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Le débarquement de Suède

6 Juin. 290 ans avant que les navires alliés ne pointent leur proue vers les côtes de Normandie, bien plus au Nord, à Uppsala, elle débarque. Ou plus précisément elle abdique. Puisque l’heure est aux commémorations, plaçons-nous un instant devant le monument que nous ont laissé Carlo Giuseppe Fontana & Jean-Baptiste Théodon dans la Basilique Saint-Pierre, ce sarcophage surmonté de ce médaillon de bronze et de cette couronne gigantesque, difficilement soutenue par 2 angelots à bout de force, et souvenons nous…

Pierre Louis Dumesnil Christine de Suède conversant avec Descartes © Wikimedia, Château de Versailles

6 Juin. 290 ans avant que les navires alliés ne pointent leur proue vers les côtes de Normandie, bien plus au Nord, à Uppsala, elle débarque. Ou plus précisément elle abdique. Puisque l’heure est aux commémorations, plaçons-nous un instant devant le monument que nous ont laissé Carlo Giuseppe Fontana & Jean-Baptiste Théodon dans la Basilique Saint-Pierre, ce sarcophage surmonté de ce médaillon de bronze et de cette couronne gigantesque, difficilement soutenue par 2 angelots à bout de force, et souvenons nous…

Le 6 juin 1654, la Reine Christine renonce à son sceptre et la dynastie des Vasa perd le trône de Suède. Etrange destin que celui de celle qui fut “élue” à 6 ans après la mort de Gustave Adolphe II (qui eut la funeste idée de charger avec ses troupes lors de la Bataille de Lützen) ! Elevée par un théologien (Matthiae), bénéficiant d’une éducation trop “virile”, Christine est d’abord contrainte de laisser les rênes du pouvoir dans les mains du compétent “Richelieu suédois” Axel Oxentierna avant de s’opposer rapidement à sa politique dès sa majorité (1644), soupçonnant Oxentierna de dériver vers un modèle de monarchie aristocratique.  Mais, des 10 années de règne personnel de la Reine, la postérité n’a pas retenu son habileté politique ou diplomatique, balayant d’un revers d’éventail la conclusion favorable de la Paix de Westphalie qui assure au pays le contrôle de la Baltique. Non, Christine, ce sera l’image de la cour intellectuellement brillante d’une femme qui parlait couramment le français, l’allemand, l’italien et le latin, qui attira les esprits éclairés de Grotius, Beoclerus, Freinsheim, Schefferus, Heinsius, Vossius, Saumaise, Naudé, Huet ou Pascal sans bien sûr oublier Descartes, qui alla jusqu’à aliéner les terres de la Couronnes pour supporter les fastes de ses réceptions et agrandir ses collections. Et la liberté de ton de la monarque et les fastes dispendieux de ses fêtes ne font guère bon ménage avec les luthériens de ce froid pays. ..

Aussi, le 6 juin, sous des prétextes de santé, Christine se débarrasse de sa dalmatique puis de sa religion. Le jour du couronnement de son successeur, elle quitte ses ex-états, déguisée en homme, entourée d’une suite très restreinte. Ses excès libertins résonnent encore à Anvers et Bruxelles où elle demeure presque un an, avant de passer la Noël 1655 à Rome, où elle reçoit sa première communion du Pape. Mais là encore, les mœurs scandaleuses de Christine ne s’accommodent guère plus du catholicisme, et la Curie prendra peu à peu ses distances avec la sulfureuse suédoise qui se verra même accusée du meurtre de son favori et écuyer. Et puis enfin, il y a l’autre Christine, celle des dernières années, dévote et ascète, comme pour espérer racheter un passé tumultueux qu’elle croqua à pleines dents.

Les féministes verront en cette Reine d’une admirable intelligence et d’une turbulente audace une sorte de Marie-Antoinette avant l’heure, d’une farouche indépendance. Les romantiques retiendront sa fuite en avant et sa quête de spiritualité et de savoir. Quant à nous qui ne pouvions laisser passer cette occasion de la célébrer, nous cherchons encore vainement à citer un grand compositeur suédois de son règne, avant que n’arrive Johan Helmich Roman…

Viet-Linh Nguyen

Dernière modification: 4 juin 2009
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