|
Rechercher
- Newsletter
-
Qui sommes-nous ?
-
Espace Presse - FAQ
-
Contacts -
Liens
- |
|
mise à jour 6 janvier 2014
|
Vers la naissance d'un style français
Observatoire de Paris construit entre 1668 et 1672 par Claude Perrault © Muse Baroque 2006 Ainsi, l’opéra en France a été jusqu’ici un échec cuisant – nous sommes en février 1662. D’opéra, il n’y en aura pas d’autre avant 1671, année de création des Peines et plaisirs et de l’amour et de Pomone de Cambert. Pourtant, entre temps l’Italie n’a pas été complètement éclipsée. Et pour cause : le premier musicien du pays, Lully, est né dans la campagne de Florence ! On connaît bien le paradoxe de cette époque : Charpentier, tout français qu’il est, aime passionnément la musique italienne, l’admire, s’en inspire et en compose, tandis que Lully, qui, paraît-il, n’a jamais complètement perdu son accent florentin, est le champion de la musique française. N’empêche : nous sommes au début du règne de Louis XIV, Charpentier est un nom courant qui n’a rien de bien particulier, et Lulli est un italien. Et le champion de la musique française alors, c’est plutôt Lambert[1], le compositeur d’airs de cour, à qui l’on peut joindre Boësset[2], qui compose les récits d’ouverture des ballets. On sait d’avance, nous, que Lully va créer non seulement l’opéra français, mais aussi va donner son caractère définitif au ballet de cour et à l’ouverture à la française. Le premier va progressivement se dégager de la cour sous l’influence du Roi, et va progressivement devenir une œuvre personnelle – alors que la musique en était composé par un collège de compositeurs – sous la baguette de Lully. L’ouverture existe elle aussi déjà, dans la succession lent – vif, avec les rythmes caractéristiques de la première partie, mais c’est Lully qui va lui donner son autre caractère d’opposition : le ternaire. Au départ, la partie centrale est binaire, tout comme le début ; Lully va lui donner un temps de plus, et lui voilà le sautillement que nous connaissons. Ensuite, il ajoutera le rappel des rythmes lents et pointés à la fin. Lully ne crée pas : il peaufine. Bref, revenons-en à la Querelle qui nous occupe. Elle n’existe pas encore, bien sûr : la musique italienne n’a aucun intérêt pour les oreilles françaises. On y comprend rien, mieux valent nos ballets ! Qu’à cela ne tienne, c’est par le ballet que l’opéra reviendra en France. Lully va introduire dans plusieurs œuvres des dialogues entre la musique italienne et la musique française. A cette époque, il n’est encore qu’un “baladin” : il danse, et surtout il “pantomime”, le monde du ballet est le sien. Il va être progressivement amené à composer. Ainsi, il a déjà inséré des intermèdes chantés en Italien dans un précédent ballet, le Ballet de l’amour malade (1657). Or le public a tiqué : cet italien, dans une chose aussi française que le ballet, ça ne va pas ! D’ailleurs la mascarade des Plaisirs troublés le fera sentir, en manifestant clairement la mauvaise humeur des musiciens face à l’intrusion des Italiens dans notre ballet, notre gloire nationale. En réaction, Lully va composer dans un style héroïque – au lieu du burlesque qu’on lui connaissait – et cela sera très français, rien que français. Malgré cela, il ne renonce pas, il veut se faire entendre et c’est pourquoi il va insérer un dialogue en musique dans le Ballet royal d’Alcidiane, dont le sujet est emprunté au roman de Gomberville Polexandre. Dans le roman, après de nombreuses aventures, Polexandre parvient à l’île inabordable où il doit retrouver une princesse, Alcidiane. Le ballet est centré sur le royaume d’Alcidiane, et on va nous le montrer. Aussi, dans le prologue, un concert sera offert aux courtisans de l’île : « et comme [Alcidiane] a des Musiciens de toutes les Nations, ce Concert se fait en Italien et en François » dit le livret du ballet. Un récit italien, un récit français, mis côte à côte pour permettre la comparaison. La musique italienne, pour cette première fois, va être présentée sous un aspect très modéré : peu de modulations, et celles-ci peu audacieuses, pas de dissonances hardies, pas d’exclamation pathétiques, et une seule toute petite vocalise (six croches, une mesure, en notes conjointes, c’est dire !), bref : c’est de la musique française chantée en italien. La France, elle, s’exprimera dans un langage extrêmement sobre, aux modulations douces, aux rythmes calqués sur le vert, aux valeurs longues. Ce qui a choqué les Français dans l’opéra italien qu’il a vu jusqu’ici, c’est l’excès d’excès : trop de digressions, de personnages, de situations, de mélange des genres dans le livret ; une musique trop étrange, trop pathétique, trop extravagante. La France n’aime pas cela. Ces excès seront d’ailleurs beaucoup plus visibles dans le deuxième dialogue, qui s’insère dans le Ballet de la Raillerie (1659). Le thème du ballet va autoriser Lully à traiter cette fois le sujet avec humour, et c’est ce qu’il fera. La musique française et la musique italienne seront personnifiées, et présentent sur scène : elles vont réellement dialoguer, pour s’envoyer quelques méchancetés à la figure. Retenons quelles reproches sont faits à la musique italienne : « chants languissants », « fredons ennuyeux », elle est aussi trop éloignée du vrai[3]. Mais la musique française n’en sort pas indemne non plus : elle s’est fait taxée au passage de « mélopées tristes et languissantes » ! Heureusement, nous sommes-là pour le bon plaisir du monde, alors les deux musiques vont se réconcilier : après tout, quand on aime, on a pas de mal à se comprendre[4]. Ce qui est intéressant, aussi, c’est que le chant va s’en ressentir, mais de manière étrange : la musique française va certes parodier l’italienne en lui roucoulant quelques mesures de vocalises. Mais la musique italienne, tout en cherchant à moquer l’excès de raffinement de demies-teintes de sa consœur, ne peut renoncer à ses harmonies difficiles (pleines de septièmes) et à ses chromatismes. Enfin, la musique française ne va pas se gêner non plus pour garder ses ornements pour exprimer sa « langueur ». Bref, pour le coup, la musique française l’emporterait presque ! Au passage, notons que dans ses deux dialogues, Lully a montré qu’il savait doser les effets italiens pour ne pas les rendre dégoûtants : l’air italien d’Alcidiane allait dans ce sens ; d’ailleurs, sa petite vocalise aurait très bien pu se trouver dans Atys. Mais aussi et surtout, avec le second dialogue, il a montré qu’il savait très bien composer de la musique française. C’est sur ces bases que va se construire le troisième dialogue, celui du Ballet des Amours déguisés (1664). Et ce troisième sera l’œuvre non du seul Lully, mais aussi celle de son beau-père, Michel Lambert. Ce dernier composera un long dialogue d’Antoine et Cléopâtre. C’est de l’air de cour en forme de dialogue, en réalité : formes closes, faible ambitus, raffinement extrême. Lully, lui, va cette fois se poser en Italien : il va composer dans un style italien avec, certes, une faible mobilité harmonique, mais tout de même vocalises, pathos, etc., un lamento d’Armide. Dans la conception de l’air (en différentes sections, qui se répètent, avec des ritournelles intercalées) est très proche de la musique italienne, des cantates de Luigi Rossi, des grands airs de Cavalli. Mais ce qui est aussi très intéressant, c’est qu’au moment de l’opéra français, l’air affectera effectivement cette disposition alternant chant et ritournelles. Mais n’anticipons pas (trop). Ce que montre ce dernier dialogue, c’est que la musique française telle qu’elle existe n’est pas apte à créer l’opéra : elle fait trop de l’air de cour, elle s’enferme dans ce cadre strict, alors que l’opéra exige une forme tournée plus vers l’extérieur qu’intériorisée : cela ne veut pas dire que l’opéra n’a aucune intériorité, mais l’air de cour, lui, n’est pas fait pour la scène. Un ensemble d’airs de cour mis bout à bout ne fait pas un air d’opéra, ni même un dialogue ; cela ne vit pas. Alors que les sections, a priori distinctes, de l’air italien sont reliées par des ritournelles, et sont écrites dans un style qui s’expose. En somme, Lully a déjà compris qu’au moment de créer l’opéra français, il ne faudra pas faire de la musique italienne (les deux premiers dialogues), ni complètement de la musique française : la voie royale sera celle d'une synthèse du style italien (formes ouvertes, continuité du discours, ritournelles) et du style français (mélodies simples mais ornées, harmonie sans complications extrêmes, expression retenue). Le style français sera dont définitivement empreint de caractères italiens. Mais pour autant, il restera français, car il ne s’agira pas de mélanger réellement les deux de manière égalitaire, mais d’importer ce qui manque au style français pour le rendre apte à l’opéra. Notons enfin, avant de nous laisser aller à une autre étape, que jusqu’à la tragédie lyrique, il y aura d’autres airs italiens : repensez au Bourgeois gentilhomme avec son air de cour au début[5], et son air italien à la fin[6] ; pensons aussi et surtout à la « Plainte italienne » de Psyché[7], qui se situe dans le temps à la veille de la tragédie lyrique.
[1] Michel Lambert (1610-1696) a composé beaucoup d’airs de cour, quelques pages vocales dans quelques ballets. Il est aussi le beau-père de Lully, et l’aidera de son savoir faire musical. [2] Antoine Boësset (1586-1643) a fait paraître neuf livres d’airs de cour, et a composé pour les ballets de cour. Il a été conseiller et maître d’hôtel ordinaire du Roi et surtout Surintendant de la Musique de la Chambre du Roi. On lui attribue aussi des compositions religieuses, qui sont peut-être néanmoins dues à son fils, Jean-Baptiste. [3] Mus. It. : « Moi je chante avec plus de force que toi / Parce que j’aime plus que toi. / Qui ressent une douleur mortelle / Ne peut plus que crier merci. » Mus fr. : « La manière dont je chante / Exprime mieux ma langueur : / Quand ce mal touche le cœur / la voix est moins éclatante » [4] Toutes deux : « Cessons donc de nous contredire : / Puisque dans l’amoureux Empire / Où se confond incessamment / Le plaisir et le tourment / Le cœur qui chante et celuy qui soupire / Peuvent s’accorder aisément. » [5] Acte I, scène 2. Il s’agit de l’air de la musicienne, « Je languis nuit et jour » qu’on a vu l’élève composer. [6] Dans le Ballet des Nations qui clos magistralement la comédie, dans l’Entrée des Italiens, « Di rigori armata il seno… » [7] Elle se situe au premier intermède. Introduite par une longue « symphonie », qui n’est pas sans rappeler la « symphonie » du Dies irae du même Lully. Le lamento de la femme affligée s’ouvre sur « Deh ! piangete al pianto mio… »
|
|
Affichage recommandé : 1280 x 800 Muse Baroque, le magazine de la musique baroque tous droits réservés, 2003-2014
|