Rédigé par 22 h 44 min CDs & DVDs, Critiques

Dans l’intimité des Bach

Elle est à la fenêtre, devant son instrument. Bach rentre, épuisé, de l’église Saint-Thomas où il a encore tempêté contre la poignée d’instrumentistes boiteux à sa disposition. Il dégrafe son épée à garde d’argent (que l’on trouve mentionnée dans son inventaire de décès), se verse un verre de vin.

Jean-Sébastien BACH (1685-1750)

Le Petit Livre d’Anna Magdalena Bach (extraits)

 

Nicholas McGegan (clavecin et clavicorde), Lorraine Hunt (mezzo-soprano), David Bowles (violoncelle) 

74’20, Harmonia Mundi USA, enr. 1991.

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Elle est à la fenêtre, devant son instrument. Bach rentre, épuisé, de l’église Saint-Thomas où il a encore tempêté contre la poignée d’instrumentistes boiteux à sa disposition. Il dégrafe son épée à garde d’argent (que l’on trouve mentionnée dans son inventaire de décès), se verse un verre de vin. Il regarde les boucles qui tombent sur sa nuque pendant qu’elle tapote le clavier en égrenant les premières mesures de l’Allemande de la Première suite française, avec un toucher à la fois velouté et simple. Il prend sa place un moment pour l’accompagner. Elle chante le “Bist du bei Mir” de Stölzel qu’il apprécie beaucoup. Il se plaint de sa journée d’un air résigné. Anna Magdalena lui adresse un regard malicieux avant d’entamer une interprétation ironique du “ich habe genug” (littéralement, “J’en ai assez”, titre de la BWV 82) transposé plus haut. Bach sourie, et se demande ce qu’il y a à souper… Tout ceci, vous l’avez rêvé, bien entendu.

La grande qualité de cet enregistrement de Nicholas McGegan est son naturel sans prétention, sa capacité à croquer une tranche de vie du ménage des Bach. Le toucher du claveciniste écossais est précis et feutré, un peu relâché, assez peu accentué, anti-Leonhardt à souhait. Pas de philosophie profonde ici mais une douce torpeur. L’Aria de la Goldberg est jouée de manière claudicante, ornementée incidemment. La voix de la regrettée Lorraine Hunt fait entendre une beauté fragile, sombre, un peu tremblante. Le choix des pièces est très judicieux, et l’on regrette qu’il ne s’agisse pas d’une intégrale. Le violoncelle de David Bowles intervient peu, et même lorsqu’il est présent, c’est de manière discrète. Voilà un enregistrement qui n’est pas grand, mais qui dégage comme un parfum familier.

Katarina Privlova

Technique : prise de son un peu lointaine et peu spatialisée, aux contours vaporeux.

Étiquettes : , , , Dernière modification: 23 novembre 2020
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