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mise à jour 6 janvier 2014
| Chronique Concert Haendel, Ariodante, Il Complesso Barocco, dir. Alan Curtis
Sarah Connoly © Peter Warren Georg-Friedrich Haendel
Ariodante
Ariodante – Sarah Connolly – Mezzo-soprano Ginevra – Karina Gauvin – soprano Dalinda – Sabina Puértolas – soprano Polinesso – Marie-Nicole Lemieux – Mezzo-soprano Lurcanio – Nicholas Pham – ténor Il Rè Duncano – Matthew Brook – Basse
Il Complesso Barocco Dir. Alan Curtis
15 mars 2012, Opéra Royal du Château de Versailles.
Le mois de Mars frôlait les roses en bouton des bosquets encore assoupis par la lourdeur des frimas. L’univers magique de Versailles se paraît de ses charmes multicolores de plus en plus exubérants. De la cour d’honneur au Grand Canal, l’Erèbe descendit sur le Palais du soleil comme une ombre caressante aux contours dorés. L’après-midi qui descendait doucement sur les graviers et les pavés sentait bon, les feuillus retrouvaient doucement leur pelisse d’émeraude aux moments où les corniches du Château se paraient de feu répondant aux rayons célères dont la course disparut là-bas, dans les eaux dormantes du Bassin d’Apollon. Haendel fut à l’honneur chez le roi, l’opéra solaire aux aigles capitolins allait recevoir l’offrande musicale du plus lunaire opus de Georg Friedrich Haendel. Parce que ce soir à Versailles, le lyrisme absolu de l’Arioste allait emprunter des accents dignes de Blake, Byron ou Goethe. Ariodante, créé durant les années difficiles et témoin du basculement progressif de Haendel dans un drame plus intimiste et profond qui donnera à la fin les accents de Theodora, Jephta ou The Messiah. Pour le public français la partition, ponctuée de danses, a des formes et des sonorités qui la rapprochent du style galant en vogue à l’Académie Royale de Musique. De plus le traitement de l’action, beaucoup plus dramatique qu’allégorique, semble s’apparenter avec le langage et les situations de la tragédie lyrique du premier XVIIIe siècle, celle de Rebel et Francoeur, de Colin de Blamont ou de Destouches beaucoup plus que celle de Rameau. Cette version de concert, issue d’une longue tournée du Complesso Barocco à laquelle nous avions assisté l'an dernier, d'un disque (Archiv) et d'un DVD plus ancien qui fixa cet Ariodante sur celluloïd (Dynamic), ne compta pas avec la présence attendue de Joyce Di Donato, la mezzo américaine étant souffrante étant remplacée pour notre plus grand bonheur par la Sarah Connolly. Tenant le rôle titre avec autant d’aplomb et de subtilité qu’elle a eut avec le Giulio Cesare à Glydebourne (Opus Arte), Sarah Connolly surpasse de loin beaucoup de grandes interprètes d’Ariodante. Tout d’abord vêtue d’un habit cintré anthracite aux manchettes et jabot retravaillés avec soin, elle a la silhouette d’un jeune homme, mélancolique, racé et à la contemplation incarnée, bref elle est la figure même de la jeunesse du Sturm und Drang naissant, Udolfo, Willoughby ou Darcy, tous ces Enfants du siècle qui semblent se cacher sous la sensibilité ambiguë des airs pour Carestini de cet Ariodante sélénien. La sensibilité naturelle de Sarah Connolly font de son Ariodante un être d’une poésie sublime, elle réussi à vaincre toutes les difficultés de la partition avec raffinement, énergie et subtilité, l’acmé de son interprétation furent les grands airs "Scherza infida", "Cieca Notte" et le triomphal et postinitiatique "Dopo notte" chaque fois une explosion de couleurs, de déclamation, de profondeur et de poésie. L’Ariodante de Sarah Connolly est unique par sa profondeur sentimentale, tout comme sa prestation géniale du Giulio Cesare aux allures de soudard, elle met en évidence la nature lunaire du personnage, derrière ce que d’autres interprètes rendent froid, gazouillant et mièvre, Sarah Connolly fait de son Ariodante le digne ancêtre de Keats, Byron, Musset et Stendhal. Nous avons été conquis par cette interprète d’exception. Face à cette sublime interprète, le pendant féminin de Karina Gauvin en Ginevra est tout aussi spectaculaire avec sa voix chaleureuse, théâtrale, sensuelle et tragique et un traitement sensible de la princesse écossaise. Karina Gauvin s’avère l’une des meilleures interprètes de ce répertoire et aussi brillante que profonde dans ses prises de rôle, nous laissant stupéfait de par le pathos des airs du second et du troisième acte, nous ravissant de ses vocalises jamais exagérées et par sa voix toujours belle, équilibrée et passionnée. Et on souhaiterait rapidement l’entendre en Teofane dans l’Ottone de Haendel ou en Rosana dans La Principessa Fedele de Scarlatti. Avec un soprano léger, clair, précis, la délicieuse Sabina Puértolas incarne une Dalinda idéale. Fragile, naïve et d’une rare candeur pour ce personnage clé dans l’intrigue, elle rend cette Dalinda sensuelle et espiègle. Nous avons adoré son duo sublimement sexy "Dite spera" avec Lurcanio. Hélas, la grande déception de la soirée fut le Polinesso de Marie-Nicole Lemieux. Si le théâtre était présent dans son incarnation de ce terrible personnage aux allures fanfaronnes et à la pleutrerie manifeste, c’est malheureusement la voix qui suivait péniblement. Les vocalises sans envergure, un timbre riche et coloré mais une difficulté de volume et de projection ont malheureusement desservi ce soir-là cette extraordinaire chanteuse à qui les rôles d’un Bertarido, Ottone ou Poro iraient comme un gant. Côté messieurs, le délicat ténor Nicholas Phan enchante le public dans sa prestation de Lurcanio, partie tenue à l’époque par le célèbre John Beard. Nicholas Phan a surmonté avec élégance, délicatesse, entrain et un savoir faire ornemental digne du meilleur orfèvre les difficultés vocales et stylistiques des deux premiers actes, dépassant largement l’énergique mais froid Topi Lehtipuu du disque, et conférant à Lurcanio une envergure toute héroïque, là où d’autres ténors frisent la caricature. Enfin, dans la figure très hiératique du roi Duncano, le puissant Matthew Brook nous offre une prestation riche en couleur et en dramatisme. Avec un sens de la partition et du style comme à son habitude, Alan Curtis mène son orchestre avec une présence d’esprit du rythme et soutient les chanteurs avec beaucoup de chaleur. Nous trouvons que le concert va à merveille au Complesso Barocco qui au disque semblait quelque peu placide, et nous encourageons vivement Alan Curtis à s’attaquer à Atalanta, Giustino ou Poro. Tandis que les lumières du Château du Soleil s’éteignaient une à une laissant à la sœur d’Apollon la place pour ses danses nocturnes, les doux voiles du printemps naissant alanguissaient leur pourpre sous les diamants égrenés par dessus la couronne scintillante des jeux d’eau. Ariodante, tel le mélancolique Werther ou le doux Fantasio d’Offenbach ne contemplaient-ils pas la même lune qui inspira leurs amours immortels ?
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Affichage recommandé : 1280 x 800 Muse Baroque, le magazine de la musique baroque tous droits réservés, 2003-2014
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