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6 janvier 2014

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Chronique Concert

Lully, Armide

Mercury Baroque de Houston, dir. Antoine Plante

Mise en scène Pascal Rambert

 

 

© Amitava Sarkar

 

Jean-Baptiste LULLY

 

Armide

Tragédie lyrique en un Prologue et 5 actes sur un livret de Philippe Quinault (1686)

 

Isabelle Cals : Armide

Zachary Wilder : Renaud

Sumner Thompson : Hidraot / Haine

Lauren Snouffer : Phenice, Gloire

Sarah Mesko : Sidonie, Sagesse

 

Choristes de lʼEnsemble Vocal Lumen de Lumine

(Chef de chœur: Didier Louis)

 

Orchestre Mercury Baroque de Houston

 

Danseurs : 

Kalifa Gandenga, François Lépée, Morgane Lory, Agathe Mercat, Fabien Olivia, Larbi Oubadia, Farid Roussange, Romane Moufflet

 

Direction musicale : Antoine Plante

Mise en scène et installation : Pascal Rambert

 

Lumière :  Jeremy Choate avec Pascal Rambert et Jean-François Besnard

 

Le spectacle est produit par le Théâtre de Gennevilliers centre dramatique national de création contemporaine, en coproduction par The Mercury Baroque Ensemble.

 

Mercredi 22 septembre, Théâtre de Gennevilliers, Gennevilliers (92)

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"Houston, nous avons un problème..."

... Armide s'est égaré avec les GI's pendant la guerre d'Irak. Après la vision esthétisante et bourgeoise de Robert Carsen que nous avions pu découvrir avec perplexité il y a deux ans au Théâtre des Champs-Elysées, revoici le Surintendant au Théâtre de Gennevilliers, qui a fait le courageux choix de programmer la dernière tragédie lyrique du tandem Lully-Quinault dans ce lieu plus habitués aux créations contemporaines. Il faut donc d'abord saluer cette volonté de diffuser l'opéra baroque hors de cénacles feutrés parisiens, de même qu'une réalisation honnête venue d'Outre-Atlantique, où la mise en scène actualisée de Pascal Rambert devait avoir plus de résonnance et d'écho qu'en nos rivages pacifiés. Il convient aussi de relativiser certaines de nos remarques de spécialistes : on ne peut attendre de l'enthousiaste et vert orchestre du Mercury Baroque en dépit d'une réelle implication les années de savoir-faire de certains de ses prestigieux confrères européens rompus à ce répertoire parfois depuis trente ans (La Grande Ecurie et la Chambre du Roy, Les Arts Florissants, La Simphonie du Marais...).

Prologue © Amitava Sarkar

Pascal Rambert a choisi de moderniser le cadre de l'action et - à l'instar de Peter Sellars ou Nigel Lowery et Amir Housseinpour dont on se souvient les treillis et les turbans chez Haendel - l'univers des croisades cède la place à la Guerre d'Irak. Le résultat est inégal quoiqu'intéressant : le Prologue, brechtien avec les oriflammes artificiellement porté par un souffle triomphant, joue avec à-propos de l'ambigüité de la Gloire et la Sagesse, qui n'hésitent pas à échanger leurs drapeaux dans une surenchère propagandiste convaincante. Toutefois, le metteur en scène n'a pas porté jusqu'au bout la contextualisation de son discours, oscillant entre un minimalisme théâtral et épuré souvent bienvenu (costumes et décors sont réduits au strict minimum), et des passages qui perdent en tension, sans compter certaines distorsions du livret. L'on admire ainsi le clin d'œil au green de golf lors de la halte enchanteresse de l'acte II scène 3, où les choristes brandissent leurs club avec douceur, la Haine qui débarque de son van aux verres fumés armée d'un fusil à pompe à la tête d'un ramassis sans scrupules (on protestera tout de même contre les bruits intempestifs de moteur) et surtout la superbe scène finale en clair-obscur expressionniste, où l'ombre désespérée d'Armide, abandonnée et misérable, hante le dernier monologue.  En revanche, on avouera notre scepticisme quant à l'acte IV qui voit Renaud, les yeux bandé, accroupi et enchaîné, maltraité par Phénice et Sidonie, chevauché par Armide. La complainte lancinante "Ah que son amour est différent du mien", où la magicienne se lamente de son amour véritable, prend ainsi une tournure malsaine. La Passacaille manque également de majesté curiale, et l'on se demande bien pourquoi les choristes et Renaud martèlent le sol en rythme, au risque de distraire l'attention de ce moment de grâce lullyste. Enfin, les amateurs de réalisations esthétisantes, de lumière dorée, de reflets moirés et de couleurs chatoyantes resteront sur leur faim devant un éclairage clinique et froid, et un plateau monochrome reflet de la modernité désincarnée.

Au niveau musical, on commencera d'abord par les choses qui fâchent pour les baroqueux que nous sommes : si le Prologue a été respecté sans la reprise de l'ouverture, l'acte IV - il est vrai plus faible dramatiquement - a été intégralement omis, de même que de nombreux divertissements (notamment le chant de victoire de Phénice, le chœur a cappella des Naïades, les ballets de la suite de la Haine). Pourtant ces derniers, parfaitement intégrés à l'intrigue - auraient rendu l'œuvre moins sèche par des moments de respiration et d'opulence bienvenus, tout en permettant à Pascal Rambert d'insérer nettement plus de chorégraphies. En outre, le Mercury Baroque de Houston n'a pas encore totalement fait sa mue baroque, tant dans l'instrumentarium (mentonnières à certains violons, percussions modernes) qu'au niveau de l'interprétation. Les notes inégales sont très appliquées, les ornements discrets, les coups d'archets bien peu variés. Si les flûtes font valoir de très beaux timbres, on aurait souhaité un continuo plus structuré et plus présent, la présence de violes et de bassons pour des couleurs plus rondes. La direction d'Antoine Plante, naturelle et sobre, respecte les inflexions du récitatif et fait la part belle aux chanteurs. Les ritournelles instrumentales ont gagné en fluidité et en suggestivité après l'entracte, avec une meilleure cohésion des cordes et des articulations plus nuancées, notamment au début de l'acte V.

 

La Haine © Amitava Sarkar

En ce qui concerne les solistes, pénalisés par une acoustique ingrate nuisant à leur projection, c'est incontestablement l'Armide d'Isabelle Cals qui se distingue par sa force tranquille, sa passion introvertie, sa souffrance résignée. Certes, le monologue "Un songe affreux m'inspire une fureur nouvelle" (I,1) est encore timide, de même que le célèbre "Enfin il est en ma puissance" sensible et discret. Mais la soprano s'épanouit pleinement aux IIIème et Vème actes, avec un "Ah si la liberté me doit être ravie" émouvant et un "Le perfide Renaud me fuit" superlatif. Le timbre est assuré, d'une belle égalité sur la tessiture, un rien cuivré. Renaud, incarné par Zachary Wilder, tire honorablement son chevalier du jeu, en dépit d'aigus forcés justifiés par la difficulté d'assumer le timbre particulier de haute-contre à la française. Sumner Thompson, en dépit d'une émission un peu voilée, fait un Hidraot fatigué et débonnaire, et une Haine plus dynamique. Enfin, les suivantes Phénice et Sidonie interprétée par Lauren Snouffer et Sarah Mesko dénotent un travail approfondi sur la prosodie et la diction et des timbres agréables.

En définitive, on retiendra de cette production l'Armide inspirée d'Isabelle Cals et la mélancolie sous-jacente du monde qui se cherche et s'égare que Pascal Rambert a su capturer, tout en souhaitant que le Mercury Baroque poursuive avec succès son exploration du répertoire baroque français.

Viet-Linh Nguyen

Site officiel du Théâtre de Gennevilliers : www.theatredegennevilliers.com

Site officiel du Mercury Baroque : www.mercurybaroque.org

 

 

 

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