Rédigé par 16 h 33 min Musicologie, Regards

Les Institutions Musicales Versaillaises de Louis XIV à Louis XVI

La musique fait partie intégrante de la vie de la Cour de France. Elle est omniprésente, que ce soit aux divertissements de cour comme Les Playsirs de l’Ilsle Enchantée (1664) offerts par le Roi à sa maîtresse Louise de la Vallière, lors des carrousels, des soirées d’appartements, des concerts du dimanche de Sa Majesté, de ses dîners et soupers (nos déjeuners et dîners respectivement), des représentations de comédies-ballets puis de tragédies lyriques…

Pierre-Denis Martin, Vue du château de Versailles prise de la place d’armes en 1722, Versailles, musée national du château et des Trianons © RMN, cl. Daniel Arnaudet

Pierre-Denis Martin, Vue du château de Versailles prise de la place d’armes en 1722, Versailles, musée national du château et des Trianons
© RMN, cl. Daniel Arnaudet

La musique fait partie intégrante de la vie de la Cour de France. Elle est omniprésente, que ce soit aux divertissements de cour comme Les Playsirs de l’Ilsle Enchantée (1664) offerts par le Roi à sa maîtresse Louise de la Vallière, lors des carrousels, des soirées d’appartements, des “concerts du dimanche de Sa Majesté”, de ses dîners et soupers (nos déjeuners et dîners respectivement), des représentations de comédies-ballets puis de tragédies lyriques, sans compter les revues de troupes et les fois où Louis XIV lui-même chantait en s’accompagnant à la guitare. Jean François Solnon notait avec pertinence dans son ouvrage de référence La Cour de France qu’il ne se passait pas un jour sans musique à Versailles, où le Roi Soleil se fixe définitivement à partir de mai 1683.

Si des institutions telles que la Chapelle existent depuis François I et rappellent le souvenir des temps médiévaux, c’est sous le règne de Louis le Grand que les différentes pièces qui composent la mécanique musicale de la Cour vont se fixer, et se figer pour près d’un siècle. 

La musique relève essentiellement de la Musique de la Chapelle, de la Musique de la Chambre et de la Grande Ecurie, divisions de la Chapelle, la Chambre et l’Ecurie. A chacun de ces départements musicaux échoit des tâches théoriquement différentes bien qu’il ne soit pas rare que des musiciens de l’une des formations viennent au besoin compléter l’effectif d’une autre. Nous allons brièvement étudier chacun de ces groupes.

La Chapelle Royale (“Chapelle-Musique”, “Chapelle de Musique”)

Elle s’occupe, comme son nom l’indique, des offices religieux. Nomade, elle suit le Roi et la Cour dans leurs déplacements de châteaux en châteaux. Par exemple, la Cour a l’habitude de passer l’hiver à Fontainebleau, de chasser à Chambord… 

Elle est placée sous la direction d’un Maître de Chapelle depuis François I mais celui-ci ne connaît généralement rien à la musique, puisque c’est un poste honorifique pour haut dignitaire de l’Eglise, le plus souvent un cardinal ou un évêque. Le fonctionnement de la Chapelle-Musique repose donc en réalité sur les sous-maîtres de la Chapelle. Ces derniers servent par quartier (quartier de janvier, d’avril, de juillet et d’octobre depuis le milieu du XVIIème siècle jusqu’à 1761, ensuite les sous-maîtres deviennent maîtres et servent par semestre) et sont recrutés par concours; Charpentier ne put passer toutes les épreuves en 1683, étant tombé malade et le Roi lui octroya d’ailleurs une pension pour le consoler. Habituellement, on trouve sous Louis XIV un mélange de faveur et de compétence. Souvent, un grand musicien surpasse les autres par sa stature et finit par cumuler les quartiers et à jouer le rôle de primus inter pares. Ce sera Michel Richard Delalande, le “Lully français” lors du crépuscule solaire, André Campra sous le règne de Louis XV et Joseph Cassanéa de Mondonville sous Louis XVI.  

Le sous-maître a des responsabilités liturgiques (organisation de processions), matérielles (éducation des enfants, confort, nourriture…) et bien sûr musicales. Il doit veiller à la qualité de l’ensemble, instrumentistes aussi bien que chanteurs, les fait répéter, choisit les œuvres et dirige leur exécution. Il est de facto “compositeur de la Chapelle”. L’effectif est composé de simphonistes (instrumentistes), pages, chantres et d’un organiste. Ce dernier est aussi recruté par concours et sert aussi par quartier. Couperin sera choisit en 1693, le Roi ayant demandé un délai de réflexion tant la compétition était serrée. Il restera à ce poste jusqu’en 1721.

Jacques Rigaud, Réception des chevaliers de l'ordre du Saint Esprit dans la chapelle de Versailles. D.R. Il s'agit de l'une des chapelles provisoires que connut successivement Versailles avant la construction du splendide vaisseau blanc élévé par Robert de Cotte et presque achevé en 1710. Elle se situait à l'emplacement de l'actuel Salon d'Hercule, au bout des Grands Appartements.

Jacques Rigaud, Réception des chevaliers de l’ordre du Saint Esprit dans la chapelle de Versailles. D.R. Il s’agit de l’une des chapelles provisoires que connut successivement Versailles avant la construction du splendide vaisseau blanc élévé par Robert de Cotte et presque achevé en 1710. Elle se situait à l’emplacement de l’actuel Salon d’Hercule, au bout des Grands Appartements.

Tous les matins, après son conseil, le Roi va à la chapelle et écoute trois motets : “un grand, un petit et un Domine salvum fac regem“. Les courtisans sont assidus, plus pour le spectacle musical et le maître que par ferveur : certaines dames font relier un roman à la mode en missel. Une autre fois, un officier des gardes de corps facétieux ordonne à haute voix aux soldats de se retirer, le Roi ne venant pas assister au service. Immédiatement, la chapelle se vide de ses perruques in-folio. Arrive ensuite Louis XIV, étonné de voir si peu de monde présent. Le capitaine lui explique la plaisanterie et le souverain en rit fort…

La Chapelle Musique*
le Maître de Chapelle
4 Sous-Maîtres, servant par quartier
Des Chantres
Etat en 1702 Etat en 1762
6 enfants des Pages de la Chambre 6 enfants des Pages de la Chambre
9 dessus dont 6 castrats 8 dessus, dont 7 italiens
18 hautes-contres 7 hautes-contres
24 hautes-tailles 5 tailles
13 basses chantantes 9 basses
3 basses jouant du serpent
 Des simphonistes (instrumentistes)
Un organiste

*Occasionnellement, pour le plain-chant, on fait appel aux chapelains de la Chapelle Oratoire. 

Plus généralement, les grands motets mobilisent en effet toute la “Musique du Roy” c’est-à-dire “La  Chapelle Royale” (chœurs et solistes, orgue et basse continue environ 100 personnes mais par quartiers donc 50 effectifs), “La Chambre” (chanteuses, musique instrumentale de divertissements comprenant les vingt-quatre (grande bande) et les vingt-et-un (petite bande) violons du Roy) et la “Grande Ecurie” (musique de cérémonie: violons, trompettes, bassons, fifres, tambours). Rappelons enfin qu’il n’y a pas de femmes chanteuses à la Chapelle, d’où le recours à celles de la Chambre en cas de besoin.

La Musique de la Chambre

Placée sous la tutelle du tout-puissant “Sur-intendant de la Musique de Sa Majesté”, la Musique de la Chambre veille au divertissements quotidiens de la Cour. C’est encore à François I que l’on doit la séparation entre Chambre et Grande Ecurie, cette dernière s’occupant, comme nous le verrons, des cérémonies publiques et des fastes militaires.

Le surintendant est le grand organisateur de ce département : bals, (comédies-) ballets, tragédies lyriques, danses pour les “soirées d’appartement” et grands motets sont de son ressort. Le poste fut crée en 1598 pour Eustache du Caurroy par François Ier. Le répertoire de la Chambre représente un vaste choix depuis les pièces pour clavecin seul à l’opéra en passant par les cantates ou les suites. Normalement, il y a deux surintendants qui se partagent chacun une moitié de l’année (Destouches et Colin de Blamont après la mort de Campra en 1726, par exemple). Administrateurs du budget musical des Menus Plaisirs, ils choisissent la programmation, peuvent la faire exécuter eux-même, règlent tous les détails logistiques et musicaux. La charge se transmet par survivance, avec l’agrément du Roi.

La primeur est souvent donnée à leur propres compositions, ce qui engendre de temps à autre des tensions avec les sous-maîtres. Ces derniers sont les adjoints du surintendant et peuvent le remplacer pour l’organisation et l’exécution des concerts. De plus, ils servent parfois de maître de musique aux Enfants de France (Couperin, organiste de la Chapelle fut nommé maître de clavecin des Enfants de France en 1694, ce qui prouve bien que l’enseignement des têtes royales n’est pas réservé aux sous-maîtres de la Chambre). 

L’organisation de la Musique de la Chambre est affreusement complexe : Pages, Grande Bande, Petite Bande, Musiciens du Cabinet se côtoient et la compétition est féroce. La répartition des tâches est plus que confuse et les querelles de préséances sont légions. Pour les concerts privés de Sa Majesté tels les concerts du dimanche pour lesquels Couperin composa ses fameux Concerts Royaux, qui des Musiciens du Cabinet ou de la Petite Bande aura l’honneur de divertir le Roi ? La grande réforme de 1761 mettra un peu d’ordre dans cette multiplicité d’ensembles très artificielle. En fait, les documents de l’époque parlent simplement de “violoniste de la chambre du Roy” sans préciser le sous-ensemble auquel le musicien est rattaché. Enfin, est-il utile de préciser que ce sont souvent les mêmes personnes que l’on retrouve sous ces différentes dénominations ?

La Musique de la Chambre
Le Surintendant (normalement, il y a en a deux mais le monopole lullien ne pouvait souffrir de réel rival)
Deux maîtres de musique, par quartier semestriel
Deux compositeurs de la Chambre, par quartier semestriel
Des chanteurs (dont des femmes) ainsi que les Pages
Des instrumentistes

Grande Bande (Vingt-quatre Violons du Roi)

Musiciens du Cabinet

Petite Bande (Les “Vingt-et-un”)

Simphonistes de la Chambre…

Un claveciniste*

*Chambonnières ou d’Anglebert occupèrent notamment ce poste. La légende veut que Couperin ait refusé la charge afin de ne pas être ingrat envers Chambonières qu’il considérait comme son bienfaiteur.

La Musique de la Grande Ecurie

La Grande Ecurie regroupe les chevaux de guerre et de manège et sert dans les grandes occasions ou en temps de guerre. Son corps de musique joue de la musique de cérémonie. Il comprend principalement des cuivres et des vents, pour la musique militaire et la musique de plain-air. Certains instrumentistes comme les trompettes et timbaliers sont à cheval. La Musique de la Grande Ecurie joue essentiellement des fanfares et de la musique d’accompagnement. Elle est constamment sollicitée à la cour : retours de chasse, réception d’ambassadeurs, carrousels, revues de troupes… L’organisation d’origine qui comprenait encore au début du dix-septième siècle des instruments tels que des sacqueboutes, cornets, musettes du Poitou, cromornes ou trompettes marines (instrument à corde en fait) laisse la place à une formation plus réduite aux timbres strictement militaires. Préférence est donnée aux “hauts instruments” et violons ou flûtes sont occasionnels.  

Les Simphonies pour les Soupers du Roi de Delalande ou encore celles de Philidor ou de Mouret sont autant de pièces destinées à être interprétées dans ces occasions solennelles. L’épisode le plus tragique dans la vie de la Grande Ecurie se déroula sans doute en Août 1715. Les musiciens, installés sous les fenêtres du Roi dans la Cour de Marbre de Versailles, donnèrent l’aubade pour la Saint-Louis à un monarque mourant.

La Grande Ecurie

Premier Ecuyer
Hérauts d’armes
Instrumentistes

Originellement (François I)

Au XVIIIème

Trompettes

12 Trompettes et timbales montées

Sacqueboutes et cornets

 

Fifres

8 Fifres et tambours

Violons

Quelques violons et flûtes occasionnellement

Hautbois

12 Hautbois et bassons

Tambours

 

Musettes du Poitou, cromornes, trompettes marines.

 

Conclusion : Une structure à géométrie variable

Les institutions musicales sont indispensables à la vie de cour. La musique sert à divertir les courtisans, à rythmer les journées. Elle participe de cette grande mécanique de ritualisation de la vie du monarque mise en place depuis Henri III et portée à son sommet par le Roi-Soleil. L’empreinte de ce dernier sera tellement forte que le grand motet ou le tragédie lyrique subsisteront au long des règnes suivants, anachronismes désuets vidé de leur sens – le grand motet perdra son rôle liturgique – qui s’effriteront lentement avec le système monarchique qu’ils reflétaient. 

Enfin, il doit être noté que ces structures sont beaucoup plus perméables et flexibles qu’il n’y paraît. André Philidor l’aîné fit partie à la fois de la Grande Ecurie, de la Chambre du Roi et de la Chapelle tandis que son père Jean, hautboïste et fifre de la Grande Ecurie jouait aussi du cromorne, de la trompette marine et des timbales. Michel Richard Delalande sera Maître de la Chapelle et sous-maître de la Chambre, Jacques Hotteterre devient basse de viole et bassoniste de la Grande Ecurie en 1705 mais doit surtout sa renommée à ses talents de flûtiste virtuose de la Chambre. Robert Pierre, grand compositeur injustement oublié de grands motets au côté de Dumont et Delalande, fut sous-maître de la Chapelle et compositeur de la Chapelle et de la Chambre du Roy. Il y a donc non seulement de nombreux échanges de personnels entre les formations mais aussi des changements de timbres par rapport à l’effectif officiel. Il était commun à l’époque pour un musicien de jouer parfaitement de plusieurs instruments (Bach était virtuose au clavecin et à l’orgue mais aussi au violon) et un “violoniste” pouvait aussi jouer de la viole de gambe et du basson si le besoin s’en faisait sentir.  

L’état désastreux des finances oblige à la réforme de 1761. Elle réduit les effectifs et fusionne la Chambre et la Chapelle, y compris la Grande Bande, constituée d’officiers qui auparavant achetait la charge. Il faut dire que sa qualité n’avait cessé de décliner au long du XVIIème siècle. Les sous-maîtres de la Chapelle deviennent maîtres et servent dorénavant par semestre. Les Pages de la Chambre sont parmi les rares à ressortir indemnes. 

M.B.

En savoir plus :

François Bluche (dir.), Dictionnaire du Grand Siècle, Fayard, 1992.
Jean François Solnon, La Cour de France, Fayard.
Anderson (ed.), The Princely Courts of Europe, Weidenfeld & Nicholson.

Étiquettes : , , Dernière modification: 21 mai 2020
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