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mise à jour 6 janvier 2014
| Chronique Concert
Emilio de’ Cavalieri, Rappresentatione di Anima e di Corpo, Chœur de la Staatsoper de Berlin, Concerto Vocale, Akademie für Alte Musik Berlin, dir. René Jacobs
René Jacobs © Marco Broggreve Emilio de’ Cavalieri (ca. 1550 – 1602)
Rappresentation di Anima e di Corpo livret d’Agostino Manni
Marie-Claude Chappuis, l’Âme Johannes Weisser, le Corps Gulya Orendt, le Temps, le Conseil Mark Milhofer, l’Intellect, le Plaisir Marcos Fink, le Monde, un compagnon du Plaisir, une des Âmes damnées Luciana Mancini, la Vie Mondaine Nariné Yeghiyan, l’Ange gardien et une des Âmes bienheureuses Elisabeth Fleming, Benno Schachtner, Âmes bienheureuses Kyungho Kim, un compagnon du Plaisir, une des Âmes damnées Florian Hoffmann, Alin Anca, Âmes bienheureuses et Âmes damnées
Chœur de la Staatsoper de Berlin Frank Markowitsch, chef de chœur Concerto Vocale Akademie für Alte Musik Berlin René Jacobs, direction et réalisation musicale
22 juin 2012, Salle Pleyel, Paris
La représentation au jardin d’Éden La Rappresentatione di Anima e di Corpo (ou dell’Anima et del Corpo, comme l’indique le livret imprimé) est une œuvre étonnante. D’abord musicalement ; on a peine à croire que la première ait eu lieu en février 1600, et l’on n’aurait pas de mal à l’imaginer de quelques années postérieure à l’Orfeo de Monteverdi. Et puis il y a le genre, qui laisse perplexe. Oratorio ? Opéra ? Le sujet est éminemment théologique ; mais Cavalieri prévoyait un large dispositif scénique ; mais il voulait que les chanteurs se cantonnent dans un strict rôle d'interprète et n’ornent pas autrement qu’il en avait décidé, comme s’il voulait, ainsi que l’écrit René Jacobs, "tuer dans l’œuf la vanité potentielle des chanteurs", éviter qu’ils soient des divi et dive, des dieux. Ne tranchons donc pas : la Rappresentation est tout simplement une œuvre, dont l’importance historique a souvent éclipsé les qualités intrinsèques. Il faut dire qu’Emilio de’ Cavalieri était un homme de talent : fils du Tommaso qui inspira à Michel-Ange peinture et poésie, Emilio était organiste, danseur, chorégraphe, diplomate et bien sûr compositeur. Signalons qu’outre La Rappresentatione, on lui doit de très belles lamentations de Jérémie, qu’on peut écouter par Le Poème Harmonique (Alpha). Ici, la composition accompagne le texte ; les vers sont courts et simples, Cavalieri y met des phrases musicales concises, souvent simples, et qui se répondent comme les rimes de Manni. Étonnant enfin le livret d’Agostino Manni, qui comporte aussi bien des passages d’une grande force dramatique et poétique que des longueurs un peu plus molles et dont le didactisme finit par lasser un peu l’auditeur du XXIe siècle. Le sujet est assez simple : le Corps et l’Âme s’interrogent ensemble sur la vie que l’homme doit mener ; a-t-il droit de se tourner vers le Monde et la Vie Mondaine ou doivent-ils ne regarder que Dieu ? doit-il suivre le Plaisir et ses compagnons, ou n’écouter que le Conseil et l’Intellect ? On se doute assez de la réponse, formulée à plusieurs reprises au cours des trois parties qui forment l’œuvre, tantôt par l’Âme, le Conseil, le Corps et l’Intellect eux-mêmes, tantôt par l’Ange gardien et les Âmes du Paradis qui vantent leur plaisirs par opposition aux souffrances de celles de l’Enfer. Les versions discographiques sont assez nombreuses ; celle de L’Arpeggiata, dirigée par Christina Pluhar (Alpha, 2004) avait été pour beaucoup une révélation grâce à son continuo luxuriant : deux théorbes et un archiluth alternant avec deux guitares baroques et une harpe, une autre harpe, un psaltérion, une viole, un lirone, un violone et trois clavecins (dont un prenait parfois l’orgue positif) ; les instruments d’agréments étaient moins nombreux : deux cornets, trois violes, une dulciane, une sacqueboute, un violon et des percussions. On attendait bien de René Jacobs qu’il nous propose une lecture riche en couleur. Il s’est doté à cette fin lui aussi d’une large palette. Il faut rappeler que dans la préface de la Rappresentatione, Cavalieri lui-même précise qu’on pourra adapter le nombre d’instruments à la grandeur du lieu, et qu’ils pourront être nombreux. Rien n’est trop pour louer le Seigneur. Réunissant des musiciens du Concerto Vocale et de l’Akademie für Alte Musik Berlin, il a donc un continuo composé de trois luths, dont l’un peut prendre l’archicistre et l’autre la guitare, deux clavecins et orgues, basse de viole et un lirone, un trombone et une douçaine, un violoncelle et un violone, et quatre harpes ; s’y ajoutent les "instruments d’ornement" : quatre violons, trois altos, deux autres violes, deux flûtes à bec et deux cornets, trois trombones et des percussions.
Marcos Fink © Miha Cerar L’équipe des chanteurs n’est pas moins opulente. Outre un chœur de la Staatsoper au son rond et parfaitement maîtrisé, visiblement à l’aise dans ce répertoire, bien qu’il n’en soit pas spécialiste — l’articulation est très propre, les intentions musicales très lisibles, les nuances très claires —, les solistes rivalisent à la fois de sobriété — comme le veut la partition — et de beauté de timbre ; nous ne saurions les détailler tous. Gulya Orendt donne au Temps et au Conseil sa voix de baryton-basse sombre et presque inquiétante, tandis que la basse Marcos Fink est plus enrobante, à la fois plus claire et plus profonde — donnant au Monde un caractère à la fois rassurant et double. Mark Milhofer est un ténor à la voix claire et au registre aigu brillant ; il parvient à la fois à chanter vraiment, à "donner de la voix", et articuler clairement son texte. Luciana Mancini est admirable de séduction vocale ; son timbre est rond et sans aspérité convient à merveille au rôle de la Vie Mondaine. Quant à Marie-Claude Chappuis et à Johannes Weisser, à qui reviennent les deux rôles titres, leurs qualités sont comparables : toujours cette sobriété, mais aussi un grand rayonnement, une présence de la voix, un timbre plaisant et mordant. René Jacobs dirige la Rappresentatione avec beaucoup d’intelligence, secondé en cela par un ensemble instrumental de haut vol où rien ne pèche : le son est toujours beau, les traits sont parfaitement exécutés. La réalisation musicale foisonne d’idées, de contre-chants distribués çà et là et reste toujours claire ; le continuo accompagne vraiment les chanteurs et le propos du texte tout en apportant une immense richesse musicale. Chaque récitatif a été soigneusement ciselé par le maestro. Il place avec soin dans les ritournelles là des violons, là des harpes, ici des cornets, plus loin les trombones tonitruants pour l’enfer — passage absolument explosif. La direction allie avec soin une musicalité permanente, jamais sacrifiée à l’effet gratuit, et un sens du drame qui ne tombe jamais dans l’excès ; la tension est celle de l’œuvre, assez souple, et la dramaturgie relève davantage des surprises que révèlent la partition dans ses revirements rythmiques. Notons aussi que la fin était laissée à la discrétion du chef par Cavalieri ; René Jacobs, après une troisième partie très animée et des chœurs jubilatoires, termine en poète dans une douceur éthérée d’une beauté à couper le souffle. Ce qui frappe dans tout cet ensemble, c’est le mélange de surprise et de simplicité, le naturel absolu qui semble être celui avec lequel tous s’approprient et nous livre la Rappresentatione ; rien d’affecté ici ! Tout semble si spontané… aussi spontané qu’un paradis perdu.
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Affichage recommandé : 1280 x 800 Muse Baroque, le magazine de la musique baroque tous droits réservés, 2003-2014
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