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mise à jour 6 janvier 2014
| Chronique Théâtre Corneille, Suréna Compagnie La Lumineuse, mise en scène Florence Beillacou
© Alice Pacaud
Pierre Corneille (1606-1684)
Suréna
Compagnie La Lumineuse : Quentin Levi (Orode), Vivien Guarino (Pacorus), Davi Juca (Suréna), Florence Beillacou (Eurydice), Iris Bouvier (Palmis), Adélaïde Prudhomme (Ormène). Ensemble In’C: Mélodie Carecchio, Géraldine Chemin (traversi), Louise Amazan (violoncelle).
Elise Cribier-Delande, Annabelle Locks (costumes).
Mise en scène de Florence Beillacou.
2 juin 2012, Théâtre Pixel, Paris.
Vous avez tant d'amour, madame, et balancez ! "Des comédiens baroques dont je n’ai pas entendu parler !" — m’exclamai-je brusquement lorsque la rédaction fut contactée par la compagnie La Lumineuse pour assister à leur spectacle, charmé de surcroît par leur belle affiche. Et incontinent de me précipiter sur l’occasion, bondissant, arrachant la place à tous mes camarades musagètes fort dépités. Car, oui, et peut-être nos lecteurs les plus assidus se le rappellent-ils vaguement, le théâtre baroque et moi, c’est une affaire sérieuse. Tant elle est sérieuse, d’ailleurs, précisons-le, qu’une certaine tendance à l’intégrisme me rend souvent d’une sévérité de jugement qu’il convient parfois de nuancer. Cela étant dit, attaquons. La rampe de bougies allumées tandis que l’on rentre, trois musiciens sur scène, tout cela était fort alléchant, malgré la chaleur qui semblait déjà commencer à inonder la petite salle du Théâtre Pixel, et je frétillais, prêt à voir et entendre la dernière pièce de Corneille, créée avec peu d’heur en 1674, retraçant la terrible histoire d’ingratitude du roi Orode, qui tient son trône de son généreux champion Suréna, et lui doit tout, et les amours impossibles de Suréna, promis à la fille du roi Mandane, mais qui aime Eurydice, elle-même promise à Pacorus, aimé de Palmis, sœur de Suréna.
P. Corneille, Suréna, général des Parthes, page de titre de l'édition chez G. de Luyne, Paris, 1675. © Gallica / BNF Mais malgré tant d’attente et d’espoirs si haut placés, la représentation s’est révélée aussi intéressante qu’inégale, en dépit d’une déclamation soignée. Nous ne parlerons pas de la conduite relativement nonchalante des musiciens présents sur scène pendant tout le spectacle qui s’agitent, n’hésitent pas à s’éponger le front (c’est vrai qu’il faisait très chaud dans la salle), à se gratouiller, pendant que les comédiens tentent de vivre l’intrigue, ce qui contribue à dissiper l’attention des spectateurs et à porter préjudice à la tension dramatique aussi — semblant oublier que, présent sur scène, ils font autant partie de ce qui s’y passe que les acteurs, et que le temps des courtisans s’abattant et conversant, indifférents, de part et d’autre de la scène de l’Hôtel de Bourgogne est révolu — mais qui est d’une certaine manière révélatrice de l’ensemble, et de son manque de tenue énergique. Car la vision de Florence Beillacou d'une recréation informée des codes théâtraux de l'époque, la scène joliment éclairée à la bougie, peine à dégager les enjeux de cette pièce pourtant terrible, tandis que les mots s’égrènent, un peu perdus au sein de cette minutieuse reconstitution qui n'a pas su à la manière d'un Benjamin Lazar ou d'une Louise Moaty se plier à son contexte tout en apportant un regard novateur. Que l’on ne se méprenne pas: je ne prône pas un théâtre qui se doive targuer d’avoir de forts parti-pris, par parti-pris, parfois dénués de réelle compréhension de la pièce comme on le voit souvent — et le fait de monter une tragédie de Corneille à la manière baroque en est un par ailleurs, et fort louable —, mais les relations entre les personnages, leurs échanges, s’avèrent souvent trop vagues pour nous toucher réellement, et nous les écoutons parler, charmés par la beauté de la langue et du style de Corneille et de celle de leur déclamation le plus souvent remarquable (sinon que pour être d’une extrême rigueur, on ne pourra s’empêcher de noter l’oubli d’une liaison qui eût été si belle au vers 442, et peut-être d’une ou deux autres dont votre serviteur a moins été choqué).
© Alice Pacaud De plus, la gestuelle manque cruellement de précision dans sa finition. En règle générale, celle-ci est belle, parfois inventive, et vivace (vers 803-804: Le ciel m'est plus propice, et m'en ouvre un moyen / Par l'heureuse union de votre sang au mien), mais une fois le geste effectué, nous le voyons mourir, oublié, l’énergie déployée retombant aussi vite qu’elle a été mise en place, et nous voyons des membres alanguis dénués de vie attendre d’être remis en branle par un autre geste, ce qui confère à l’ensemble une impression d’inachevé. Enfin, nous nous étonnerons également du choix de la sélection instrumentale, avec de la musique germanisante du dix-huitième siècle pour accompagner une tragédie française du siècle précédent. "Pourquoi donc, mais passe encore", me dis-je, tandis que les premières notes s’échappent des traversi et du violoncelle de l’Ensemble In’C, élégant et raffiné, apportant d’intéressantes nuances parfois un peu trop prononcées à cette musique. Mais hélas, les moments musicaux ne semblent rapidement remplir les entr’actes sans qu’une autre raison apparente que d’avoir un intermède musical décoratif, toujours aussi dissocié à la tragédie, ne se dégage, moments eux-mêmes meublés par des ballets maladroits des acteurs. Davi Juca campe un Suréna à la plainte récurrente, bien éloigné du grand héros qu’il devrait être, et ne nous touche peu avec une incarnation trop amollie, même dans ses moments de colère, tandis que l’Orode de Quentin Levi réinsuffle à son entrée acte III une énergie un peu dissipée en posant tant son texte (quoique l’importance de de son ingratitude royale et les idées politiques développées ici par Corneille restent un peu oubliées dans son interprétation) que ses gestes. On louera la radieuse et puissante présence de Vivien Guarino en Pacorus, qui — malgré une déclamation encore fraîchement assimilée (le seul élément de la troupe n’étant passé par les leçons d’Isabelle Grellet au lycée Montaigne), nasalisant et diphtonguant parfois avec trop de volontarisme — parvient à s’attacher tous les regards, par sa présence véritable, liée à son écoute vraie et ses enjeux placés sans doute plus haut que ceux des autres comédiens (avec notamment un magnifique Suréna, je me plains, et j'ai lieu de me plaindre, v. 1269.). Et enfin, comment s’empêcher d’admirer dans la dernière scène le vers sans doute le plus émouvant du spectacle, l’un des plus beaux de Corneille, délivré avec une belle, franche, et désarmante simplicité, le faisant passer clair jusques en nos cœurs, celui de l’Eurydice interprétée par l’actrice et metteur en scène Florence Beillacou : "Non, je ne pleure point, Madame, mais je meurs". En définitive, voici un spectacle charmant mais encore vert, qui donne à voir une rare tragédie de Corneille dans une déclamation adéquate, mais dont la mise en scène manque à suivre la puissance et la cohérence de la pièce (parfois un peu bavarde), et dont l’accompagnement musical aurait pu être plus proche de son époque et surtout de ses affects. Nous suivrons donc avec attention les prochains pas de cette compagnie prometteuse, dans l'attente que Néron se défasse de la tutelle d'Agrippine et laisse libre cours à sa folie créative.
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Affichage recommandé : 1280 x 800 Muse Baroque, le magazine de la musique baroque tous droits réservés, 2003-2014
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