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6 janvier 2014

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Chronique Concert

Haendel, Alcina

Les Musiciens du Louvre, dir. Marc Minkowski

 Marc Minkowski © Marco Borggreve / Naïve (détail)

 

Georg Friedrich HAENDEL (1685-1759)

 

Alcina (1735)

Drame musical en 3 actes, d'après un livret d'Antonio Fanzaglia inspiré de l'Orlando Furioso d'Arioste.

 

Anja Harteros (Alcina), Vesselina Kasarova (Ruggiero), Veronica Cangemi (Morgane), Kristina  Hammarström (Bradamante),  Luca Tittoto (Melisso), Benjamin Bruns (Oronte), Shintaro Nakajima(Oberto)

 

Orchestre et Chœur des Musiciens du Louvre

Direction Marc Minkowski

 

Représentation du 29 novembre 2010, Théâtre des Champs-Elysées, Paris

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L'île à demi-enchantée

C'est une représentation unique en version de concert que proposait l'autre soir le Théâtre des Champs-Elysées, avec pour tête d'affiche rien moins que Marc Minkowski, que l'on peut classer sans risque parmi les meilleurs haendélien de ces dernières années, avec notamment son fameux et fracassant Ariodante (et Anne-Sofie von Otter dans le rôle titre), mais aussi la version (qui m'est chère)  d'Hercules (Archiv), toute en demi-teintes et pleine de finesse - pour n'en citer que quelques-unes de ces réalisations. Cette soirée s'annonçait donc unique dans tous les sens du terme, faisant frémir d'impatience tout ce que le monde baroque compte de perruques et de dentelles...

Las, l'attente était peut-être un peu surdimensionnée, et l'interprétation, bien que de haut vol, ne nous a pas entièrement convaincu. Dès l'ouverture, le phrasé dynamique et plein de vigueur des Musiciens du Louvre s'impose, avec un sens marqué des nuances. Mais cet orchestre-là, qui répond avec précision et enthousiasme à la baguette du maître, s'avère un peu trop ample pour cette œuvre à la musique délicate, truffée d'airs magnifiques (le chœur du premier acte, en particulier, est trop largement dominé). Alcina n'est pas Jules César, et la puissance minkowskienne semble parfois démesurée pour cette cascade d'airs finement ciselés... Soulignons qu'en revanche les parties purement orchestrales (ouvertures et ballets) constituent de purs moments de bonheur, témoignage de la quasi-perfection à laquelle semble parvenue la formation sous la conduite de Minkowski.

La distribution, en revanche, n'est pas totalement à la hauteur de l'orchestre : dans l'ensemble bonne, mais pas exceptionnelle. Anja Harteros, avec qui nous avions été sévère pour son interprétation du rôle d'Alcina dans la très imparfaite version de Bolton (Farao), s'avère ici beaucoup plus à l'aise avec un orchestre nettement directif. Elle en profite pour développer une belle expressivité dans le rôle, avec une très forte présence scénique, mais manque cependant un peu de naturel dans certains passages (notamment "Di, cor mio, quanto t'amai" à l'acte I, et "Ombre pallide" à l'acte II). Il faut toutefois souligner son succès mérité (et longuement applaudi) dans le "Ah ! mio cor ! schermito sei !" (acte II), où elle se montre éblouissante de désespoir malgré un tempo un peu rapide de l'orchestre, en outre trop présent. Et l'air de l'acte III ("Mi restano le lagrime"), étiré en de beaux sons filés, demeure un grand moment d'émotion.

Veronica Cangemi emporte quant à elle totalement notre adhésion dans le rôle de Morgane, montrant là aussi l'écart avec sa prestation chez Bolton. Son timbre légèrement mat, son phrasé délicat font merveille d'un bout à l'autre dans ses nombreux airs. On citera en particulier les ornements ciselés du "Tornami a vagheggiar" (au final de l'acte I), le "Ama, sospira" du second acte, à l'étourdissant duo avec le violon solo, et le "Credete al mio dolore" du troisième acte où elle rivalise avec le violoncelle.

Le Ruggiero de Vesselina Kasarova nous laisse un peu sur notre faim. La sorte d'affect qu'elle glisse dans son timbre pour faire oublier qu'elle va chercher sa voix un peu trop profondément dans sa poitrine est certes habile pour la tenue d'un rôle masculin. Mais cela finit par nuire au phrasé ("La bocca vaga, quell'occhio nero" au premier acte, "Col celarvi" au second acte), d'autant que le timbre manque parfois décidément trop de stabilité ("Mi lusinga il dolce affetto" au second acte, cependant fort applaudi). Et si le fameux "Verdi pratti" s'avère assez plat et franchement décevant, le grand air de bravoure du troisième acte ("Sta nell'ircana pietrosa tana" ) lui offre une superbe occasion de montrer toute sa technique, resplendissante d'ornements généreusement appuyés par le cor, balayant quelque peu nos préventions antérieures.

Pour poursuivre sur les rôles masculins tenus par des voix féminines, le timbre mat de Kristina Hammaström manque de conviction ("E gelosia" au premier acte, "All'alma fedel" au troisième). Circonstance aggravante, elle se laisse dicter un tempo trop rapide par l'orchestre pour le beau "Vorrei vendicarmi", dont les ornements sont dévalés à toute vitesse, au détriment de la beauté du chant. Sa prestation semble au total un peu pâle par rapport aux autres voix fémines.

La belle voix de soprano du jeune Shintaro Nakajima (Oberto) constitue la révélation de cette soirée. Malgré une attaque un peu hésitante, son "Chi m'insegna il caro padre ?" (premier acte) est d'une touchante naïveté, avec son timbre naturel et expressif, qui fait totalement oublier une technique en cours d'acquisition. Au second acte, "Tra speme e timore" est plus affirmé, et reçoit de nombreux applaudissements mérités. Mais c'est évidemment dans le "Barbara ! Io ben lo so" qu'il était le plus attendu, et le public put apprécier pleinement son abattage impressionnant et sa conviction théâtrale !

Du côté des voix masculines, Luca Tittoto (Melisso) peut s'appuyer sur son timbre grave, d'une bonne ampleur, qui fait merveille lors du "Pensa a chi geme" (acte II). Oronte peut aussi se targuer d'airs peu nombreux mais précieux. Las, Benjamin Bruns ne nous a pas pleinement convaincu : le "Simplicetto ! A donna credi ?" révèle un timbre doté d'une bonne projection, mais un peu métallique dans les ornements. Et le célèbre "Un momento di contento" est chanté de manière trop statique, une trop grande retenue finissant par rompre le phrasé.

Pour dire un mot de la mise en scène, s'il est des versions de concert où le carctère statique des chanteurs nuit à la crédibilité de l'action, tel n'est pas le cas ici. Deux banquettes de part et d'autre de la scène, des mouvements bien réglés des chanteurs, des costumes suggestifs font quasiment oublier l'absence de décor.

L'attente, on l'a dit, était forte, et les réserves exprimées ici doivent être comprises à l'aune de l'exigence à laquelle nous a habitué Minkowski. Un orchestre à la puissance sonore plus mesurée, quelques ajustements des tempi parfois trop rapides pour apprécier pleinement la beauté du chant : la perfection n'était pas très loin...Du côté de la distribution, le plateau idéal est nécessairement plus difficile à réunir pour une représentation que pour un enregistrement. Et Minkowski s'avère bien plus habile à mettre en valeur ces chanteurs que Bolton dans sa récente version, lorsque la comparaison est possible. Alors, à quand un enregistrement CD de référence d'Alcina signée Minkowski ?

Bruno Maury

Site officiel du Théâtre des Champs Elysées : www.theatrechampselysees.fr

Lire aussi :

Georg-Frederic Haendel, Alcina, Joyce DiDonato, Maite Beaumont, Karina Gauvin, Sonia Prina, Kobie van Rensburg, Il Complesso Barocco, dir. Alan Curtis (Archiv, 2009)

Georg Frederic Haendel, Alcina, Veronica Cangemi, Sonia Prina... , Bayerisches Staatsorchester, Ivor Bolton (Farao, 2008)

 

 

 

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