Rédigé par 13 h 21 min CDs & DVDs, Critiques

De l’art de la sanguine et du pastel…

Peut-on mieux dire que Marianne Muller qui nous invite à nous perdre dans les méandre d’une galerie de compositeurs ? Galerie au sens de musée, de collection particulière, de cabinet des curiosités dont l’heureux maître des lieux vous entrouvre la porte, et vous guide avec passion parmi les merveilles qu’il a rassemblées.

Marin MARAIS (1656-1728)

Tombeau pour M. de Sainte-Colombe et autres portraits

Œuvres de Sainte-Colombe, Marais, Forqueray, Rameau, Gautier

 

Ensemble Spirale : Violaine Cochard (Clavecin), Claire Antonini (théorbe et luth), Charles Edouard Fantin (guitare et luth), Emily Audouin (basse de viole de gambe), Marianne Muller (viole de gambe et direction).

69’09, Zig-Zag Territoires, collection Printemps des Arts de Monte-Carlo, 2008.

Extrait : “La Marianne” de Marin Marais

[clear]Peut-on mieux dire que Marianne Muller qui nous invite à nous perdre dans les méandre d’une galerie de compositeurs ? “Galerie” au sens de musée, de collection particulière, de cabinet des curiosités dont l’heureux maître des lieux vous entrouvre la porte, et vous guide avec passion parmi les merveilles qu’il a rassemblées. “Pour une fois, toutes ces musiques ne forment pas de suites de danses, si typiquement françaises, mais une sorte de visite au travers d’un foisonnement de timbres, grâce aux instruments aussi variés que la guitare, le clavecin ou le théorbe qui forment avec la deuxième basse de viole, un continuo fourni, léger quand il le faut, vif et coloré. C’est la visite d’un véritable petit “musée sonore” que nous nous proposons de faire entendre, regard à la fois plein de respect et de sourires complices, face à tant d’invention à décrire tous ces grands musiciens.” écrit la gambiste. Et le pari est tenu, et de fort belle manière, par l’Ensemble Spirale.

Pour ouvrir ce carnet de croquis où s’esquissent les caractères avec générosité et sincérité, Marianne Muller a choisi des couleurs noires, reflets d’une imaginaire agonie. Sa viole laisse exhaler un murmure languissant et douloureux dès “le Prélude” de M. de Sainte-Colombe, puis se fond tant et si bien à celle d’Emilie Audoin que le concert à deux violes esgales “Le retrouvé” devient un écheveau contrapuntique. La lenteur des tempi, la sonorité très grainée des cordes, la robustesse soyeuse des graves enveloppent l’auditeur dans une macabre mais paisible atmosphère de recueillement et de déploration culminant avec le fameux Tombeau de M. de Sainte-Colombe de Marais, où le clavecin de Violaine Cochard se fait discret, ponctuant ses accords avec timidité, comme si un orgue de chambre eut mieux convenu à la moiteur apaisée d’une chapelle de province aux murs décrépis. Et puis, comme par miracle, voici “la Laborde” de Forqueray, véritable rayon de soleil après ce crépuscule des dieux. La lecture s’allège, et l’on reconnaît le timbre inimitable de la viole de Marianne Muller, avec ses doux aigus (tout à fait étonnants pour une viole), ses graves présents mais jamais appuyés, son archet toujours ample. Une lecture vive et souriante, sans aucune brusquerie, loin du dynamisme rageur de Paolo Pandolfo (Glossa). L’accompagnement, florissant, s’amuse à la combinaison de timbres, insistant ça sur le luth, là sur les trilles cristallines du clavecin. C’est ce même souci de la couleur, apposée par touches franches, qui conduit l’Ensemble Spirale à confier le début de “la Rameau” de Forqueray uniquement au clavecin, à introduire “la Leclair” au luth ou la Couperin à la guitare.

Les respirations sont larges, les nuances nombreuses : jouant sur les retards et les silences, les musiciens parviennent à créer un climat poétique et rêveur, où les notes semblent jetées au gré de l’inspiration, où la mélodie serpente comme une mine de plomb esquissant un visage sur le vif, et le laissant inachevé, les cheveux au vent. On écoute l’autoportrait de Forqueray, avec ses articulations saccadées et ses temps forts très appuyés, et l’on pense que ce “diable” avait un sourire espiègle, le vin léger, et la plaisanterie un peu lourde. On écoute ensuite “la Forqueray” par Rameau, et une autre facette du compositeur se dégage, celle d’un homme spirituel, sans cesse pressé, au discours si riche qu’il en devient brouillon. L’art du portrait est celui de saisir la quintessence de l’âme, de capturer les traits de caractères, de s’autoriser un regard distant, complice ou amusé. Et Marianne Muller et son ensemble méritent amplement de rejoindre les Nattier et autres Boucher de la musique baroque.

Viet-Linh Nguyen

Technique : prise de son ample et légèrement réverbérante, très fidèle pour les cordes.

Étiquettes : , , , , , , , , , Dernière modification: 7 décembre 2020
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