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Les bizarreries de l’évêque

Ah, étonnants Sacqueboutiers de Toulouse ! On les admirait souvent pour leur rondeur, leur douceur, leur moelleux. Il faudra également citer leur verdeur, leur nervosité, leur royale pompe. Car cette fois-ci l’ensemble de Jean-Pierre Canihac a délaissé le velours pour l’éclat de l’acier afin de rendre justice à ses œuvres de Schmelzer, Fux ou Vejvanosky…

Musique à la cour de Kromeriz (Kremsier)

Oeuvres de Schmelzer, Fux, Vejvanovsky, Weckmann et Theile

Les Sacqueboutiers : Gilles Collard (violon), Jean-Pierre Canihac (cornet), Daniel Lasalle (sacqueboute), Laurent le Chenadec (basson), Serge Tizac (trompette), Yasuko Bouvard (orgue positif)

64’17, Ambroisie, enr. 2003.

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Ah, étonnants Sacqueboutiers [de Toulouse] ! On les admirait souvent pour leur rondeur, leur douceur, leur moelleux. Il faudra également citer leur verdeur, leur nervosité, leur royale pompe. Car cette fois-ci l’ensemble de Jean-Pierre Canihac a délaissé le velours pour l’éclat de l’acier afin de rendre justice à ses œuvres de Schmelzer, Fux ou Vejvanosky qui comptent parmi les plus belles pages jamais écrites pour les cuivres anciens. La Cour de l’Archevêque d’Olomuc (Olmütz) était en effet renommée pour la qualité de ses cuivres comme en témoignent les messes monumentales de Biber. Et l’évêque Karl von Liechtenstein-Kastelkorn parvint sous son épiscopat (1664-1695) à faire de Kremsier un centre musical renommé, et son goût pour les “bizarreries” musicales laissa les compositeurs libres d’expérimenter des formes audacieuses. On retrouve ainsi dans ce programme de rares sonates de Schmelzer qu’un tout jeune Harnoncourt avait défriché avec verdeur voici plus de trente ans (lors de son 2nd enregistrement pour Das Alte Werk chez Teldec), les arabesques virtuoses de Vejvanovsky (cf. aussi l’excellent enregistrement d’Ars Antiqua Austria de Gunar Letzbor), la magnificence un peu guindée de Fux. S’ajoutent à cette galerie les deux quasi inconnus Weckmann et Theile, dont les compositions procèdent à peu près de la même veine que Schmelzer.

L’approche des Sacqueboutiers est celle d’un duel de timbres, concours de virtuosité et de brillance. La sonate a tre in do maggiore de Schmelzer permet ainsi à la sacqueboute, au violon et à la trompette d’en découdre lors de passages en imitation qui sont autant de défis que les musiciens semblent se lancer mutuellement et avec facétie. Les tempi sont allants, robustes, les temps forts très marqués. La trompette naturelle fait preuve d’une confondante justesse. L’ornementation est présente mais sobre, avec quelques appogiatures et autres par ci et par-là. Point trop, car les partitions sont déjà spectaculaires en soi. En nous invitant à la cour de Kremsier, les Sacqueboutiers ont voulu avant tout dépeindre ce climat d’opulence affairée, de faste auréolé d’échos populaires, d’originalité exotique qu’était l’Europe centrale de l’ère baroque, celle où les hussards polonais étaient surchargés de plumes sur les dossières de leurs armures. Et le dépaysement est garanti.

Viet-Linh Nguyen

Technique : Prise de son transparente et rendant bien les timbres instrumentaux.

Étiquettes : , , , , Dernière modification: 25 novembre 2020
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