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“Quand je chante un rôle, je plonge allègrement dans son atmosphère” : rencontre avec Karina Gauvin, soprano

On aime bien classer les artistes dans une catégorie. C’est vrai que j’ai eu de multiples occasions d’interpréter des rôles baroques, notamment parce que ce mouvement musical s’est beaucoup développé en Europe. On ne décide pas de tout dans une carrière, elle se fait aussi au gré des circonstances.

karina gauvin

“Quand je chante un rôle, je plonge allègrement dans son atmosphère”

Rencontre avec Karina Gauvin, soprano

 

karina gauvin

Photo : Michael Slobodian

 

MB : Bonjour Karina. Merci de nous avoir accordé cet entretien lors de votre passage à Paris, où vous êtes venue  interpréter le rôle de Vitellia dans La Clémence de Titus de Mozart, au Théâtre des Champs-Elysées. Nos internautes avaient plutôt l’habitude de vous entendre dans le baroque : c’est une nouvelle orientation pour vous ?

Karina Gauvin : C’est un saut dans une autre direction, mais Mozart est aussi la continuation de Haendel et Porpora. Et puis je me sentais prête. Et je suis très heureuse de chanter Vitellia, même si on ne m’imaginait pas dans ce rôle car j’ai beaucoup chanté de baroque : on ne peut pas faire plaisir à tout le monde… Et dans l’interprétation il y a aussi le coeur, pour moi c’est essentiel. 

MB : Justement, pouvez-vous nous en dire davantage sur votre conception de l’interprétation lyrique ? 

K.G. : Pour moi c’est comme une sorte de danse, la voix danse entre l’intellect et le coeur, dans un mouvement hélicoïdal permanent. En tant que chanteur on peut avoir des difficultés pour se concentrer, c’est dans cet exercice que je suis moi-même.

MB : Vous avez aussi une forte présence sur scène : comment la voyez-vous ? 

K.G. : La pensée précède toujours le mouvement, et mon mouvement fait partie intégrante du geste artistique. Cette danse de la voix que j’évoquais tout à l’heure est aussi celle qui anime le corps…

MB : Et pour revenir à cette incursion mozartienne, elle s’est décidée comment ?

K.G. : Depuis mes débuts, j’ai chanté Mozart. Un des premiers airs que j’ai étudié dans mes cours de chant était le “Deh vieni non tardar” [des Noces de Figaro]. Pour cette Clémence de Titus, j’ai répondu à l’invitation de Michel Franck, qui voulait monter l’oeuvre, et me voyait en Vitellia. Je lui dois ma gratitude, car de nos jours beaucoup de producteurs ne veulent pas prendre de risques… 

MB : Vous voulez dire qu’on vous avait un peu “étiquetée” chanteuse baroque ?

K.G. : On aime bien classer les artistes dans une catégorie. C’est vrai que j’ai eu de multiples occasions d’interpréter des rôles baroques, notamment parce que ce mouvement musical s’est beaucoup développé en Europe. On ne décide pas de tout dans une carrière, elle se fait aussi au gré des circonstances. Mais dans un registre totalement différent j’avais produit il y a quelques années un disque de mélodies françaises du XXème siècle.

MB : C’est vrai que l’on pense en priorité à votre goût haendélien, notamment avec Alan Curtis, ou tout récemment avec Julien Chauvin pour le lancement de son nouvel ensemble…

K.G. : Je pense que je répondais alors à ce que recherchait Alan comme héroïne haendélienne. Il m’a énormément fait confiance, et cela a développé beaucoup de choses en moi. Cela a été une belle période de mon évolution. Alan a accompli un travail musicologique considérable avant de ressusciter certaines œuvres, comme Tolomeo. Cela m’a beaucoup appris.

MB : A propos de résurrection l’enregistrement du Niobe, regina di Tebe, de Steffani, sera disponible dans les prochaines semaines. Vous y chantez le rôle-titre, avec pour partenaire Philippe Jaroussky dans le rôle d’Anfione.

K.G. : J’avais déjà chanté sous la direction de Stephen Stubbs et Paul O’Dette [du Boston Early Music Festival Orchestra] dans l’Ariadnae de Conradi. Quand ils ont voulu produire Niobe, ils ont pensé à moi, mais malheureusement un imbroglio dans les dates ne m’a pas permis de participer aux représentations de Boston. Cette Niobe est une orgueilleuse de la pire espèce, il fallait qu’elle fasse contraste avec son époux, un musicien rêveur. Du coup nous formons un couple assez étonnant, tout à fait décalé…

MB : Mais n’est-ce pas paradoxal de vous confier un rôle de femme orgueilleuse ? 

K.G. : Quand je chante un rôle, je plonge allègrement dans son atmosphère. J’espère que le public le perçoit : quand je chante je donne tout !

MB : Et quels sont vos projets ? Vos prochains spectacles en France ?

K.G. : En France, je chanterai notamment des airs de Duthilleux à Bordeaux en mai, et Dardanus à Bordeaux et à Versailles. Ce sera ma première incursion sur scène dans un opéra de Rameau.

MB : Nos lecteurs auront certainement pris note : à bientôt dans Rameau, Karina et merci encore de nous avoir accordé cet entretien.

 

Propos recueillis par Bruno Maury le 13/12/2014

Étiquettes : , Dernière modification: 9 juin 2020
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