Rédigé par 13 h 05 min Concerts, Critiques • Un commentaire

“Tout à coup le vent change, il amène l’orage…” (Falvetti, Il Diluvio Universale, Chœur de Chambre de Namur, Cappella Mediterranea, Leonardo García Alarcón – Opéra Comique, 3 avril 2013)

Boréal début de printemps que vit Paris en 2013. La Seine, dans ses remous et ressacs, a le cœur glacé des amours citadines. Et auprès des lampions des boulevards, d’est en ouest, s’annonçaient des soleils de gaz et d’électrons. Paris, comme le triste Abaris des Boréades a subi depuis des semaines les rigueurs des frimas, la caresse plaintive de la pluie et les torpeurs de la brume.

Leonardo García Alarcón à la Villa Médicis, 2018 © Mariana Flores

Michelangelo Falvetti
Il Diluvio Universale

Noé – Fernando Guimaraes – ténor
Rad – Mariana Flores – soprano
Giustizia Divina – Evelyn Ramirez Muñoz – mezzo-soprano          
Morte – Fabian Schofrin – contre-ténor
Aqua – Magali Arnault Stanczak – soprano
Aere & L’Humana Natura – Caroline Weynants – soprano
Fuoco – Thibaut Lenaerts – ténor
Terra – Sergio Ladu – basse
Dio – Matteo Bellotto – basse

Percussions – Keyvan Chemirani
Chœur de Chambre de Namur
Cappella Mediterranea
Dir. Leonardo Garcia Alarcon

Mercredi 3 Avril 2013, Salle Favart, Opéra Comique, Paris.

Boréal début de printemps que vit Paris en 2013. La Seine, dans ses remous et ressacs, a le cœur glacé des amours citadines.  Et auprès des lampions des boulevards, d’est en ouest, s’annonçaient des soleils de gaz et d’électrons. Paris, comme le triste Abaris des Boréades a subi depuis des semaines les rigueurs des frimas, la caresse plaintive de la pluie et les torpeurs de la brume. Dans la salle Favart, éclatante de dorures impénitentes, sous les yeux de Carmen et de Jeannette, tout près de Philidor, Monsigny, Berton et Berlioz, la perle de l’ouragan allait s’offrir sur la scène palpitante de l’Opéra Comique.

Il Diluvio Universale, que nos pages ont déjà chroniqué lors de sa reprise triomphale au Festival d’Ambronay, apportait à Paris le soleil et l’arc-en-ciel de Sicile sous les feux musicaux de l’orage et de la tourmente. Trois ans ont passé depuis la recréation absolue de cet oratorio en 2010.  Le projet est en effet en constante évolution et la musique ne cesse d’être interprétée différemment. Justement, le problème principal de l’interprétation de la musique ancienne et de sa réception réside dans l’acceptation de l’instantané, de la forme en éternel mouvement. Le propre de l’interprétation est d’être aussi partiale et personnelle, inhérente aux artistes qui l’exécutent. Quand un artiste s’approprie suffisamment le grain de l’œuvre, quand avec honnêteté il arrive à soulever le mystère et la magie de la création, il peut rendre cette œuvre universelle et avoir une part de gloire dans son ascension. 

Les gens communément et très souvent les férus des loges matelassées conviennent que le plaisir vient de l’interprétation. Mais ils ne voient pas que la nature réelle de l’interprète est celle d’un architecte, d’un restaurateur, d’un instituteur de beauté, pas celle d’un créateur.

Pour cette mouture du Diluvio Universale, nous retrouvons la même équipe qu’au Festival d’Ambronay, sauf Sergio Ladu, les mêmes voix se pressent pour nous apporter les eaux et les ténèbres. Quitte à revoir un spectacle, on aurait pu craindre un changement d’orientation dans la distribution. Mais, malgré le risque de ne pas retrouver la magie estivale d’Ambronay sous les ors et les tentures de Favart, le pari a été remporté. Surtout que la musique est en éternelle évolution, profitant du pari de l’improvisation que Leonardo Garcia Alarcon fait à chaque représentation.  C’est par ce parti-pris qu’il retrouve toute la fraîcheur et l’innovation de ces musiques.

Leonardo Garcia Alarcon revisite son Diluvio avec des couleurs très différentes, comme si la saison avait changé et la musique de Falvetti, universelle en tout sens, s’éveille sous le soleil pâle de Paris. Dès l’ouverture, nous saisissons une force impressionnante dans l’interprétation. Les émotions sont davantage mises en avant et, malgré la coupure de l’air sublime « L’Universo e mia palestra », la Giustizia Divina de Evelyn Ramirez tonne avec des graves profonds et puissants, un cisèlement des vocalises cuivrées et une diction parfaite. Il est est émouvant pour cette grande Carmen dans son Chili natal de chanter sur la scène de la création du chef d’œuvre de Bizet. Le chœur des éléments est l’une des petites faiblesses que nous avons néanmoins relevées. Nous ne trouvons plus cette force percutante, cette diction puissante de chaque élément, et l’Eau de Magali Arnault passe trop vite sur la poésie des « molli argenti »  et peine un peu dans son air de tempête. Il est regrettable que sa voix si ductile finalement tombe dans les aigus convenus. Peu importe elle se rattrapera plus tard. Ne parlons pas de Caroline Weynants, pratiquement inaudible, ou de Thibaut Lenaerts qui demeura en retrait, et Sergio Ladu sans réelle force dans la voix. 

La surprise vient de la splendide Mariana Flores, qui apparaît comme une divinité primitive, une Vénus du Tassilli, terriblement moderne et universelle dans sa féminité et la sensualité de son chant. Nous admirons ses aigus, délicats, ornementés avec goût et puissance, une réelle évolution depuis un an, sa voix a gagné en nuances, en couleurs plus brillantes, ce dont nous nous  réjouissons. Nous admirons les prestations et l’intelligence des ornements de Fernando Guimaraes, toujours aussi délicat et élégiaque. Pour combler notre plaisir le Dio de Matteo Bellotto nous a surpris. Passablement fade à Ambronay, il en devient terrible, viril et mystérieux à Favart. Il gagne à être entendu et sa puissance nous enthousiasme ; c’est un pari gagné. Et que dire de Fabian Schofrin, toujours d’une perfection théâtrale dans sa Morte insaisissable. Ses aigus sont bien plus développés, plus amples et ses ornementations nous étonnent de plus en plus. 

Un mot encore sur Caroline Weynants. Nous adorons son timbre naturel, simple et dramatiquement juste. Elle nous offre une Humana Natura crédible et émouvante. Dommage que le tempi de son « Apritemi il varco a la morte » ne lui laisse pas suffisamment de souffle pour nous offrir ses vocalises qui nous vont droit au cœur. Néanmoins nous avons un plaisir immense à l’entendre dans sa douceur et son sens dramatique hors pair.

Nous tenons à insérer une mention spéciale pour Keyvan Chemirani, sublime percussionniste qui, malgré des commentaires désobligeants du public de l’Opéra Comique sur le mélange de genres,  notre soutien pour ses couleurs dosées à la perfection dans cette œuvre composite. Nous espérons un jour qu’il nous offre un récital en solo, tant son talent est confirmé. De même, la harpe de Marie Bournisien est d’une nuance sans faille, les théorbes de Thomas Dunford et de Quito Gato se révèlent splendides, les sacqueboutes de Jean-Noël Gamet et Fabien Cherrier présents et précis.

Le Chœur de Chambre de Namur a manqué quelque peu le cataclysmique « Assorban la terra ». Mais, outre ce passage merveilleux, il nous a ravis jusqu’à la fin quand la Cappella Mediterranea et Leonardo Garcia Alarcon ont fait paraître l’ « Iride paciera » sous le ciel grisâtre de Paris.

Favart consacra ce Diluvio Universale. Qu’aurait pensé le vieux Falvetti du triomphe que Paris offrit ce soir à son Ex-Voto ?  Aurait-il songé à l’harmonie entre l’homme et le divin  ou bien se serait-il dit en souriant : « Tutto nel mondo e burla » ?

Pedro-Octavio Diaz

Site officiel de l’Opéra Comique  

Étiquettes : , , , , , Dernière modification: 22 décembre 2021
Fermer