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Levens se lève

25 octobre 1722. Le jeune arrière-petit-fils de Louis XIV, qui n’a pas encore 13 ans, est couronné à Reims. L’événement est naturellement célébré à travers le royaume. C’est donc à grand coup de volées de cloches et de Te Deum que le peuple de France fête son nouveau Roi.

Charles LEVENS (1689‑1764)

Te Deum (1722), Deus Noster Refugium.

 

Sophie Landy et Sophie Pattey (dessus), Vincent Lièvre-Picard (haute-contre), Sébastien Obrecht (taille), Marcos Loureiro de Sà (basse), Sébastien Brohier et Marduk Serrano (basse-tailles, pour le trio des basses du motet “Deus Noster Refugium”).

Ensemble Sagittarius.
Orchestre baroque Les Passions.
Ensemble baroque Orfeo et groupe vocal Arpège.
Direction Michel Laplénie

67’29, Hortus, 2008

Extrait : “Te ergo” du Te Deum

[clear]25 octobre 1722. Le jeune arrière-petit-fils de Louis XIV, qui n’a pas encore 13 ans, est couronné à Reims. L’événement est naturellement célébré à travers le royaume. C’est donc à grand coup de volées de cloches et de Te Deum que le peuple de France fête son nouveau Roi. A Vannes, justement, un fastueux grand motet – s’agit-il là d’un pléonasme ? – aurait été composé pour l’occasion par Charles Levens. L’auguste compositeur, aujourd’hui condamné à l’oubli, occupa les postes de maître de chapelle à la Cathédrale de Vannes puis de Toulouse. Nommé directeur de la Psalette de la Primatiale Saint-André de Bordeaux en 1738, il restera fidèle à cette ville jusqu’à sa mort. Ses œuvres étaient jouées jusqu’au Concert Spirituel parisien, tandis que le compositeur s’investit également dans des débats philosophico-musico-théoriques du temps, notamment autour de l’harmonie.

Le Te Deum de Levens constitue l’une des œuvres-phare du compositeur. Vraisemblablement écrit pour le sacre de Louis XV, il fut redonné en juin 1758, en l’honneur de l’entrée officielle du nouveau  gouverneur, M. le Maréchal du Plessis de Richelieu. Preuve de son indéniable succès en dépit de l’évolution des goûts musicaux, ce parfait exemple de grand motet versaillais est toujours joué à la veille de la révolution, le 12 août 1798 en l’église des Jacobins, dans l’espoir vain que la paix revienne dans le royaume après l’annonce de la prise de la Bastille. Ce n’est que deux cents ans plus tard, en 1989, que le Te Deum retentit à nouveau, grâce à une réalisation d’Edith Deyris.

A l’écoute de ce grand motet, on songe à trois contemporains de Levens : Campra et Mondonville, voire Rameau. On y retrouve ces mêmes effets de masse, ces couleurs largement apposées, cette simplicité mélodique à laquelle vient s’ajouter des traits italianisants. Michel Laplénie décrit son écriture comme “en même temps jouissive et optimiste ; d’une esthétique et virtuosité italiennes, en compagnie d’éléments populaires comme les rythmes de danse et de ballet, marqués par ses origines provençales.” Voici le grand motet, certes encore versaillais de ton, mais qui s’est affranchi de l’encombrante majesté louis-quatorzienne et des doubles chœurs du siècle passé. Et un détail ne trompe pas, quand bien même il ne serait lié qu’aux conditions locales d’interprétation : on ne trouvera pas ici le fracas triomphant des trompettes et des timbales. 

Après une simphonie introductive enlevée, le Te Deum alterne de grands déferlements choraux jubilatoires, bâtis de manière moins homophonique que chez Lully, et des envolées solistes poignantes (“Salvum fac populum”, trio du “Dignare Domine”). Les solistes issus de l’Ensemble Sagittarius sont honnêtes bien qu’inégaux : Vincent Lièvre-Picard et Sébastien Obrecht possèdent des timbres soyeux et chaleureux compensant une émission instable et des mélismes quelque peu baveux (“Te Deum Laudamus”, “Pleni sunt caeli”), tandis que Sophie Pattey laisse admirer une voix pleine aux aigus palpables, et une belle maîtrise des ornements (“Tu rex gloriae”). Enfin, on louera sans réserve Marcos Loureiro de Sà pour sa voix puissante, goûtue et son phrasé subtil (superbes “Tu ad dexteram” et duo “Te ergo” aux audacieux chromatismes). 

Le chœur de l’Ensemble baroque Orfeo et du groupe vocal Arpège et l’Orchestre baroque Les Passions prennent la partition à bras le corps, et ce sont eux qui confèrent à l’ensemble cohésion et entrain. Le chœur, plutôt tourné vers les aigus avec des pupitres intermédiaires serrés, a choisi une texture très aérienne, y compris dans les passages solennels. Ainsi, le “Aeterna fac cum” dissèque littéralement le contrepoint qui devient alors d’une exemplaire lisibilité, constamment soutenu par l’orchestre Les Passions, qui fait preuve à la fois de liant et d’ampleur. Son chef, Jean-Marc-Andrieu, met particulièrement en valeur les bois, doublant même le basson d’un sonore et débonnaire serpent. Très attentif à la combinaison chœur-orchestre, Michel Laplénie a parfaitement dosé le dialogue entre ces deux acteurs, brossant d’une palette généreuse et homogène les deux motets. Le Deus noster refugium permet de prolonger le plaisir du motet précédent grâce à une facture très opératique : on distinguera en particulier un vif “Propterea” confié à un trio de basses, et un “Fluminis impetus” très visuel dans ses effets de vague.

Voilà donc un enregistrement tout à fait original et bienvenu qui, malgré quelques imperfections, contribuera sans nul doute à la redécouverte du grand maître de province qu’était Charles Levens. 

Viet-Linh Nguyen

Technique : Bon enregistrement, ample mais peu spatialisé

Étiquettes : , , , , , , , , Dernière modification: 25 novembre 2020
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