Rédigé par 9 h 04 min Concerts, Critiques

Fraîcheur (Mozart, Apollon et Hyacinthe – Les Folies Françoises, van Parys – 08/03/2014)

Ceux d’entre nous qui ont ânonné la lecture de la Guerre des Gaules en vue d’interminables versions peuvent mesurer la gageure qui consiste à chanter un opéra en latin ! Certes me direz-vous, les cantates témoignent que le latin peut être enveloppé avec panache, mais comment libérer l’expressivité indispensable à l’opéra dans cette langue dont on ne connait au mieux que des prononciations restituées ou fantaisistes…

Mozart, Apollon et Hyacinthe,

Les Folies Françoises, dir. Patrick Cohen-Akenine,
mise en scène Nathalie van Parys

 

Patrick Cohen-Akenine © Galatea Music

Patrick Cohen-Akenine © Galatea Music

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Wolfgang Amadeus MOZART (1756-1791)
Apollon et Hyacinthe (1767)
Opera seria en un prologue et deux actes, K 38
Livret de Rufinus Widl, d’après Les Métamorphoses d’Ovide
 
Maarten Engeltjes (Apollon)
Matteo El-Kodr (Hyacinthe)
Maylis de Villoutreys (Melia)
Sébastien Droy (Oebalus)
Théophile Alexandre (Zéphyre)
 
Mise en scène : Nathalie van Parys
Costumes : Barbara Del Piano
Coiffes : Cécile Kretschmar, assistée de Sarah Dureuil
Toiles peintes de Urban Colors
Lumières : Dominique Guerder, assisté d’Antoine Duhem
 
Orchestre Les Folies Françoises
Direction : Patrick Cohën-Akenine
 

Représentation du 8 mars 2014 à la Cité de la Musique, Paris.

Ceux d’entre nous qui ont ânonné la lecture de la Guerre des Gaules en vue d’interminables versions peuvent mesurer la gageure qui consiste à chanter un opéra en latin ! Certes me direz-vous, les cantates témoignent que le latin peut être enveloppé avec panache, mais comment libérer l’expressivité indispensable à l’opéra dans cette langue dont on ne connait au mieux que des prononciations restituées ou fantaisistes (telle celle du “latin d’église”) ? Signe indubitable de son génie musical précoce,  le jeune Wolgang-Amadeus s’y est pourtant attelé dès l’âge de 11 ans. L’intrigue choisie n’était pourtant pas vraiment destinée aux enfants : la passion commune de Zéphyre et d’Apollon pour le jeune Hyacinthe, fils du roi Oebalus, aboutit à la fin tragique de l’éphèbe provoquée par la jalousie de Zéphyr. Le librettiste a certes ajouté à la fable d’Ovide le personnage de Melia, la soeur de Hyacinthe. Mais cette action incidente accentue le décalage de la situation d’Apollon et Zéphyre, qui proclament vouloir épouser la soeur tout en déclarant leur passion au frère ! On peut aussi relever que les termes très directs de l’échange entre Zéphyre et Hyacinthe au prologue renvoient sans ambages aux allusions grivoises dont seront truffés les livrets de Da Ponte deux décennies plus tard…

Comme l’oeuvre est rarement donnée, la production de l’autre soir à la Cité de la Musique suscitait légitimement la curiosité. Et celle-ci fut comblée au-delà de toute espérance, sur les trois plans qui composent un bon spectacle d’opéra : la musique, le chant et la mise en scène. Commençons par cette dernière : ambiance plage contemporaine avec des transats, parasols, et trois grandes tentures ornés de graphes urbains qui rehaussent le fonds de scène. Zéphyre et Hyacinthe y font irruption sur des planches à roulettes, tenues de plages et lunettes de soleil de rigueur. Pour Oebalus la majesté d’un long manteau rouge recouvrant une stricte chemise noire , tenue sobre avec chapeau et gilet pour Apollon (déguisé en berger dans la fable…), et extravagante tenue à la mode surmontée d’un chapeau rose pour la versatile Melia : la transposition contemporaine est traitée avec intelligence et sensibilité par Nathalie van Parys et ses costumiers. Certains décalages jouent astucieusement sur la parodie : ainsi au prologue l’autel en l’honneur d’Apollon, mué en barbecue ! Et comme au détour d’une banlieue mal famée, c’est d’un coup de batte de base-ball que Zéphyre met fin aux jours de Hyacinthe… Ajoutons que les lumières de Dominique Guerder s’adaptent de près au déroulé de l’action, jouant savamment entre une avant-scène baignée d’éclairages pour accueillir les arias, et un arrière-plan plus sombre où se déroule le drame.

Visuellement discret sur le plateau de scène mais bien présent au plan sonore, l’orchestre des Folies Françoises, soigneusement calé sur le violon de Pierre Cohen-Akenine, nous restitue avec bonheur toute la fraîcheur de la musique du jeune Mozart. Les nuances sont bien présentes, sans être trop accentuées, et les deux duos (Apollon et Melia “Discede crudelis” , Oebalus et Melia “Natus cadit, atque Deus”) animés d’une dynamique nerveuse mais parfaitement fluide. La formation adotpte sans peine les couleurs des différents airs ; on retiendra en particulier les frémissements saccadés des cordes pour accompagner la douleur d’Oebalus (“Ut navis in aequore luxuriante”).

Côté chanteurs le plateau aligne pas moins de trois contre-ténors sur scène ! Les timbres sont bien distribués en fonction des rôles : ainsi celui de Maarten Engeltjes  assez sensiblement cuivré, souligne la majesté d’Apollon et traduit sans peine son désespoir d’avoir été banni de l’Olympe ; celui de Matteo El Kodr prend la couleur plus légère du jeune Hyacinthe, tandis que celui de Téophile Alexandre, résolument posé dans les aigus, exprime l’impulsivité pleine d’inconscience du jeune Zéphyre. Au plan vocal vocal les performances ne sont pas en reste : de Maarten Engeltjes on retiendra tout particulièrement l’air ‘Iam pastor Apollo”, aux ornements très naturels, et le très beau duo avec Melia où sa voix se mêle avec bonheur à celle de la soprano dans les redoutables aigus du final. Matteo El Kodr affiche pour sa part une fluidité sans faille dans les aigus, doublée d’une belle capacité d’abattage, qui augurent probablement de belles perspectives dans le répertoire. Et Téophile Alexandre nous offre quelques ornements stratosphériques au final de son aria “En ! Duos conspicis” qui séduisirent le public.

Le ténor Sébastien Droy complète avec bonheur les rôles masculins. Son timbre, inhabituellement grave dans le registre, s’appuie sur une projection généreuse qui campe d’emblée le personnage royal un peu vaniteux puis le père éploré et furieux. Enfin, seule interprète féminine de la distribution, Maylis de Villoutreys se livre à un stupéfiant numéro d’actrice, montant sur un tonneau lorsqu’elle se réjouit de devenir l’égale des dieux par son prochain mariage (“Laetari, locari”). Sa voix rayonne dans les deux duos, où ses aigus agiles se marient avec grâce à ceux de son partenaire.

A travers cette oeuvre de jeunesse c’est un grand Mozart que nous a proposé cette production de la Cité de la Musique, aux trop rares concerts lyriques. Les spectateurs de cette soirée ne s’y sont pas trompés, multipliant les acclamations et demandant de nombreux rappels.

Bruno Maury

Site officiel de la Cité de la Musique

Étiquettes : , , , , , , Dernière modification: 7 juillet 2014
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