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mise à jour 6 janvier 2014
| Chronique Festival
Florian Gassmann, L'Opera Seria, New European Opera, Europa Barocca, dir. Raphaël Pichon, mise en scène Benoît Bénichou
Florian Leopold Gassmann (1729-1774) portrait gravé par Heinrich Eduard von Wintter (1788-1825) d'après Anton Hickel (1745-1798)
Florian Leopold Gassmann (1729-1774) Rainiero di Calzabigi
L'Opera Seria (1769)
Stonatrilla – Chantal Santon Ritornello – Rodrigo Ferreira Porporina – Mayuko Yasuda Smorfiosa – Dorothée Lorthiois Sospiro – Fernando Guimarães Delirio – Cozmin Sime Faillito – Diogo Oliveira Passagello – Marc Callahan Befana / La Rapina – Claudio Girard Bragherona – Michal Czerniawski Caverna – Jake Arditti
Ensemble Europa Barocca Dir. Raphaël Pichon
Mise en scène – Benoît Bénichou 30 juin 2010, soirée de clôture en région du Printemps des Arts, Abbatiale de Saint-Philbert de Grand-Lieu
“Les deux factions jouent de tous leurs instruments guerriers ; miaulements, serpents et coucous font un affreux tapage; Faustina écrase le nez de Cuzzoni de son Sceptre; Cuzzoni lui fracasse la tête avec une couronne de cuir doré; Händel désireux de vois cesser le combat, les encourage avec une timbale ; ”
Bien loin de la Vienne du jeune Haydn, de l'enfant Mozart et du brillant Gluck, en 2010, aux limbes de la Bretagne historique, l'Opera Seria est venue avec son cortège picaresque s'installer dans l'Abbatiale carolingienne de Saint-Philbert de Grand-Lieu. À la tête d'un projet novateur et inspiré, Jeremie Lesage, directeur du New European Opera, a réuni avec son équipe des jeunes chanteurs et instrumentistes venus de diverses latitudes pour créer des œuvres rares et intégrer les interprètes novices dans le monde lyrique professionnel. Un très beau projet que nous souhaitons voir perdurer et qui nous a ravi dans le principe et les aboutissements. Mais ce soir là, le dernier jour de classes pour beaucoup d'élèves parfuma la soirée de cet air calme des vacances. La petite fontaine près de l'abbatiale au corps nu de décorations chantonna des refrains joyeux des promesses musicales de la nuit. À l'intérieur de la fraîche abbatiale, les décors dynamiques et éloquents de Benoît Bénichou étaient déjà mis en place, des membres de l'orchestre s'accordaient. Les loges des chanteurs simulées par des panneaux mobiles de métal promettaient par les noms de Stonatrilla, Porporina et Smorfiosa, une parodie grinçante et désopilante. Durant les quasi trois heures que dura Opera Seria, la tension ne tomba jamais, le public était porté par une réelle beauté de la musique, les trouvailles et les gags du livret de Calzabigi et la mise en scène éloquente de M. Bénichou. Le risque de monter une œuvre rare fut hautement surpassé par l'excellence des chanteurs et des instrumentistes. Dans l'ordre d'apparition, le jeune baryton portugais Diogo Oliveira incarna l'imprésario Faillito (Faillite) qui doit gérer parfois de manière musclée l'équipe artistique et ses états d'âme. Avec une réelle aisance dans le style et un jeu d'acteur exceptionnel, nous lui excusons de tomber dans la tentation de partir avec la caisse à la fin de l'opéra. Le librettiste Delirio est campé par le roumain Cozmin Sime, au baryton puissant et au jeu d'acteur un peu plus sobre, mais tout aussi empreint d'humour et de finesse pour justifier les choix des figures métaphoriques piscicoles de ses airs de bravoure. Dans le rôle du compositeur Sospiro, en proie au manque d'imagination et à la sensiblerie malgré le texte de son collègue Delirio, c'est l'extraordinaire ténor Fernando Guimarães, aux aigus d'un lyrisme puissant et aux mimiques désopilantes, il éveille la triste réalité des compositeurs baroques qui étaient souvent des professionnels du recyclage plutôt que des créateurs innovants. Arrivant comme sur une passerelle de mode, il primo uomo, le “castrat” Ritornello échut au brésilien Rodrigo Ferreira, contreténor au joli timbre. Sa présence scénique en chanteur “fashion victim” débauché et illettré fut vraiment excellente, mais un léger manque de justesse dans certains aigus et un manque de projection dans certains moments nous ont empêché de saisir toutes les nuances de sa voix. Affublée de “dread locks” violettes et d'une jupette glam Mayuko Yasuda, sous les traits de la pétulante Porporina aux aigus volontaires, réunit le talent confirmé d'une actrice investie et active et une voix agile et au timbre diamantin assez proche de celle de Sunhae Im. Elle a emporté les rires et les applaudissements de la salle avec le très célèbre air du dauphin sautillant parmi les thons, morceau de bravoure que Mayuko Yasuda a chanté avec la passion d'une star du rock avec un poisson comme microphone. Dans un look moins “tendance” la seconda donna, Smorfiosa (Mijaurée) fut campée par Dorothée Lorthiois pleine de drôlerie dans l'hypocondrie et l'intrigue, atteignant des sommets quand au troisième acte en reine prisonnière, les voiles tombent avec un pan du décor sur sa gravité maternelle supposée et la bisexualité de son mari Ritornello. Et nous avons eu la chance extrême de nous trouver à quelques centimètres de l'arrivée de la grande diva Stonatrilla, un sosie de la non moins renommée Lady Gaga, accoutrement rose bonbon, bronzage UV, blondeur, lunettes Van Dutch et chewing-gum à l'appui. Ce fut l'extraordinaire Chantal Santon, aux mille nuances et à la voix parfaite de bout en bout, nous lui excuserons largement sa passion compulsive pour le Nutella, friandise de la détonante diva. Dans un rôle quasi pantomimique, mais avec le charisme scénique qui le caractérise, Marc Callahan fut le séduisant maître à danser Pasagello, avec sa bande orange sur les cheveux et quelques pas de danse, il nous chanta le credo malhonnête des chorégraphes dans le seul air qui lui est confié, confirmant tout le plaisir qu'on a à entendre son baryton élégant et équilibré. Et le trio des mères, la Befana furieuse de Claudio Girard, la Bragherona permanentée et décatie de Michal Czerniawski et la Caverna rose et tendance de Jake Arditti, formaient un trust de mégères unique. Cette multitude de caractères et de personnalités ont été soutenus par un ensemble Europa Barocca en grande forme, précis dans les rythmes et riche dans l'ornementation, jouant activement avec la scène dans la nuance et l'énergie. Nous saluons vivement la direction de Raphaël Pichon qui prit la direction au pied levé et malgré quelques lourdeurs dans la sinfonia d'ouverture, s'impliqua tout le long du spectacle dans l'humour, la force et la finesse de la musique de Gassmann, nous espérons le revoir dans ce registre qui lui va comme un gant. Surprenante, alliant les clins d'œil et les gags, totalement fidèle au livret et à la musique, la mise en scène de Benoît Bénichou a rendu à l'Opera Seria ce que les perruques de Martinoty et la modernité nue de Laurence Dale ne sont pas parvenues à montrer. L'Opera Seria est un miroir tourné vers nous, ce n'est pas simplement une vaine parodie des caprices des stars, mais l'image même du ridicule de l'humanité. Au lieu de nous éloigner par des reconstructions historicisantes ou de grossir le trait avec des décors trop réalistes, la simplicité de la mise en scène de Benoît Bénichou nous faire rire de notre absurdité, de nos défauts. Encore sous le charme ensorcelant de la musique de Gassmann, aillant en mémoire les péripéties de la troupe de Faillito, nous quittâmes Saint-Philbert de Grand Lieu sûrs d'avoir assisté à un spectacle unique par la cohésion et le courage des interprètes, aux antipodes des relations tumultueuses de l'Opera Seria. Minuit avait déjà sonné, l'abbatiale tombait dans le silence de ses siècles, seule la petite fontaine semblait encore fredonner quelques refrains pétillants.
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Affichage recommandé : 1280 x 800 Muse Baroque, le magazine de la musique baroque tous droits réservés, 2003-2014
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