Rédigé par 13 h 46 min Concerts, Critiques

Le jeune sage et le vieux fou

Notre Dame de Paris, brillant de sa façade nue au crépuscule domine depuis près de mille ans le ciel parisien de ses tours gargouillées. Les célébrations du 850ème anniversaire de la construction de la cathédrale battent son plein au milieu de touristes ensorcelés par le vaisseau de pierre où dort l’Histoire.

Campra, Requiem – Charpentier, Te Deum 

Maîtrise et Orchestre de Notre-Dame de Paris, dir. Lionel Sow

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Lionel Sow – © Jean-Baptiste Millot pour Qobuz.com

André Campra (1660 – 1744)
Requiem 
Marc-Antoine Charpentier (1643 – 1704)
Te Deum 

Robert Getchell – taille
Sébastien Obrecht – taille
Alain Buet – basse
Maîtrise et Orchestre de Notre-Dame de Paris
Direction Lionel Sow[clear] 

Mardi 11 juin 2013, Cathédrale Notre-Dame de Paris

[clear]Notre Dame de Paris,  brillant de sa façade nue au crépuscule domine depuis près de mille ans le ciel parisien de ses tours gargouillées. Les célébrations du 850ème anniversaire de la construction de la cathédrale battent son plein au milieu de touristes ensorcelés par le vaisseau de pierre où dort l’Histoire. 

Lorsque le Requiem de Campra et le Te Deum de Charpentier ont été annoncés pour les célébrations de Notre Dame, un souffle de retrouvailles est apparu. En effet c’est l’Aixois, André Campra qui fut un des prestigieux maîtres de chapelle de la Maison-Dieu parisienne. En même temps qu’il faisait jouer des motets et des psaumes, il triomphait à l’opéra avec les livrets de Danchet et Houdar de la Motte.  Longtemps Campra a hésité à dévoiler sa double identité, vu la condamnation du Chapitre Cathédrale qui aurait refusé qu’un « théâtreux » s’occupe des offices sacrés. Par contre, le parisien Marc-Antoine Charpentier, qui toute sa vie aura la deuxième place, nous a laissé des chefs d’œuvre d’un rare raffinement. Le prélude de son Te Deum de 1693 est entré dans la culture populaire en étant adopté par la ORTF comme « jingle » de ses programmes et par l’Eurovision. Faire entendre la musique de Charpentier dans la nef de Notre Dame de Paris est quasiment un manifeste, tout comme le sera une reprise de Lully ou de Charpentier à l’Opéra de Paris.

Nous connaissons bien la Maîtrise de Notre Dame et la qualité de ses interprétations, le talent de ses choristes et son orchestre dans ses diverses formations. Que ce soit sous la direction de chefs divers ou même de certains compositeurs, cette communauté musicale est la digne héritière des chantres de Pérotin et Machault. Pour ce concert nous écoutons pour la première fois le jeune Lionel Sow. Nous avons été conquis par la maîtrise de sa battue et l’intelligence prononcée dans l’ornementation française dont se pare l’orchestre. Il révèle une implication et une force dans ces partitions qui demeurent originales, malgré les interprétations pléthoriques dont regorge la discographie « baroqueuse ». M. Sow a une belle conception de la voix et met en avant solistes et chœurs avec un dosage de nuances impressionnant.

Côté orchestre, les instrumentistes de la Maîtrise sont pour certains issus des formations baroques et nous offrent des moments de plaisir absolu.  Nous avons eu une belle impression des trompettistes Serge Tizac, Jean-Luc Machicot et Jean-Baptiste Lapierre ;  le timbaliste David Joignaux ;  le théorbiste Charles-Edouard Fantin et le premier violon d’Hélène Houzel. Cependant, nous sommes restés un peu sur notre faim avec le basson de Niels Coppalle.

Côté chœur, les choses sont un peu plus complexes. Dans l’ensemble, c’est équilibré, précis et même assez intelligible dans la prosodie. Cependant, on trouve bien étrange que certains membres demeurent un peu stoïques face aux indications du chef. Ainsi, dans des passages de force du Te Deum de Charpentier, on ne retrouve pas la brillance et la force que la tonalité en ré majeur doit lui conférer, et l’on peine à saisir la portée spirituelle du « In te Domine speravi », sorte de conclusion d’espoir, qui tombe comme un soufflé à l’écoute du peu de réponse du chœur. On a eu l’impression que les voix de la Maîtrise de Notre-Dame ne répondaient qu’aux passages finalement les moins spirituels. Un regret profond, puisque le chœur comporte des solistes de grande qualité.

Entre les solistes invités, de véritables spécialistes du genre nous ont apporté leur savoir faire et leur émotion. Alain Buet confirme la puissance de son ornementation et sa maîtrise du style et de la prosodie. Sébastien Olbrecht, belle découverte, déploie une force et une délicatesse de même niveau. Cependant, et nous le regrettons, Robert Getchell est demeuré un peu en retrait ce soir-là, avec des aigus un peu tendus et une ornementation assez pauvre. 

En solii de la Maîtrise, les dessus Eugénie de Padirac et Isabelle Savigny ont révélé des voix splendides malgré quelques petits accrocs de vocalise, tandis la basse de Jean-Christophe Lanièce porte des couleurs intéressantes.

Enfin, la très jeune Solène Laurent, encore dans son cilice bleu des jeunes chantres, nous révèle un instant d’exception dans le Te Deum de Charpentier.  Peu de voix, même après des années de carrière, possèdent une telle pureté, une telle compréhension profonde de l’émotion. Son « Te ergo quaesumus » est, sans exagération, l’un des rares instants de magie qui peuvent surgir des plus belles interprétations, sublimé par la nef de Notre Dame qui frémit sous ses vocalises.

Quand les lourdes portes de la Cathédrale se sont ouvertes sous un ciel apaisé de roses et de bleuets, juste un instant l’été respira une brise apaisée. Comme une nouvelle alliance intangible du divin et du terrestre. 

Pedro-Octavio Diaz

Étiquettes : , , , Dernière modification: 10 juin 2014
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