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Harke, harke! Lyra Violls Humors and Delights (Captain Tobias Hume, Les Basses Réunies – Alpha)

On ne sait rien, certes, de Tobias Hume, ou presque, prétendre donc le cerner est vain. Mais la série d’indices qu’il nous glisse dans sa prose tant verbale que musicale, son orthographe intéressante (même pour l’époque), sa bravacherie, sa mélancolie, son humour, sa sauvagerie, son élan, son invention ainsi sa palette d’humeurs changeantes, nous en dit beaucoup plus que tous les biographies que l’on pourrait lui inventer.

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Captain Tobias Hume (1569?-1645)

Harke, harke!
Lyra Violls Humors & Delights

 

hume_bassesreunies_alphaGuido Balestracci (lyra viols), Bruno Cocset (dessus et lyra viol), Richard Myron (consort bass), Bertrand Cuiller (clavecins Malcolm Rose cordé en laiton et Jean-François Brun cordé en boyau)

Les Basses Réunies

70’30’, Alpha, 2014. 

« And from henceforth, the statefull instrument Gambo Violl shall with ease yeelde full various and as deviecefull Musicke as any other instrument »  – Préface à Poeticall Musicke (1607)

 

Lorsque, dans nos listes musagètes internes, établies pour la répartition des merveilles de nous avons à décrire mensuellement dans nos pages vertes, paraît le nom mille fois répété, lu, écrit, admiré, sublimé, soupiré du Capitaine bravache, votre serviteur exulte d’abord, puis réfléchit deux secondes craignant d’être trop exigeant, avant d’exulter à nouveau finalement et de se dépécher d’exiger d’être le critique toujours acerbe de l’opus orné d’un tel nom — ce qu’on lui réserve généralement d’office.

En somme, entre votre serviteur ici présent et Tonton Tobias, vous le savez peut-être déjà ou l’aurez compris, c’est une histoire sérieuse, de cœur, de tablature, de violes de gambe et d’oxymores, de parties, de diminutions, en somme une passion. Donc pas toujours très objective. Ainsi lorsqu’arrive un disque tel que celui-ci sur notre bureau encombré, c’est avec une défiance certaine mais attentive qu’il est inséré dans son lecteur, craignant le pire, espérant — quoi ? Une compréhension du bonhomme peut-être, plus encore que celle de sa musique, car les deux, plus que dans l’œuvre de n’importe quel autre compositeur de l’époque, sont plus que liés.

Et c’est ce qui est clair ici, avec Guido Balestracci, et les Basses réunies par Bruno Cocset. Et découvrir, écouter, se laisser embarquer par de tels disques rares est une joie sans limites.

On ne sait rien, certes, de Tobias Hume, ou presque, prétendre donc le cerner est vain. Mais la série d’indices qu’il nous glisse dans sa prose tant verbale que musicale, son orthographe intéressante (même pour l’époque), sa bravacherie, sa mélancolie, son humour, sa sauvagerie, son élan, son invention ainsi sa palette d’humeurs changeantes, nous en dit beaucoup plus que tous les biographies que l’on pourrait lui inventer.

Son humour : les titres que donne Hume à ses pièces sont des clés précieuses pour les lire et elle n’ont pas toujours le sérieux qu’on pourrait attendre : nous passerons rapidement sur la jolie gaillardise des My mistresse hath a prettie thing (légère, sautillante, sucrée, jamais vulgaire), pour parler plus avant de la Humorous pavin: une pavane en 4 parties (?), qui commence avec le sérieux de la sublime Captaine Humes Pavan. Balestracci joue ici le premier degré: du poids comme il se doit au début. Puis arrive la troisième partie qui dégénère en croches et doubles, que le violiste laisse dégénérer en maintenant pourtant toujours la ligne. C’est une surprise totale, géniale, on s’esclaffe.

Sa mélancolie : What greater griefe, un song accompagné à la viole, repris dans le deuxième volume du Capitaine, dans une version à trois basses et une voix. Ici l’ensemble harmonieux propose d’entendre les deux versions consécutivement, comme si le premier couplet (se concluant par No man unhapier lives on earth than I) était chanté seul avec désespoir au dessus avec une basse discrète à la lyra viol, rejointe au deuxième par le clavecin et une deuxième basse qui happent cette tristesse, pour laisser finir quasi-sola la voix de dessus, dans la dernière phrase, la lyra-viol s’effaçant dans un très-léger pizzicato, laissant planner et ouvrir le dessus sur une lueur d’espoir (comme le suggère encore une fois le texte: Ile kill dispaire with hope and so deceive thee.) C’est rond, plein, tenu jusqu’à la dernière extrémité, les notes hautes déchirantes, les basses les soutenant avec une rondeur inhabituelle qui les amplifie.

Sa sauvagerie : A Souldiers Resolution, qui décrit à l’instar d’un Clément Janequin ou d’un William Byrd, une bataille avec une viole de gambe sola. On sent ici l’atmosphère bruyante, inquiétante d’un champ de bataille du seizième siècle, avec ses fumées de canons, ses cris, ses trompettes, ses tambours, et surtout l’exaltation que Hume a à y être et à nous le donner à entendre. C’est fou, rapide, les tempi changent, s’adaptent aux moments de la bataille, ça accélère, ralentit, souffle. C’est parfois lourd (March away), léger (Trumpetts), vibrant (l’ouverture). On y est, et c’est carnassier. Deux tous petits points négatifs (tout de même) : on regrette que l’un des musiciens se soit décidé à annoncer les parties de la Resolution car l’accent tout de même assez français en anglais dudit musicien nous sort quelques courtes secondes de cet univers formidable, où l’on eût également aimé que toutes les reprises soient faites, pour prolonger le plaisir et les nuances auxquelles s’amuse le musicien.

Son élan : The Spirit of Gambo. Ça fuse, c’est emporté, dès le premier accord. Les quatre sont ici réunis, on tourbillonne dans la Viole de gambe et la vaste palette de couleurs qu’elle peut proposer, contrastée par les laitons du clavecin de Bertrand Cuiller qui vient percuter cette vague de ses accords plaqués mais pourtant limides, légers et clairs. La troisième partie est ronde, en gardant les étincelles de la première : on en ressort comme après avoir été bouleversé par le roulis maritime d’une plage atlantique, en redemandant, un sourire ébahi aux lèvres, les yeux luisants.

Sa folie : Fain would I change that note. Petit song envolé, qui ici, pour le premier couplet, commence comme une brumeuse mélodie à la cornemuse jouée à la proue d’un navire battu par les embruns, avec des accords profonds et sombres à la basse, et un dessus légèrement empésé qui tente de percer les nues infranchissables. Et hop ! Le deuxième couplet se lance comme un joyeux branle, avec du suspens, de la retenue, accompagné par les boyaux du clavecins de Cuiller, et les pizzicati des autres basses. Ça s’envole, ça se retient, ça repart, On danse, on rigole, on est édifié, ça part dans tous les sens, pour le mieux. Des spectateurs présents à chacune des écoutes de ladite piste par votre serviteur auraient même remarqué qu’ils s’exclamait des Ohlala! Rhoooo! Waaah! admiratifs sans cesse renouvelés.

Son invention : Hume était un précurseur, un inventeur. Il pose la Viole de gambe comme instrument soliste, contre le luth. Il invite à Drum with the backe of your Bow, à play with your finger. Il impose d’accorder ses violes en Sol comme un luth et non en Ré, et surtout propose d’aménager son instrument, en doublant les trois basses comme sur un luth, pour en faire une viole à neuf cordes. Certaines de ses pièces sont écrites pour la mystérieuse lyra-viol, terme courant dans l’Angleterre de l’époque, qui désigne parfois beaucoup de choses, mais rien de précis. En tous cas surtout un accord de l’instrument différent de l’habituel — mais on dénombre 60 variantes à la lyra-viol dans les différents recueils qui parsèment le dix-septième siècle. Un des grands achèvements du disque, en dehors de tous les cités plus haut, est celui d’avoir aussi tenu à cette invention du Capitaine, et ainsi, d’avoir inventé si l’on peut dire (en se basant tout de même sur des trucs, hein, attention) de nouveaux instruments, propres à jouer cette musique foisonnante, apportant de nouvelles couleurs à celles que l’on peut connaître déjà à la viole, grâce à la collaboration de Bruno Cocset et de son fidèle luthier Charles Riché. Ainsi, le son est plus rond, plus riche et complexe, intrigant que celui d’une viole de gambe — attention, que l’on ne se méprenne pas, votre serviteur n’en dédaigne pas pour autant cet instrument si cher à son cher Capitaine.

Ce son nouveau et inouï, de même que les éléments précédents et de l’inventivité amusée de ses interprètes, permet donc au disque qu’il ne soit pas un autre bon album des musiques de Tonton Tobias, comme il en existe tout de même, mais qu’il soit un extraordinaire exemple hors-normes, que l’on écoute sans admonestation nécessaire, des hors-normes et très-excellentes Inventions du Capitaine Hume. 

Charles Di Meglio

Étiquettes : , , , , , , , Dernière modification: 25 mars 2024
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