Rédigé par 13 h 00 min CDs & DVDs, Critiques

Voyage sur un archet

Les pièces de viole d’Antoine Forqueray publiées, remaniées et complétées par son fils Jean-Baptiste Antoine sont bien connues des mélomanes. C’est d’abord un bel objet que ce luxueux disque sous fourreau doté d’un livret riche en extraits de traités d’époque…

Jean-Baptiste et Antoine FORQUERAY (1699-1782)

L’Archet des passions

Pièces de viole avec la basse continue – Livre Premier (1747)

[TG name=”Liste des morceaux”]

La Leclair (viole & clavecin)
La Dubreuil (viole & clavecin)
La Mandoline (viole & clavecin)
La Buisson (viole & clavecin)
La Laborde (viole & clavecin)
La Forqueray (viole & clavecin)
La Cottin (viole & clavecin)
La Couperin (clavecin)
La Portugaise (viole & clavecin)
La Rameau (clavecin)
La Jupiter (viole & clavecin)
La Sylva (clavecin)
La Régente (viole & clavecin)
La Tronchin (viole & clavecin)

[/TG]

Jean-Baptiste FORQUERAY (1699–1782)

La du Vaucel (viole & clavecin)
La Plissay ou la Morangis (viole & clavecin) 

Philippe Foulon (viole de gambe), Emer Buckley (clavecin)
Lachrimae Consort

70’33, Natives, 2011.

[clear]Les pièces de viole d’Antoine Forqueray publiées, remaniées et complétées par son fils Jean-Baptiste Antoine sont bien connues des mélomanes. C’est d’abord un bel objet que ce luxueux disque sous fourreau doté d’un livret riche en extraits de traités d’époque (comme celui de Loullié), où Philippe Foulon détaille avec pédagogie et simplicité sa démarche interprétative, le tout illustré des photographies artistiques de Frank Béneï. C’est aussi une réalisation sensible et délicate, digne d’un pastel de Nattier, d’une passion que certains trouveront trop sage face aux déferlements d’un Pandolfo Mealli (Glossa), mais d’une écoute aussi gratifiante qu’exigeante.

Exigeante d’abord. Dans son refus de l’hédonisme sonore, puisque contrairement à l’accoutumée, on ne trouvera ici en guise de basse continue qu’un clavecin – dissert et virtuose certes – mais seul. Exeunt le théorbe ou la deuxième viole comme chez Mealli ou Julien Léonard (Muso) qui étoffent le discours, donnent de la profondeur aux graves, ajoutent de la poésie aux mouvements lents. Exigeante encore par l’approche entière de Philippe Foulon, musicien accompli, qui n’hésite pas à se mettre en risque, à fragmenter la ligne mélodique refusant un Forqueray ” joli”, à quelque fois faire sortir de sa viole des sonorités sèches ou grinçantes.

Dès la Leclair, on fronce les sourcils face à une certaine raideur de la main, une dureté des articulations, une gestique étriquée et rageuse surprenante chez Forqueray si Casanovien. Mais l’enregistrement doit entendu – et ne peut être compris – que dans son ensemble, grâce à l’extraordinaire variété des affects, des climats et des coups d’archet qui le parsèment et qu’une prise de son proche et complice rend quasi-tactile (au détriment il est vrai du clavecin pourtant remarquable d’Emer Buckley, exilé par l’ingénieur en toile de fond, heureusement la Couperin, la Rameau et surtout la Sylva sont données dans leurs transcriptions pour clavecin seul). On se jette ainsi dans les langes caressantes de la Dubreuil, souriante et complice, presque gémissante avant de dévaler avec ironie la Mandoline aux accords martelés. La Buisson, l’une de nos pièce favorite, est certes déclamée avec un legato pressé d’amant qui se rhabille, mais nous gratifie de quelques superbes harmoniques, la Laborde, profonde sans affliction, grave sans lourdeur, fait preuve d’une musicalité hors-normes, la Forqueray s’envole dans des aigus évanescents et des doubles croches échevelées tout en pudeur. L’on pourrait ainsi poursuivre pièce à pièce, mesure après mesure, ce catalogue multicolore, d’un abord souvent peu engageant mais qui s’épanouit au fil de l’écoute.

Certains enregistrements de Forqueray (père et fils puisque la lisière est floue) insistent sur la virtuosité, “l’archet du diable” enivrant et disert. Ce n’est absolument pas le cas de la lecture intériorisée et raisonnée de Philippe Foulon, attentif aux couleurs et aux climats, évitant sciemment toute facilité ou sentimentalisme (incroyable Cottin douce-amère), écartant parfois délibérément le beau ou l’évident au profit d’un discours structuré, plus distant et par cela iconoclaste. Beaucoup seront troublés par cet enregistrement, certains l’apprécieront peut-être. Pour notre part, nous regrettons juste que Philippe Foulon ne se soit pas lancé dans l’intégrale de l’œuvre pour viole –déjà réduite – de Forqueray, et espérons qu’un second opus viendra poursuivre cette expérience.

Viet-Linh Nguyen

Technique : captation chaleureuse et fidèle, clavecin très en retrait.

Étiquettes : , , , , , , Dernière modification: 23 novembre 2020
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