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mise à jour 6 janvier 2014
| Chronique Concert
Gluck, Orphée & Eurydice, mise en scène Dominique Pitoiset & Stephen Taylor
© Cosimo Mirco Magliocca Christoph Willibald von GLUCK (1714-1787)
Orphée & Eurydice
Opéra en trois actes (1774), sur un livret de Pierre-Louis Moline d'après Raniero de Calzabigi Version française revue par Hector Berlioz en 1859
Agata Schmidt (Orphée), Ilona Krzywicka (Eurydice), Olivia Doray (Amour)
Chœur de l'Opéra national de Bordeaux Direction : Alexander Martin Ensemble vocal du Conservatoire de Bordeaux Jacques Thibaud Orchestre symphonique du Conservatoire de Bordeaux Jacques Thibaud Direction : Geoffroy Jourdain
Mise en scène : Dominique Pitoiset et Stephen Taylor Scénographie : Dominique Pitoiset Costumes : Axel Aust assisté de Camille Pénager Lumières : Christophe Pitoiset Maquillages : Cécile Kretschmar et Camille Lameynardie Réalisation et montage vidéo : David Futerman
Représentation du 12 mai 2012 au Théâtre National de Bordeaux-Aquitaine, grande salle Vitez
Orphée à l'épreuve de la modernité L'église Sainte-Croix, située non loin des quais de la Gironde, étalait sa majestueuse façade romane sous un ciel diaphane. Les spectateurs traversaient en groupes le beau jardin qui la jouxte -et qui abrite encore quelques vestiges baroques, notamment une belle fontaine, pour se rendre au "bunker" du TNBA, construction semi-enterrée de verre, de béton et d'acier, un peu incongrue dans une capitale girondine qui abrite tant de témoignages architecturaux du XVIIIème siècle... On ne pouvait s'empêcher de faire un parallèle avec la mise en scène résolument moderne adoptée par Dominique Pitoiset et Stephen Taylor : chanteurs en tenues modernes, lunettes de soleil sur le visage ; intérieurs contemporains de la "cuisine intégrée " (rouge sang, évidemment !) qui accueille les pleurs autour de la disparition d'Eurydice à la salle de bain "design" des Enfers... On apprécie ou non le parti pris : pour notre part, il nous a semblé plutôt convaincant. Le recours à la vidéo à certains moments (par exemple, la projection "en flash-back" des photos d'Eurydice) anime intelligemment les passages proprement orchestraux. On a aussi noté avec plaisir une bonne transposition des "changements de décor à vue" de la tradition baroque à travers l'utilisation efficace d'une scène tournante. Seul regret, la disposition des lieux relègue l'orchestre dans une fosse complètement inaccessible aux yeux des spectateurs.
© Cosimo Mirco Magliocca Au plan musical, le choix de la version remaniée par Hector Berlioz peut sembler quelque peu hors de propos dans ces colonnes dédiées au baroque "vintage" ! Pourtant, la tradition des remaniements ultérieurs se rattache sans peine à l'époque baroque, comme le montre l'histoire musicale du XVIIIème siècle, notamment en France : réorchestration d'œuvres de Lully, reprises de livrets anciens (notamment de Quinault) par des compositeurs plus récents... Le chevalier Glück lui-même avait ouvert la voie avec son Orfeo ed Euridice, créé à Vienne en 1762, remanié une première fois pour Parme (en 1769), puis réécrit en français en 1774 pour un haute-contre. Le remaniement de Berlioz fut finalement assez fidèle aux partitions originales, dont il proposa une audacieuse synthèse, qui assura la postérité de l'œuvre dans un XIXème siècle romantique et au XXème siècle, avant la redécouverte du répertoire baroque dans les années 1980. Evidemment les voix sont adaptées aux registres disponibles à l'époque, confiant le rôle d'Orphée à une mezzo (ce qui ne contribue pas à la vraisemblance du drame...), et revoyant l'orchestration au profit des instruments modernes (les clarinettes étaient toutefois déjà très en vogue à Paris à l'époque de Glück).
© Cosimo Mirco Magliocca Sous la baguette de Geoffroy Jourdain, l'Orchestre symphonique du conservatoire de Bordeaux aborde la partition par une ouverture déliée et aérienne, qui sonne agréablement aux oreilles mais manque quelque peu de la vigueur du drame. Heureusement les lamentations appuyées qui accompagnent des choristes vêtus de noir et munis chacun d'une rose rouge, signant tour à tour le registre de condoléances sur la table de la cuisine d'Orphée, resituent rapidement l'atmosphère musicale. C'est un Orphée (Agata Schmidt) au timbre cuivré, tout à fait approprié à ce rôle, mais à la diction très serrée qui entame le premier air ("Eurydice, ombre chère"). Et qui se révélera hélas comme le point faible de cette distribution, empêtré dans une diction approximative face à laquelle la déclamation française se montre impitoyable, amplifiant tous les défauts. Les ornements manquent d'ampleur et de naturel ("Amour, viens donc"), malgré une incontestable expressivité. Seul le fameux air "J'ai perdu mon Eurydice" échappe presque miraculeusement à cette appréciation : la voix semble alors plus claire, presque transfigurée, la diction déliée, et l'on se dit : mais pourquoi n'a-t-elle pas chanté ainsi depuis le début ?
© Cosimo Mirco Magliocca Les deux autres rôles féminins sont en revanche fort bien tenus. L'Amour d'Olivia Doray, botté et habillé d'un blouson de cuir rouge, lui aussi affublé de lunettes de soleil sorties tout droit d'une photographie de paparazzi, possède une voix cristalline à la projection assurée qui réjouit nos oreilles, et dotée d'une bonne expressivité ("Son silence contraint nos désirs"). Ilona Krzywicka s'acquitte avec bonheur du rôle finalement assez court d'Eurydice : tragédienne émouvante étendue sur son lit de mort, qui réapparaît affaiblie (avachie dans un fauteuil roulant !) après l'épisode des Enfers. Elle lance son "Fortune ennemie" d'un timbre énergique, et sa diction est irréprochable. Le duo final avec Orphée est également très réussi. Le chœur de l'Opéra national de Bordeaux et l'Ensemble vocal du Conservatoire montrent à la fois une belle homogénéité, et un sens dramatique très convaincant au travers des différents changements de décors. Signalons tout particulièrement l'émouvant chœur des Enfers ("Laissez-vous toucher par des pleurs"), bien relayé par un orchestre aux accents lancinants. Voilà donc un Orphée & Eurydice bien tempéré, dont l'équilibre et l'absence de parti-pris trop audacieux ne nuit pas à l'intelligibilité, à la distribution homogène en dépit d'un demi-dieu à la diction peu compréhensible. En sortant de l'enfer architectural du "bunker" sans notre Eurydice mais le cœur joyeux, le monde des humains paraissait presque sorti de la crise le temps d'un opéra.
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Affichage recommandé : 1280 x 800 Muse Baroque, le magazine de la musique baroque tous droits réservés, 2003-2014
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