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6 janvier 2014

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Chronique Concert

Haendel, Berenice

Il Complesso Barocco, dir. Alan Curtis

Alan Curtis - D.R.

Georg Friedrich HAENDEL (1685 – 1759)

 

Rodelinda

 

Rodelinda – Karina Gauvin – soprano

Bertarido – Sonia Prina – alto

Grimoaldo – Topi Lehtipuu – ténor

Edvige – Romina Basso – alto

Unulfo – Delphine Galou – alto

Garibaldo – Matthew Brook

 

Il Complesso Barroco

Dir. Alan Curtis

 

Vendredi 26 octobre 2012, Théâtre des Champs Elysées, Paris.

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Les coups du sort

Depuis près d’un siècle le magnifique théâtre de Gabriel Astruc trône dans sa blancheur de marbre au bout de cette Avenue Montaigne luisante de luxe.  De la Seine au Champs-Elysées, de Valentino à Chanel et de Ungaro au Plaza Athénée, le rêve mordoré des touristes en goguette apparaît comme un fil d’Ariane dans l’impénétrable labyrinthe du chic parisien.

Ce  soir là, prêt à recevoir encore une fois la manne haendélienne, le chroniqueur admirait encore une fois la façade marmoréenne qui ruissela de pluie en ce début d’automne, friable et livide. Nous allions être transportés en Lombardie,  au cœur du drame cornélien de Pertharite et de Rodelinde. Malgré les consonances quelque peu inusitées pour nos oreilles rompues aux Léa ou aux Kévin, si ce n’est Charles-Edouard ou Marie-Liesse pour certains, Rodelinda est une œuvre phare dans la création de Haendel et un de ses plus grands succès.

En effet, Rodelinda est une des premières nées de la Royal Academy of Music dans le sillage du Giulio Cesare. Mais qu’on ne se trompe pas, Rodelinda est un miroir d’obsidienne, noir et luisant, ce n’est pas une œuvre simple et reste quand même un opéra assez complexe.

Si l’intrigue cornélienne est un peu écorchée pour coller aux codes du dramma per musica, quelques unités de confrontation sont conservées et rendent l’œuvre très efficace dramatiquement surtout quand elle est bien servie. Rodelinda est une femme à la Corneille, forte, déterminée et ne se livrant pas au désespoir mais à la lutte.  Nous tenons à faire remarquer notamment l’incroyable beauté de "Morrai si" ou du "Spietati", airs dignes des tirades tragiques les plus fortes. Nous remarquerons aussi que Haendel nous offre aussi un rôle de ténor à l’évolution sentimentale extraordinaire : Grimoaldo n’est pas exclusivement régi par son ambition puique son cœur est une boussole cassée qui le rend répréhensible. Amoureux transi éconduit, c’est un être sincère qui souffre, manipulé dans son émoi par l’intriguant Garibaldo.

Arrêtons-nous un instant sur les rôles de ténor haendéliens. Si bien le plus imposant est le racinien Tamerlano ; le cornélien Berengario du Lotario est un solide emploi tragique et comment ne pas oublier le noble Alessandro du Poro ou le transi Emilio dans la Partenope ? Grimoaldo fait figure d’exception par sa complexité. Il passe pour un traitre, puis, en proie au doute, se livre à sa conscience et puis au désarroi amoureux, à la furie jalouse et finalement au répentir. Un rôle entièrement de composition mais si réel : celui qui n’a jamais été amoureux ne peut comprendre Grimoaldo dans le désespoir tranquille de la non réciprocité de son amour. 

Ce soir au Théâtre des Champs Elysées tout s’annonçait sous les meilleurs auspices, avec un casting de rêve pour cette Rodelinda dont Alan Curtis a donné une version d’anthologie au disque (Virgin). La plus grosse prise de risque étant l’instrumentarium un peu réduit que laissait entrevoir la scène couverte des pupitres vides.

Karina Gauvin & Alan Curtis © Atma Classique

Il Complesso Barocco n’a plus à faire ses preuves dans Haendel. Si la musique de Vivaldi ne leur sied pas vraiment, ils excellent chez le Saxon en dépit de certains écarts ce soir-là. Nous devons louer ici le premier violon Dmtry Sinkovsky, extraordinaire de justesse, d’émotion et de présence, jouant son rôle de Konzertmeisterjusqu’au bout, et semblant même parfois prendre l’ascendant sur Alan Curtis. Nous avons trouvé dommage de voir le grand chef américain rater certains départs qui ont mis en difficulté quelques solistes. Il Complesso Barocco s’est montré d’un très bon niveau, sans renouer avec la fluidité et l’investissement dramatique du disque.

Côté solistes, notre oreille a été partagée entre d’étonnantes déceptions et des surprises inattendues. Si on doit reprendre dans l’ordre strict de la préséance nous dirons d’emblée que Karina Gauvin était en méforme vocale. Dès son premier air, le tragique "Ho perduto" la soprano fait montre  de raideur et même d’âpreté dans ses vocalises. Elle ne s’améliore pas dans le "Morrai si" ou dans le "Spietati", seul l’élégiaque "Ombre, piante" lui permet de renouer avec le niveau de poésie et de force dramatique auquel elle nous a habitué.

Partageant le haut de l’affiche, Sonia Prina campe un Bertarido quasiment idéal. Si nous sommes enthousiasmés par l’agilité de ses vocalises, l’intelligence de ses ornements et le timbre riche de sa voix, nous ne sommes pas vraiment convaincus par sa prise de rôle, qui demeure trop superficielle et ne parvient pas à nous entraîner dans les péripéties de l’intrigue.

Pour achever cette litanie de relatives déceptions, le Grimoaldo de Topi Lehtipuu a manqué d’originalité et d’imagination. Quelle mauvaise surprise de voir ce ténor exceptionnel tomber si vite dans la facilité et surtout dans l’ennu ! Alors qu’il avait un rôle en or pour sa voix et son jeu, l’artiste peine à s’affranchir de la partition. Sa voix en devient froide, linéaire, sans aucun sarcasme dans le "Io gia t’amai", sans nuance badine dans "Se per te",  sans l’espérance brisé du "Prigionera ho l’alma in pena" et une feinte furie jalouse dans "Tuo drudo e il mio rivale". Une suite glacée et grise d’airs, de petits effets dans les récitatifs ne parviennent pas à insuffler du théâtre et de la vie à ces notes de marbre.

Passée cette intempérie, nous pouvons entrevoir les puissants soleils qui ont brillé et ont sauvé ce concert de la désillusion. 

En Edvige l’incroyable Romina Basso, comme toujours, nous rend la musique dans toute sa beauté, ses nuances, sa profondeur dramatique. Son timbre chaud, agile et parfaitement intelligible la rendent une des voix les plus précieuses de cet empyrée baroque. Il faut dire qu’elle est très souvent sous-employée, et mériterait le rôle d’un Bertarido ou d’un Giulio Cesare. Son humilité, sa candeur et son enthousiasme nous passionnent et nous avons hâte de la réentendre encore et encore.

Quasiment ex-æquo, la prise de rôle de Delphine Galou en Unulfo est vraiment incroyable. Cette jeune chanteuse qui nous avait déjà époustouflé en Alessandro de l’opéra éponyme à Beaune. Ici elle incarne un Unulfo digne et noble, parfaitement équilibré et aux vocalises ciselées et finement posées. Les nuances sont parfaites, les ornements inventifs et cohérents : du grand chant, du grand art !

Et la gente masculine n’est pas du tout desservie par l’étonnant Matthew Brook qui se révèle être excellent dans son Garibaldo perfide et serpentin. Le sommet de sa prise de rôle étant le "Tirannia li diede il regno" avec des accents proches de Metallica (!). Sa voix de baryton profonde et ductile nous ravit par les couleurs sombres et l’intelligence histrionique de son timbre. 

Le métier de chroniqueur est souvent ingrat. On pense souvent que le chroniqueur est poussé par la vanité à porter des jugements sur telle ou tel artiste, tel ou tel projet. Rien n’est plus faux. Etre "critique", dans tout le sens du terme, c’est être enthousiaste, réactif, les sens en éveil. Le "critique", peut être hypersensible, parfois frustré, mais c’est avant tout un individu passionné, à l’écoute des artistes auquel il voue une profonde et sincère amitié. Ne nous leurrons pas, l’idéal n’est pas d’atteindre une impossible perfection esthétique, il réside dans la capacité émotive et seuls quelques uns savent toucher au but.

Pedro-Octavio Diaz

Site officiel du Théâtre des Champs Elysées : www.theatrechampselysees.fr

 

 

 

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