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mise à jour 6 janvier 2014
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Chronique Concert Bach, Sonates & Partita pour violon seul, Julia Fischer
Julia Fischer - D.R. Johann Sebastian BACH (1685 - 1750)
Sonate n°1 en sol mineur BWV 1001 Sonate n°2 en la mineur BWV 1003 Partita n°2 en ré mineur BWV 1004
Julia Fischer (violon Giovanni Battista Guadagnini, 1742)
Lundi 8 mars 2010 Jeanine Roze Production, Théâtre des Champs-Elysées, Paris
" S’il y a quelqu’un qui doit tout à Bach, c’est bien Dieu." Cioran Les sonates et partitas pour violon seul (BWV 1001 – 1006) font partie des œuvres de Johann-Sebastian Bach peu jouées en concert, et pour cause, leurs difficultés techniques sont redoutables et les questions associées à leur interprétation nombreuses (tempos, doigtés, intonations, phrasés…). Le récital de Julia Fischer était d’autant plus intéressant que cette artiste a enregistré l’intégrale de cette œuvre monumentale en 2005 chez le label PentaTone. Les hypothèses les plus fondées avancent que Bach aurait commencé l’écriture à Weimar en 1703, pour l’achever à Köthen sans doute en 1720, l’année du manuscrit autographe. Par ailleurs, si le compositeur était un bon violoniste (c’est son premier poste) ce recueil semble avoir été inspiré par des virtuoses qu’il aurait fréquentés, justement à Weimar et Köthen, comme Johann Georg Pisendel et Joseph Spiess. Les sonates et partitas constituent un cycle qui fonctionne par pair : chaque sonate est associée à une partita, c’est-à-dire une suite de danses ; notons que Johann Adam Reinken par exemple avait déjà écrit des sonates suivies d’une danse. On prête souvent à Bach la paternité de l’écriture polyphonique pour le violon, tellement celle-ci est marquante à l’écoute de ces partitions, or il a été précédé dans ce domaine par Heinrich Ignaz Biber notamment, et surtout par Johann Paul Westhoff, encore violoniste à la cour de Weimar pendant le séjour de Bach, qui avait publié en 1696 un recueil de Six partitas pour violon seul dont Gunar Letzbor vient de livrer une lecture d'une intériorité prenante (Arcana). Quant à la forme musicale "violon sans accompagnement de basse", elle appartient à la tradition qui voulait que l’on joua un morceau instrumental seul pendant la communion. En fait, Bach réalise dans ce cycle la synthèse de la sonate d’église et de la suite de danses, en poussant l’exercice à son extrême et en dotant un instrument par nature monodique de capacités polyphoniques insoupçonnées. De plus, il construit comme à son habitude une œuvre qui répond à une structure géométrique originale, dont la symétrie n’est pas la moindre de ses composantes. Alors, pur chef-d’œuvre de l’abstraction ou insurpassable plaisir des sens ? Disons-le tout de go : Julia Fischer a réussi lors de ce concert le tour de force consistant à marier avec une maîtrise stupéfiante les deux. Pourtant, on peut dire que la chance ne lui a pas souri et ce, dès les premières mesures de la sonate n°1 qui débutait le programme. En effet, la violoniste a dû recommencer l’adagio à cause de son instrument : il semblerait qu’une corde se soit détendue, mais on n’en a pas su davantage. Il faut dire qu’elle joue un violon baroque, attribué à Giovanni Battista Guadagnini, de 1742… Toujours est-il que ce petit incident a eu des conséquences, sans doute sur l’interprétation qui a suivi (difficile à dire cependant), mais surtout sur la sonorité du violon : il a fallu attendre la deuxième partie après l’entracte, pour entendre enfin toute la splendeur de ce Guadagnini, avec des couleurs soyeuses et mordorées "à se pâmer". Néanmoins, malgré une entrée en matière difficile, Julia Fischer a parcouru les deux sonates de la première partie avec une aisance éblouissante et un raffinement dignes des meilleurs enregistrements, actuels ou passés. La violoniste nous a en effet invité au voyage dès l’adagio de la première sonate : tempo lent, phrases amples, ornementation légère, respirations subtiles, le paysage était campé, nous n’avions plus qu’à suivre ses pas. Sur cette campagne hivernale mais paisible à la Brueghel, est venue se poser la fugue, au début effleurée, puis en demi-teintes, et à la douceur des discrets flocons a succédé une tempête animée et grave. Heureusement, la sicilienne est entrée en scène pour nous rappeler l’aspect humain de ce qui se jouait devant nous : tout s’est mis à danser, gentiment et avec galanterie. Le presto final n’a ainsi pas eu de mal à nous propulser là-haut, tout là-haut, vers celui qui peut tout, le démiurge de cette fougue dévastatrice : c’en était fini de nous, pauvres auditeurs, laminés de plaisir, abasourdis par tant de vie, de justesse et de beauté. L’interprétation de la deuxième sonate a confirmé l’écoute de la première : mise en place exigeante, nuances incroyables, force de caractère et grâce. Je mettrais particulièrement l’accent sur l’andante qui, après une fugue captivante et ignée, nous a plongés dans un univers de volutes ciselées, avec une note de basse ostentatoire mais si délicatement répétitive, comme pour mieux nous livrer les arcanes de ce qui allait suivre. La violoniste a ensuite ouvert les fenêtres et dans un tournoiement d’hirondelles qui se sont précipitées, l’allegro a annoncé le printemps… Et l’entracte. Célèbre pour sa chaconne démesurée, la partita n°2 dans sa globalité offrait de nouveau à Julia Fischer l’occasion d’exprimer tout son immense talent, fait d’esprit et de virtuosité. En un mot, la violoniste ne nous a pas déçu, c’est le moins que l’on puisse dire, surtout accompagnée par la sonorité cette fois parfaite du Guadagnini. Evoquons justement le fameux mouvement final : morceau de bravoure s’il en est, tant par sa variété de rythmes et de couleurs que par sa longueur, il n’a pas effarouché la soliste, bien au contraire, et si l’état de concentration était à son maximum avant qu’elle en joue les premières notes, c’était pour mieux nous conduire vers de hautes cimes. Ainsi, chemin faisant, nous avons successivement visité les profondeurs de la Terre et la beauté des cieux, caressé le temps qui passe et les douces ondulations de l’air pour, dans un crescendo indéfectible, être terrassés par un sauvage déferlement. Cette vision d’apocalypse s’est achevée sur un long trait d’archet, plus que de coutume, comme à la fin de l’adagietto de la 5e symphonie de Mahler, comme si à travers cet "anachronisme", l’artiste souhaitait nous ramener à la réalité, dure réalité... Je remercie particulièrement la salle qui a su retenir ses vains applaudissements, nous délectant ainsi de trois secondes supplémentaires de bonheur sans prix. En conclusion, je ne saurais trop vous conseiller d’aller écouter Julia Fischer en concert, son intelligence, sa maturité et ses capacités prodigieuses favorisent dans ce contexte des élans propitiatoires et une fougue roborative, dont on peut regretter parfois l’absence dans ses enregistrements.
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Affichage recommandé : 1280 x 800 Muse Baroque, le magazine de la musique baroque tous droits réservés, 2003-2014
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