Rédigé par 20 h 37 min CDs & DVDs, Critiques

Nul besoin de Rameau pour faire un bel olivier

Voici du baroque d’Europe centrale comme on l’aime. Composé en 1723 pour le couronnement de Charles VI à Prague, cet oratorio de circonstance, en latin, était à l’origine plus long. Hélas, les parties de musique dansée en ont été perdues. Subsiste un monument grandiose et plein de pompe, où solennité et enthousiasme se mêlent harmonieusement au sein d’une partition terriblement inventive, quoique sans audaces harmoniques.

Jan Dismas ZELENKA (1679-1745)

Sub olea pacis et palma virtutis conspicua orbi regia Bohemiae Corona ZWV 175
(Mélodrame de Saint Venceslas ou la resplendissante Couronne royale tchèque sous les branches de l’Olivier pacifique et de la Palme de la Vertu)

Noémie Kiss, Anna Hlavenková (sopranos) ; Markus Forster (contre-ténor) ; Jaroslav Brezina, Adam Zdunikowski (ténors) ; Ales Prochazka (basse).
Chœur d’enfants Boni Pueri, Pavel Horak chef de chœur
Musica Florea, dir. Marek Stryncl
Musica Aeterna, dir. Peter Zajicek
Ensemble Philidor (cuivres  anciens), dir. Eric Baude-Delhommais 

Direction d’ensemble : Marek Stryncl 

2 Cds, 39’42 + 55,29, Supraphon, enr. 2000

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Voici du baroque d’Europe centrale comme on l’aime. Composé en 1723 pour le couronnement de Charles VI à Prague, cet oratorio de circonstance, en latin, était à l’origine plus long. Hélas, les parties de musique dansée en ont été perdues. Subsiste un monument grandiose et plein de pompe, où solennité et enthousiasme se mêlent harmonieusement au sein d’une partition terriblement inventive, quoique sans audaces harmoniques.

Dès l’ouverture pleine de fougue, les cordes assez rudes donnent la réplique aux cuivres tonitruants et aux timbales. Les départs sont très spontanés, et leur manque de précision est largement compensé par une rutilance communicative qui rappelle les débuts d’Harnoncourt dans les cantates de Bach. L’orchestre est très présent et dénote une belle vivacité avec un zeste de brutalité sauvage, notamment du côté des cordes mal équarries, contrebalancée par la poésie sourde et bedonnante des bois. Tout au long de l’enregistrement, Musica Florea, Musica Aeterna et l’Ensemble Philidor presseront le livret de propagande jusqu’à ses retranchements et joueront sur les nombreuses ritournelles précédant les airs pour brosser avec force de grands tableaux spectaculaires, emplis de sève dramatique pour une œuvre somme toute assez statique mais que Zelenka a résolument composé à la manière d’un opéra héroïque avec ses airs da capo caractéristiques. L’approche, un peu poussive – et qui n’est pas si éloignée de cet hyper-théâtralité téméraire qu’Hervé Niquet montre dans les tragédies lyriques – a le mérite d’imprimer un mouvement irrépressible à l’oratorio, et lui redonne artificiellement une cohérence et une unité à première vue assez douteuses au vu du texte.

Les solistes sont convenables dans l’ensemble, quoique leurs prestations ne soit pas dénuées d’imperfections : voix souvent vertes, aplaties, scolaires ou brouillonnes dans les vocalises, parfois instables au niveau de l’émission. Pour être tout à fait franc, pris séparément, les chanteurs se révèleraient assez médiocres. Heureusement, la passion et l’investissement de toute une équipe sont là, à chaque instant, quand bien même la technique demeure balbutiante. Et l’on pardonne tout. Car l’œuvre est d’une facture extraordinairement riche, jouant sur les climats, les timbres instrumentaux, enchaînant les airs à vocalises.

Marek Stryncl a bien saisi cette joie paradoxalement royale et populaire, ces mélodies entêtantes et simples qui rappellent un Haendel mâtiné de Vivaldi, cet orchestre fastueux indispensable à la bonne tenue de la fête. Sa lecture, uniformément triomphante et optimiste baigne dans l’opulence décomplexée, se gorge des possibilités spectaculaires que permet la partition. Avec jubilation et énergie, avec un entrain rude mais sans violence ou hâte intempestive, le chef déroule un tapis rouge frangé d’or sur plus d’une heure et demie presque éprouvantes par leur magnificence. Aucun jeu de lumière et d’ombre, de tension et de relâchement ne perce au cours de ce glorieux marathon dévalé avec une allégresse irrésistible et peu subtile. Si, comme le prétendait Napoléon, le trône impérial n’est qu’une planche garnie de velours, la “resplendissante Couronne royale Tchèque” ne s’est pas contentée  d’une musique aussi spartiate…

Amandine Blanchet

Technique : enregistrement un peu caverneux et aux contours imprécis. Voix en retrait. Orchestre très bien capté.

Étiquettes : , , Dernière modification: 9 novembre 2020
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