (le livret n’indique pas laquelle, ce qui ne fait que nous confirmer dans notre position de ne pas séparer les solistes du tout…), avoisine les cieux, avec une voix placée très haut. La mystérieuse inconnue plane au dessus de l’orchestre, tout en restant soutenue.

La voix de haute-contre de François-Nicolas Geslot est elle-aussi d’une grande fluidité avec des belles harmoniques résonnant avec aisance dans les aigus, et de belles basses planantes résonnantes. De Benoît Arnould, basse, on peut dire qu’il a un rôle légèrement à part, puisqu’il interprète un motet à voix seule (H. 361). Et quand Charpentier parle de voix seule, c’est une voix vraiment seule, a cappella. Il aurait été bien peu étonnant qu’un chanteur s’en empare pour en faire un morceau de bravoure, prouvant son talent incommensurable, et par là-même le rendant d’un ennui sans nom en le tirant à lui. Mais, même si certaines notes basses sont un peu lâchées comme dans des galets dans un puits, nous restons ici sur la même ligne directrice, tenue, avec un timbre très libre, ouvert, dégagé, aux basses chaudes et amples et aux montées agiles.[divide]

En bref, et pour écrire quelque chose de peu catholique, la magie opère. Car il y a quelque chose de véritablement magique et profond dans tout cet enregistrement, qui ne peut pas s’écouter d’une oreille indifférente. Ce n’est pas un disque qu’on écoute avant de faire autre chose ensuite, inchangé, mais qui nous prend vraiment, nous saisit, et nous laisse heureux, calme, dans un état de douceur, de grâce (dans l’acceptation profane et religieuse du terme), dans lequel on reste longtemps après, presqu’indifférent aux affaires terrestres.

Charles di Meglio

Technique : prise de son précise, riche, ample.

Étiquettes : , , , , , , Dernière modification: 11 juillet 2014
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