Rédigé par 20 h 28 min Entretiens, Rencontres

Entretien avec Jean-Marc Andrieu, directeur musical de l’ensemble Les Passions

Entretien avec Jean-Marc Andrieu, directeur musical de l’ensemble Les Passions à propos des Lamentations pour la Semaine Sainte de Jean Gilles

Entretien avec Jean-Marc Andrieu, directeur musical de l’ensemble Les Passions 

à propos des Lamentations pour la Semaine Sainte de Jean Gilles

 

Jean-Marc Andrieu dans la cour du Palais Farnèse à Rome © F. Azéma

 

Après avoir donnés à la fois en concert puis enregistré au disque le remarquable Requiem de Jean Gilles l’an passé (Ligia Digital), Jean-Marc Andrieu et Les Passions récidivent avec les Trois Lamentations pour la Semaine Sainte du même compositeur, œuvre antérieure mais tout aussi expressive, où Gilles laisse déjà percevoir l’élégance de son écriture et son inclination pour la forme du grand motet, qui sera également perceptible dans le Diligam Te Domine.

En attendant de pouvoir nous lamenter de concert lors de la représentation du 29 octobre à la Cathédrale Saint-Etienne de Toulouse dont nous vous rendrons compte (voir détails en bas de page), le chef a accepté avec Passions et sourire de répondre à nos interrogations sur ces Lamentations bien particulières.

Muse Baroque : Nous revoici à Toulouse pour le second volet de votre triptyque consacré à l’œuvre sacrée de Jean-Gilles, après le concert et l’enregistrement du Requiem de l’an passé… Est-ce parce que c’est un compositeur toulousain qu’il est si cher à votre cœur de musicien ? 

Jean-Marc Andrieu : Pas seulement, car j’aimais beaucoup son Requiem avant de savoir qu’il avait été toulousain : le fait de le savoir ne fait qu’en rajouter ! 

M.B. : Les trois Lamentations pour la semaine sainte sont antérieures au Requiem, elles pourraient même vraisemblablement dater de la période aixoise de Gilles. Peut-on parler d’œuvres de jeunesse ?

J.-M. A. : Sans aucun doute : on a une trace écrite du chapitre de St Sauveur datant de 1692 octroyant un Louis d’or à Gilles pour le récompenser de ses efforts pour les offices des ténèbres. Il est pratiquement certain qu’il s’agit de ces Lamentations : Gilles est alors âgé de 24 ans à peine !

 

M.B. : Les circonstances de la composition sont-elles précisément connues ? 

J.-M. A. : C’est le seul témoignage écrit dont on dispose concernant les Lamentations. En revanche concernant le Motet Diligam Te Domine, on sait qu’il a été exécuté en 1701 pour la venue à Toulouse des Ducs de Berry et de Bourgogne.

 

M.B. : Pouvez-vous nous parler de la structure de ces Lamentations ? Par rapport aux compositions très intimistes de Lambert, Charpentier, Couperin ou Delalande, on est surpris ici de trouver une sorte de grand motet avec orchestre, chœurs et courtes sections solistes…

J.-M. A. : A notre connaissance, il s’agit du seul exemple de Lamentations écrit sous la forme de grand motet à cette époque en France, ce qui déjà les rend extraordinaires. Le traitement du texte, comme on peut s’y attendre, est fidèle aux multiples variations de caractères, de l’affliction à la colère, en employant toutes les forces en présence, notamment les chœurs.

 

M.B. : Au niveau stylistique, est-ce que ces Lamentations traduisent déjà le penchant “moderne” et italianisant du compositeur?

J.-M. A. : Tout à fait : le langage est à la fois basé sur un sens mélodique très naturel proche des tournures italiennes, et une utilisation moderne de l’harmonie. Les procédés d’écriture du Requiem sont déjà en gestation.

 

Les Passions © J. Combalbert


M.B. : Vous avez souhaité à chaque fois pouvoir revenir aux sources et restituer une partition au plus près de celle de la création originelle. Cela était flagrant pour le Requiem. Ici, est-ce que l’unique manuscrit d’Aix est digne de foi ? A-t-il posé des problèmes de restitution ?

J.-M. A. : Pas vraiment : le fait qu’il n’existe qu’une seule copie [conservée à la Bibliothèque Méjanes d’Aix-en-Provence, NdlR], en quelque sorte, facilite le travail de restitution. C’est différent pour le Requiem pour lequel il a fallu comparer plusieurs sources différentes. Ceci dit, la troisième Lamentation pour le Vendredi m’a posé un problème d’effectifs des cordes : bizarrement, il n’y a qu’une partie intermédiaire [au lieu de deux]…

 

M.B. : Est-ce que les choix interprétatifs en ce qui concerne la texture orchestrale et les types de voix sont proches de ceux du Requiem ? Se trouve t-on déjà en face de cet orchestre lullyste mais qui a perdu une partie intermédiaire ?

J.-M. A. : Au niveau des choix interprétatifs, j’ai conservé la même équipe qui me donnait entière satisfaction, avec un son original et, je crois, convaincant. Pour revenir aux parties intermédiaires, c’est également le même orchestre à quatre parties (dessus, hautes-contre, tailles et basses de violons) à mi-chemin entre l’orchestre à la française de Lully à cinq parties et l’orchestre italien à quatre parties (avec deux parties de violon).

Pour revenir à la Lamentation du Vendredi, j’ai décidé de compléter la quatrième partie manquante en la faisant jouer colla parte, c’est à dire à l’unisson avec les chœurs. C’est je pense une solution discrète qui ne dénature absolument pas l’œuvre.

M.B. : La seconde partie du concert est consacrée au motet Diligam te, Domine. Toujours un grand motet de type versaillais ?

J.-M. A. : Ce grand motet est, effectivement, dans les “canons” versaillais : alternance de solos et de grands chœurs. Ce que l’on ne sait pas assez, c’est qu’il a été exécuté au Concert Spirituel quarante neuf fois de 1726 à 1771 !

Flavio Losco, premier violon © F. Azéma

M.B. : Travaillez-vous particulièrement sur la prosodie et la diction ? Par exemple, avez-vous tenté de retrouver une diction du latin “à l’occitane” ?

J.-M. A. : Le travail de prosodie, lié au rythme et à l’accentuation, est fondamental dans cette musique. En ce qui concerne la prononciation, nous chantons le latin à la française, mais je revendique une “gasconnisation” de cette prononciation, notamment en évitant les voyelles nasalisées, un peu trop “parisianisantes” à mon goût.

 

M.B. : Est-ce que le fait d’être un flûtiste et un enseignant influence votre manière de diriger ?

J.-M. A. : En dirigeant, je n’oublie pas que je suis instrumentiste et aussi chef de chœur, c’est à dire un peu chanteur. Cela me permet de me mettre à la place des musiciens et de ne pas leur demander de faire des choses impossibles. Cela évite des interprétations excessives (je pense notamment au tempo) voire caricaturales.

 

M.B. : Quels sont les projets des Passions pour la saison prochaine ? On sait d’ores et déjà que le voyage avec Jean Gilles se poursuivra…

J.-M. A. : Je souhaite effectivement achever le travail sur Gilles avec un troisième volet consacré au Te Deum et au motet Beatus quem elegisti.

En même temps, je prépare un opéra de Campra, je vous en parlerai en temps utile.

 

M.B. : Enfin, pour terminer, pour quand peut-on espérer la parution discographique des Lamentations de Gilles ?

J.-M. A. : Nous les enregistrons à la fin du mois, à la suite du concert à Toulouse. Le disque devrait sortir au printemps prochain. D’ici là nous aurons sorti le 19 novembre prochain le CD “Noël Baroque Occitan” (label Ligia Digital chez Harmonia Mundi) que nous avons enregistré avec nos amis les Sacqueboutiers de Toulouse et des musiciens traditionnels  formidables.

Cet été nous reprendrons les Lamentations en concert dans plusieurs festivals en France.

M.B. : Jean-Marc Andrieu, merci beaucoup pour cet entretien.

Les Passions © J. Combalbert

 

Propos recueillis par Viet-Linh Nguyen le 16 octobre 2009. 

Site Internet de l’Ensemble Les Passions 

 

Étiquettes : , Dernière modification: 9 juin 2020
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