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6 janvier 2014

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Chronique Concert

Bach, Amadis de Gaule,

Le Cercle de l’Harmonie, dir. Jérémie Rohrer,

mise en scène Marcel Bozonnet

 

 

 

© Pierre Grosbois pour l'Opéra Comique

 

Jean-Chrétien BACH (1735-1782)

 

Amadis de Gaule

Tragédie-lyrique en trois actes, sur livret d’Alphonse de Vismes, d’après le livret éponyme de Philippe Quinault.

 

Philippe Do, Amadis

Hélène Guilmette, Oriane

Allyson McHardy, Arcabone

Franco Pomponi, Arcalaüs

Julie Fuchs, Urgande / Premier coryphée

Alix Le Saulx, La Discorde / Second coryphée

Peter Martinčič, La Haine / L’ombre d’Ardan Canil

 

Compagnie chorégraphique La Cavatine

Chœur Les Chantres de la Chapelle (chef de chœur : Olivier Schneebeli),

Le Cercle de l’Harmonie

Direction Jérémie Rohrer

 

Mise en scène : Marcel Bozonnet

Décors : Antoine Fontaine

Costumes : Renato Bianchi

Lumières : Dominique Bruguière

Chorégraphie : Nathalie van Parys

 

12 décembre 2011, Opéra royal du Château de Versailles

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 "O ! fortune cruelle ! Suspendras-tu tes coups ? Amadis ?" (I,6)

La seule incursion de Jean-Chrétien Bach dans le genre emblématique français de la tragédie-lyrique intervient dans une époque d’intense questionnement sur le devenir de cette catégorie intimement liée à l’affirmation du pouvoir royal sous Louis XIV. Tout comme le grand motet à la française, on observe au long du XVIIIe siècle la persistance presque anachronique de ces formes majestueuses, aux canons très codifiés, menacées par les influences italianisantes ou par œuvrettes plus légères telles les opéras-comiques, ou les comédies-ballets. Pourtant la tragédie lyrique subsiste, d’une part grâce aux nombreuses reprises lullistes ou ramistes, avec certes des amputations et concessions fâcheuses au goût du jour (prologue coupé, récitatifs allégés, parfois même instrumentation revue…) ; d’autre part par les créations souvent à partir de livrets éprouvés de Quinault, telle l’extraordinaire Armide de Gluck, qui signe le sublime chant du cygne de la "TL".

 

© Pierre Grosbois pour l'Opéra Comique

 

L’incursion de Jean-Chrétien Bach s’avère méritoire, quoique souffrant incontestablement de la comparaison avec Gluck. Le livret de Quinault a été considérablement remanié par Alphonse de Vismes, ce que deux articles de Buford Norman et Benoît de Cornulier étudient avec soin dans le remarquable ouvrage édité par le CMBV et Mardaga, compilant des contributions nuancées et pertinentes. Reflet de l’air du temps, l’action est resserrée – compressée – de 5 en 3 actes, les personnages secondaires qui apportaient complexité et équilibre à la trame, élagués. Surtout, les admirables vers de Quinault, à la fois suffisants en soi d’un point de vue littéraire, et pourtant taillés sur mesure pour la musique, ont été simplifiés à l’extrême afin de laisser libre cours à une description plus "naturelle" et donc ordinaire des sentiments des protagonistes. Plutôt que d’exposer leur désarroi ou leur haine dans de nobles tirades, un brin immobiles et déclamatoires, l’enchaînement de stichotymies, des vers raccourcis, un vocabulaire moins recherché contribuent à… dénaturer un bon livret en canevas bancal ne laissant que peu de place à l’établissement d’un véritable climat ou la progression des personnages.

Ainsi, on se demande bien pourquoi Arcabone est torturée par l’usuel dilemme entre le devoir et l’amour au sujet de ce paladin Amadis…  Et ce n’est pas tout : Quinault et Lully soignaient les transitions, les contrastes, les rappels en forme de leitmotiv ou parallélismes du type de "l’Atys est trop heureux" ou du "Que son amour est différent du mien". De telles constructions sont ici démembrées par l’évolution du langage musical, et les petits refrains, chansons strophiques et micro-nuances de récitatifs accompagnés sont standardisés par le carcan binaire issu du seria départageant le Yalta de l’aria et du récitatif. Et lorsque ledit récitatif perd à la fois sa subtilité mélodique moirée, et la beauté de son langage, le résultat risque d'être bien terne…     

 

Allyson McHardy, Arcabone © Pierre Grosbois pour l'Opéra Comique

 

Dans la fosse Jérémie Rohrer se pose en ardent défenseur de Jean-Chrétien Bach, et parvient par sa force persuasive à réinsuffler un peu de cohésion et de dramatisme à un ensemble somme toute inachevé. On admire dès l’ouverture un Cercle de l’Harmonie aux timbres superbement colorés, une fluidité lumineuse du phrasé, un enthousiasme rythmé communicatif qui envahit l'Ovale de Gabriel pourtant mois flatteur en termes d'acoustique que la Salle Favart où l'œuvre sera reprise en janvier, lors de quatre représentations exceptionnelles seulement. Alors que nous avions déploré dans sa lecture d'Idoménée de Mozart des pupitres fragmentés, et une dynamique étriquée, le chef laisse ici libre cours à la musique de Jean-Chrétien Bach, avec des cordes énergiques, des bois colorés et des cuivres rutilants. C'est ainsi l'orchestre plus que la scène qui conduit le drame, cimente les épisodes épars du livret que la mise en scène "pêle-mêle" d'un Marcel Bozonnet qui se cherche.

En effet, le metteur en scène bénéficie des magnifiques toiles peintes d'Antoine Fontaine, qui font partie de l'initiative du CMBV et de l'Opéra royal de reconstituer un fond de ses châssis consubstantiels à l'art baroque et dont on a pu admirer nombre d'esquisses et de projets lors de l'exposition sur les Menus-Plaisirs du Roi l'an passé. On frémit d'aise lorsque le rideau se lève sur ce paysage escarpé, à la perspective forcée et raccourcie saisissante, avec ses rochers effrayants et son château au loin. De même, l'acte II avec cette sorte de temple aux puissantes colonnes doriques bardées de barreaux parvient à camper un climat à la fois spectaculaire et beau, de part la finesse des éclairages de Dominique Bruguière et le soin minutieux apporté à la peinture. Las, Marcel Bozonnet, il est vrai bloqué dans le carcan de ce livret médiocrement remanié, ne sait trop comment gérer la direction d'acteur, la gestuelle et les déplacements, oscillant entre la caricature (le combat peu crédible entre Amadis et ses ravisseurs), ou la pose statique. En outre, les costumes confiés à Renato Bianchi traduisent ce même désordre, cette même absence de cohérence et de sens : quel lien y a t-il entre cet univers d'heroic fantaisy avec ces monstres et armures tout droit sortis d'un jeu vidéo japonisant du 1er acte, les costumes Louis XV dépenaillés des prisonniers de l'acte II  et les nobles habits de cour du finale réminiscents d'Atys (et qui auraient seuls suffi à l'intégralité de la représentation), sans mentionner quelques bergeries plus Louis XVI-Révolution ? Avouons notre désarroi devant cette accumulation apparemment désordonnée.

 

 

 

© Pierre Grosbois pour l'Opéra Comique

 

Et pourtant sur scène, l'équipe rassemblée est homogène et impliquée, malgré quelques problèmes de diction et de respect de la prosodie. Philippe Do incarne un paladin noble en sensible, moins guerrier qu'amant grâce à l'émission chaleureuse et stable, le timbre clair, les aigus doux. De même, l'Arcabone d'Allyson McHardy, à qui manque de la méchanceté passionnée d'une Rachel Yakar ou d'une Stéphanie d'Oustrac, délivre avec grâce et musicalité le premier air de l'opéra, un "l'amour sur moi lance ses traits" accompagné de bassons jazzy. On sera en revanche moins conquis par l'Arcalaüs un peu essoufflé de Franco Pomponi, à la projection moyenne ("Ah ! Brisez votre chaîne" presque conversationnel et nonchalant). Enfin, pour conclure le quatuor des premiers rôles, la tendre Oriane d'Hélène Guilmette se coule avec délices et sensualité dans son rôle de faible princesse victime aux aigus évocateurs, et sa complicité avec Philippe Do est pleinement perceptible dans le duo/scène de ménage de l'acte I ou lors de leurs retrouvailles heureuses.

Un mot enfin sur les chœurs, hélas trop brefs mais convaincants et puissants, et sur les très agréables chorégraphies de Nathalie van Parys et de La Cavatine qui scandent l'œuvre : on en aurai aimé plus, tout simplement... Encore une fois, nous jetons la pierre à De Vismes dont les coupes et la "rénovation" ont incroyablement affaibli la construction et l'équilibre de cet Amadis que les airs raffinés de Jean-Chrétien Bach ne suffisent pas à ranimer. A la platitude de l'intrigue répond un certain conformisme de l'écriture musicale, peut-être dû au fait qu'il ne s'agisse pas là d'un répertoire familier au compositeur, et l'on saura gré à Jérémie Rohrer de toute l'implication et l'énergie qu'il a mis dans ce projet pour redorer un blason hélas quelque peu terni. Les amateurs de J-C Bach attendront ainsi le mois de février pour redécouvrir une fougue extravertie et virtuose dans une Zanaïda moins ambitieuse en termes de complexité musicale, mais aussi moins périlleuse.

Viet-Linh Nguyen

Site officiel de Château de Versailles Spectacles : www.chateauversaillesspectacles.fr

Site officiel de l'Opéra Comique (lundi 2, mercredi 4, vendredi 6 janvier 2012, dimanche 8 janvier 2012) : www.opera-comique.com

 

 

 

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