Rédigé par 11 h 58 min CDs & DVDs, Critiques

Le miel de l'Abbaye…

Jamais autant une époque n’aura célébré l’art choral avec autant de flamboyance que le XVIIIe siècle. Il devient l’aboutissement ultime, d’un baroque cherchant toujours à s’élever en un mouvement perpétuel, là où la courbe se fait couleurs, nuances, pourpres et or. Les deux œuvres retenues dans cet enregistrement par Arsys Bourgogne en sont la démonstration.

Georg Philipp TELEMANN (1681-1767)

Psaume Deus judicium tuum 

Georg-Frederic HAENDEL (1785-1759)

Dixit Dominus HWV 232

 

Yeree Suth et Ingrid Perruche (sopranos)
Britta Schwarz (alto)
Markus Schäfer (ténor)
Alain Buet et Arnaud Richard (basses) 

Arsys Bourgogne. Harmonie Universelle
Direction Pierre Cao

51’17, Eloquentia, enr. août et octobre 2008.

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Jamais autant une époque n’aura célébré l’art choral avec autant de flamboyance que le XVIIIe siècle. Il devient l’aboutissement ultime, d’un baroque cherchant toujours à s’élever en un mouvement perpétuel, là où la courbe se fait couleurs, nuances, pourpres et or. Les deux œuvres retenues dans cet enregistrement par Arsys Bourgogne en sont la démonstration. Tandis qu’à Leipzig, Bach offrait à l’humanité des trésors de générosité et d’humanisme, Haendel et Telemann offrirent au chœur  un rôle essentiel dans la représentation tragique. La voix y devient théâtre et nous emporte vers la terreur ou vers l’extase. On retrouve toutes les influences de l’Europe musicale baroque chez l’un comme chez l’autre. Et grâce à ces multiples sources, la musique qui s’y déploie y est exubérante et est une voie royale pour l’Opéra. La voix atteint des sommets de virtuosité et règne sans partage sur des cœurs assoiffés d’émotion.

Arsys Bourgogne qui fête ses 10 ans nous propose ici deux œuvres en miroir pour nous initier aux fastes de ces fresques musicales dont raffolaient le public tant à Rome qu’à Paris.

Car c’est à Rome qu’Haendel compose le Dixit dominus. Il a alors une vingtaine d’année. Il est venu en Italie se libérer des carcans austères de l’Allemagne luthérienne et découvrir la luxuriance d’une église catholique pour qui rien n’est alors assez beau.  Commande du Cardinal Colonna au musicien, le Dixit Dominus date de 1707. Il est écrit sur le texte du psaume 109. Haendel offre à la musique un pouvoir évocateur qui vient s’entrechoquer avec les mots, venant parfois les contredire mais aussi les enrichir. En dix mouvements, l’exaltation de la jeunesse du compositeur dépasse tout le langage propre aux motets, libérant une palette sonore qui s’épanouit. De cette œuvre très souvent enregistrée, Pierre Cao et Arsys Bourgogne nous en offre une lecture particulièrement dramatique. Les contrastes y sont saisissants. Le chœur en souligne les pulsations. Pierre Cao obtient dans les dialogues entre solistes et instrumentistes, comme dans le De Torrente, avec les deux sopranos, des nuances qui subliment l’émotion. Dans l’acoustique diffuse de la basilique de Vézelay le Dixit Dominus semble irradier, buisson ardent, d’où semble émaner une passion à l’intensité extatique et pourtant conquérante.

Le psaume Deus Judicium tuum de Telemann retenu ici pour compléter cet enregistrement, n’a jamais eu une vocation religieuse. Composé pour le Concert Spirituel en 1737-1738, lors d’un séjour à Paris de Telemann, c’est bien au faste qu’il renvoie, mais non à celui de l’église. C’est bien d’avantage à celui de la société aristocratique et savante parisienne, celle qui fit les heures de gloire d’une vie intellectuelle qui s’enivrait de toutes les nouvelles expérimentations musicales.

Telemann qui ne quitta quasiment jamais l’Allemagne, mais connut de son vivant la plus grande gloire, su avec génie intégrer toutes les influences de l’Europe. Venu à Paris à l’invitation de musiciens parisiens, il leur offrit ce grand motet. Il s’agit d’une œuvre virtuose de la maturité pourtant nettement plus méconnue que celle du jeune  Haendel. On y reconnaît l’ombre tutélaire de Lully et l’on regrette d’autant le choix d’une prononciation  en un latin italien et non à la française, ce qui est  certainement contraire à l’origine bien particulière de l’œuvre. Toutefois, la noblesse qu’insufflent tous les interprètes à ce motet nous fait rapidement oublier ce défaut. La direction de Pierre Cao conduit les musiciens de l’Harmonie Universelle, le chœur et les solistes parfaitement distribués à la flamboyance qui nous révèle un chef-d’œuvre oublié.

Monique Parmentier

Technique : deux lieux différents pour cet enregistrement, mais belle ampleur et rondeur favorable au chœur.

Étiquettes : , , , , , Dernière modification: 11 juillet 2014
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