Rédigé par 17 h 30 min CDs & DVDs, Critiques

Intus et in cute (Perse, Satire III, v. 30)

Sous la reproduction d’un petit tableau assez fade de Ludolf de Jongh, et le titre un peu mystérieux de Mr Tomkins his Lessons of Worthe (Leçons de Valeur de monsieur Tomkins), se cache en réalité un petit trésor anthologique du répertoire anglais pour clavecin de la première moitié du XVIIe siècle.

“Mr Tomkins : his Lessons of Worthe”

[TG name =”Liste des airs”]
John BULL (1562/3-1628)
Chromatic Pavan & Galliard
In Nomine
Fantasia MB 11 

William BYRD (c.1540-1623)
Pavan & Galliard Sir William Petre 

Thomas TALLIS (c.1505-1585)
Felix Namque 

Thomas TOMKINS (1572-1656)
Offertory
Robin Hood
Ut re mi fa sol la
Ground MB 40 

[/TG]

Bertrand Cuiller, clavecin et claviorganum

58’, Mirare 137, enr. 2011.

[clear]

Sous la reproduction d’un petit tableau assez fade de Ludolf de Jongh, et le titre un peu mystérieux de “Mr Tomkins his Lessons of Worthe” (“Leçons de Valeur de monsieur Tomkins”), se cache en réalité un petit trésor anthologique du répertoire anglais pour clavecin de la première moitié du XVIIe siècle. Thomas Tomkins fut compositeur et collectionneur de musiques. On connaît plusieurs recueils copiés de sa main dans lesquels se trouvent, outre ses propres œuvres, des compositions de Bull, de Byrd, de Tallis, de Gibbons — dans la tradition des Parthenia ou l’hymen des premières musiques qui furent jamais imprimées pour le virginal, My Lady Nevells Booke et autre Fitzwilliam Virginal Book. C’est à cette tradition que le présent disque entend se rattacher : Bertrand Cuiller a soigneusement sélectionné des écrits que Tomkins avait lui-même choisis pour figurer parmi ses “leçons de valeur”.

Comme Tomkins le recommande, les différentes pièces ont été groupées par tonalité. À chaque corpus son instrument : la section centrale, la plus longue, en sol, est interprétée sur un clavecin de Malcolm Rose réalisé à partir d’un instrument de Lodeweijk Theeuwes, datant de 1579 ; les trois dernières pièces, formant le groupe en , sont jouées sur cette invention étrange qu’est le claviorganum ; enfin, au groupe en la échoit “une invention magnifique du facteur Philippe Humeau, un tout petit clavecin italien en séquoia” — comme nous l’écrit Bertrand Cuiller. Cette phrase de l’interprète en dit peut-être bien plus qu’en apparence : on y perçoit son affection et son admiration pour l’instrument, et les mêmes sentiments semblent l’animer pour la musique qu’il joue.

Entre rigueur et liberté — écoutez pour cela le milieu du grand Felix namque de Thomas Tallis : sur un motif d’une implacable régularité, idéalement phrasé, viennent se greffer des accords doucement égrenés —, c’est par un souffle à la foi élégant et engagé qu’il donne vie à ces pages. À l’impeccable maîtrise technique répond une réelle compréhension du répertoire. Tout est toujours clair ; la richesse polyphonique est bien mise en valeur, parvenant à une forme de jeu, comme au milieu de l’Offertory de Tomkins. L’agilité est digitale, certes, mais aussi musicale : l’enchaînement des sections rythmiquement variées de certaines pièces est vertigineux (le Felix namque, encore une fois, en est un exemple éloquent).

La sobriété n’est pas la moindre qualité de ces interprétations — mais point d’inertie : la sensibilité est là, dans quelques notes toutes simples (comme au début de l’Offertory) aussi bien que dans les traits. La rigueur ne devient jamais raideur. Dans la Pavan Sir William Petre de Byrd, l’émotion s’élève de la noble sobriété même.

Ces grandes pièces, les pavanes, les offertoires, sont de petits voyages. Les œuvres plus brèves sont parfois des courses — nous pensons en particulier à la vigoureuse et altière gaillarde Sir William Petre. Il faut aussi admirer la simplicité sans prétention de l’Ut re mi fa sol la de Tomkins. Bertrand Cuiller parvient à en faire un petit joyau, révélant un son à la fois ciselé et “bullé” — oui, les notes ressemblent parfois à de petites bulles qui s’échapperaient du clavecin. Le toucher est franc, le son est généreux, magnifié par une prise de son proche mais point écrasante. Signalons à ce propos que l’on entend quelques mouvements de clavier, qui accentuent davantage l’impression de proximité entre l’interprète et l’auditeur. Dans cette intimité, l’on croirait que ces Lessons of Worthe sont jouées juste pour soi, ou bien juste pour nous ! Privilège et plaisir insignes…

Loïc Chahine

Technique : superbe prise de son précise et chaleureuse.

Étiquettes : , , , , , Dernière modification: 11 février 2022
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