Rédigé par 17 h 00 min CDs & DVDs, Critiques

Venise en héritage

Il me faut passionner les gens pour la musique, tel est le credo d’Albrecht Mayer, qui a pris la direction du nouvel l’orchestre baroque New Seasons Ensemble (sur instruments d’époque), afin de livrer un récital de pièces choisies, écrites spécialement pour le hautbois ou le hautbois d’amour.

“In Venice”

Concertos pour hautbois de Vivaldi, Platti, Marcello, Lotti, Albinoni

Albrecht Mayer (hautbois)
New Seasons Ensemble, direction Albrecht Mayer

70’52, Decca, 2008 [clear]

“Il me faut passionner les gens pour la musique“, tel est le credo d’Albrecht Mayer, qui a pris la direction du nouvel l’orchestre baroque New Seasons Ensemble (sur instruments d’époque), afin de livrer un récital de pièces choisies, écrites spécialement pour le hautbois ou le hautbois d’amour. Pari tenu pour cet hautboïste talentueux et ancien choriste qui a réussi comme aucun autre à extirper la hautbois de la fosse d’orchestre, et dont le jeu se caractérise par la sonorité particulièrement chaleureuse des phrasés inspirés du chant. On regrettera toutefois que le soliste continue de jouer sur un instrument moderne, dont la sonorité lisse et perçante sonne de manière presque incongrue pour des oreilles abreuvées aux effluves grainées de Bruce Haynes, et autres Paul Dombrecht.

Rompu à la rigueur exigeante et élégante de Bach, et amoureux de l’Italie, Albrecht Mayer a voulu partir à la rencontre de la Venise baroque, celle qui flotte entre les brume de la Lagune à l’aube, celle qui surgit fugitivement, la nuit, au tournant d’une ruelle, celle enfin dont l’âme architecturée est restituée par le son clair et net du hautbois. Le lien avec Bach ? Albrecht Mayer, fasciné par l’idée de prêter la voix du hautbois aux œuvres initialement écrites pour le chant ou pour d’autres instruments, a beaucoup travaillé sur des transcriptions de Bach pour hautbois et orchestre, transcriptions elles-mêmes issues, pour beaucoup, d’œuvres de Vivaldi.

C’est donc de manière naturelle, comme introduction à l’âme vénitienne, que s’ouvre ce récital, sur une interprétation iconoclaste de « L’Inverno » de Vivaldi, où le hautbois remplace le violon et accentue ainsi le ton langoureux et mélancolique de la pièce. La touche de Jean-Sébastien Bach se fait également sentir dans le Concerto pour hautbois en mineur d’Alessandro Marcello , pour lequel le maître avait laissé une transcription augmentée de tournures et de nouveaux ornements pleins d’audace qui pimentent le flux placide du second mouvement, ornements que Mayer respecte avec soin.

La propre liberté d’invention du hautboïtiste Bambergeois se manifeste plus largement dans les concertos de Platti, Lotti et Albinoni.

Avec Antonio Lotti (1667-1740), Vénitien qui vécut longtemps à Hanovre et à Dresde, on retrouve le lien entre la Sérenissime et la culture germanique. De même avec Giovanni Platti (1692-1763) qui, après s’être formé à Padoue, Venise et Sienne, émigra ensuite en Allemagne. Quant à Tomaso Albinoni (1671-1751), s’il resta fidèle à Venise, son œuvre fut appréciée par Bach qui lui emprunta des thèmes musicaux…

Le thème secret prégnant dans ce récital est donc la correspondance entre Venise et l’Allemagne, la sensibilité évanescente, rêveuse et parfois mélancolique de la Sérénissime alliée à la clarté expressive de l’âme germanique. C’est donc une anthologie raffinée, trésors choisis avec soin et intelligence, qu’Albrecht Mayer extrait pour nous de son jardin musical.

La maîtrise de Mayer met en valeur la transparence instrumentale et la sensualité expressive du hautbois qui se fait tour à tour joyeux et sautillant dans l’exécution du Concerto en ré mineur d’Alessandro Marcello, gracieux et sobre chez Antoni Lotti, ou bien sensuel et retenu dans la Canzona « Se morto mi brami perché non m’uccidi » de Benedetto Marcello. L’exécution brillante de chaque morceau est servie par un excellent ensemble d’où se démarquent une contrebasse et un théorbe, alternant avec un luth, un orgue de chambre et un clavecin.

Voilà donc CD agréable à écouter, mezzo voce, en rêvant aux gondoles qui glissent silencieusement dans les canaux, la nuit, entre les palais à l’architecture ciselée et les églises aux dômes déjà orientaux, et dont on ne déplorera jamais assez que le hautbois moderne de Mayer qui a cependant su s’adapter à la rhétorique baroque.

Hélène Toulhoat

Technique : prise de son neutre et dynamique.

Le site officiel d’Albrecht Mayer 

Étiquettes : , , , , , , Dernière modification: 25 novembre 2020
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