Rédigé par 20 h 14 min CDs & DVDs, Critiques

“L’art d’utiliser le feu”

Voici une période faste pour les vivaldiens, puisqu’après le magnifique récital de Magdalena Kozena (Archiv), vient celui de Vivica Genaux, à l’interprétation plus extravertie et (encore plus) spectaculaire. Depuis Prométhée, le feu a obsédé l’imaginaire humain, un élément incontrôlable, fougueux, irascible mais réconfortant et beau.

Antonio VIVALDI (1678-1741)

“Pyrotechnics” : airs d’opéra


[TG name =”Liste des airs”]
Catone in Utica : ‘Come in vano il mare irato’
Semiramide : ‘E prigioniero e re’
La fida ninfa : ‘Alma oppressa’
Griselda : ‘Agitata da due venti’
La fida ninfa : ‘5 Destin nemico… Destin avaro’
Opéra inconnu : ‘Il labbro ti lusinga’
Ipermestra : ‘Vibro il ferro’
Farnace : ‘No, ch’amar non è fallo’
Tito Manlio : ‘Splender fra ’l cieco orror’
Rosmira fedele : ‘Vorrei dirti il mio dolore’
Catone in Utica : ‘Chi può nelle sventure…’, ‘Nella foresta’
Farnace : ‘Ricordati che sei’
Opéra inconnu : ‘Sin nel placido soggiorno’

[/TG] 

Vivica Genaux – mezzo-soprano

Europa Galante
Direction Fabio Biondi 

75’42, Virgin Classics, 2009.

[clear]Voici une période faste pour les vivaldiens, puisqu’après le magnifique récital de Magdalena Kozena (Archiv), vient celui de Vivica Genaux, à l’interprétation plus extravertie et (encore plus) spectaculaire. Depuis Prométhée, le feu a obsédé l’imaginaire humain, un élément incontrôlable, fougueux, irascible mais réconfortant et beau. La passion s’assimile ainsi au foyer qui rend possible les grands desseins et sublime les actes de ceux qui arrivent à l’utiliser à bon escient. Les artistes baroques, obnubilés par les affetti, ont décliné la passion et le feu dans des gerbes créatives sans précédents. Le coloriste sans fin que fut Antonio Vivaldi se détachant très tôt du recueillement des soutanes et des conventions, se fiant à sa chevelure rousse, a rendue audible la sublime pyrotechnie des festivités. L’art lyrique qu’emploie la mezzo-soprano Vivica Genaux pour rendre justice à certains airs de Vivaldi dans ce récital tient plus de l’artificier que de la musicienne.

Dès le premier air “Come in vano il mare irato”, à l’évocation de la sempiternelle tempête, nous sommes transportés dans le dramatisme absolu de l’ire déchaînée. Ses ornements d’une grande clarté et des trilles scintillants brodent les affetti, pour notre grand plaisir, et en font un bouquet plein de d’énergie. Et c’est de même pour le “Nella foresta” du même Catone in Utica.

Avec une maitrise du style vivaldien et sans se laisser aller dans des da capi excessifs, Vivica Genaux décline les airs de la Fida Ninfa avec un dramatisme poignant et une technique parfaite. Son “Alma opressa”, dans des couleurs plus sombres que Sandrine Piau dans l’intégrale Naïve de l’œuvre, est impressionnant de virtuosité. Elle en fait une complainte forte et émouvante, un grand moment de théâtre. Par ailleurs, le “Destin avaro” est plus impliqué que ne l’était celui de Veronica Cangemi, et rend dans les “pianto versai” une émotion des plus réalistes et exacerbées.

Dans le livret de présentation, Vivica Genaux nous parle de “Barroco esasperato”. Ceci définit très bien la nature des vocalises et des ornements divers, toujours exubérants mais d’une éloquence essentielle pour colorer et dépeindre en musique les sentiments les plus difficiles à exprimer. Le baroque n’est pas exagéré, il est sensuel. Et Vivica Genaux exprime amplement cette sensualité dans des airs magnifiques tels “I labbro ti lusinga”, aux accents langoureux qui feraient plier les juges des enfers. Ou bien, le superbe monologue “E prigionero e Re” de la mystérieuse Semiramide, aux couleurs intimes et presque calderoniennes. Autrement, il faut mentionner aussi la simplicité et l’engagement avec lequel elle rend la requête du prince Armindo dans “Vorrei dirti il mio dolore” de la Rosmira Fedele.

Nous n’oublions pas non plus la hardiesse et l’enthousiasme de Fabio Biondi et de l’Europa Galante, qui, en véritables artificiers, colorent chaque note et créent un univers dramatique dans chaque air. Balayant toutes les formes d’amour, de la supplique à la colère haineuse et vengeresse, Vivica Genaux et ses incroyables compagnons nous offrent un Vivaldi plus concentré dans le message et la couleur de ses affetti que de la virtuosité de ses ornements. Le feu d’artifice n’est pas que gerbe de feu, il émerveille par ses couleurs et l’agencement de sa forme.

Alors que les frimas commencent leur descente sur nos climats, réchauffons nous près du feu ami de la cheminée en dégustant avec ravissement les bouquets, les cascades et les bengales, entrecoupées de sentiment, que Vivica Genaux, Fabio Biondi et l’Europa Galante nous offrent sous la lumière fastueuse du grand Prêtre Roux.

Pedro-Octavio Diaz

 Technique : prise de son équilibrée et dynamique.

Étiquettes : , , , , , , , Dernière modification: 11 juillet 2014
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