Rechercher Newsletter  - Qui sommes-nous ? - Espace Presse - FAQ - Contacts - Liens -   - Bookmark and Share

 

mise à jour

6 janvier 2014

Editorial

Brèves

Numéro du mois

Agenda

Critiques CDs

Critiques concerts

Interviews

Chroniques 

Tribune

Articles & Essais

Documents

Partitions

Bibliographie

Glossaire

Quizz

 

 

Chronique Concert

Monsigny, Le Roi et le Fermier
Opera Lafayette, dir. Ryan Brown.
Mise en scène Didier Rousselet

 

Pierre-Alexandre Monsigny - D.R.

Pierre-Alexandre Monsigny (1729 – 1817)

 

Le Roi et le Fermier (1762)

 

Le Roi – Thomas Allen – ténor

Richard, le fermier – William Sharp – baryton

Jenny – Dominique Labelle – soprano

Rustaut – Thomas Dolié – baryton

Lord Lurewel – Jeffrey Thompson – ténor

Betsy – Yulia Van Doren – soprano

La Mère – Delores Ziegler – mezzo-soprano

Charlot – David Newman – baryton

Le Courtisan – Tony Boutté – ténor

 

Acteurs, les statues – Didier Rousselet, Monica Neagoy.

 

Opera Lafayette

Direction Ryan Brown.

 

Mise en scène – Didier Rousselet

Chorégraphie – Monica Neagoy.

 

5 Février 2012, Opéra Royal de Versailles.

horizontal rule

La comédie des erreurs

 

« Ah ! Mon habit, que je vous remercie !

Que je valus hier, grâce à votre valeur ! »

 

Michel-Jean Sédaine, Epître à mon habit

Le ronronnement des voies sous les roues acérées du train s’assourdit petit à petit sous le baiser doux et blanc des premières neiges. La banlieue était calme, au dessus de Paris, sur le coteau du Mont Valérien, qui dominait l’agitation et la gadoue citadine avec ses ors et ses lustres de couleurs. Sous les rails et derrière les vitres le silence régnait, soudain du loin, du cœur des bois et des futaies, entre les pavillons évidés et assoupis s’échappa le murmure de cette chanson de Marietta qui frissonna dans la Ville Morte entre les neiges. Le train s’arrêta à Versailles et entre la ville d’ocre doré et de façades livides, s’incarna tout à coup le soupçon de Russie qui gisait sur le verglas et dans le vent. La ville du Roi-Soleil vêtit pour l’occasion les couleurs de celle de Pierre le Grand et c’est comme ça que la France accueillit l’ambassade baroque du Potomac, les dignes héritiers de Franklin, Ryan Brown et Opera Lafayette.

Dans la salle, chauffée par les nombreuses fourrures, les brushings, les vestons Armani et les tweeds Chanel, les gosiers parfumés d’anglo-saxon, les yeux rivés sur les décors évidés d’une forêt somptueuse, comme l’entrée magique vers un temps révolu. Loin d’être surannées ces toiles peintes figeaient sur la scène de l’Opéra Royal un souvenir, la marque de l’Histoire nostalgique.

Le Spectacle, s’articula divinement avec une homogénéité parfaite entre la fosse et la scène. Si bien on aurait pu craindre à la restitution des textes et la prosodie tellement essentielle à ces œuvres, tant la mise en scène que l’immense intelligence des interprètes ont donné une leçon incroyable aux artistes européens. Tout d’abord le choix du répertoire, Pierre-Alexandre Monsigny, célébrissime à son époque et pendant le premier XIXème siècle, notamment grâce à son délicieux Déserteur. Et  comment oublier son complice, le génial Michel-Jean Sédaine, siège 7 de l’Académie Française, où s’assit Isaac Bensérade auteur de la devise « Nec pluribus impar » et plus récemment, Lamartine, Bergson et Jacqueline de Romilly.

Il ne faut pas oublier l’importance qu’avait à l’époque l’Opéra Comique qui est un genre en cours de redécouverte en France. Et c’est bien dommage que la révolution baroqueuse ait négligé Monsigny, Duni, Philidor, Dezède ou Floquet,  rappelons que c’est Ryan Brown qui a enregistré et recrée Le Déserteur,  que le sublimissime  Alcindor de Dezède dort encore dans la Bibliothèque de l’Opéra et que le Tom Jones de Philidor a été recréé à Lausanne et aucune salle Française ne l’a repris.  La France semble avoir un malaise avec son rire.  La marque apollinienne du Grand Siècle aurait définitivement chassé Marsyas ?

 

© Château de Versailles spectacles

Mais ce soir l’esprit de l’ancien Théâtre de Monsieur, de la Salle Favart, du Théâtre de la Porte Saint-Martin renaissait au sanctus sanctorum de la Tragédie Lyrique. Du royaume mythique de Powathan, là où le Potomac baigne les magnoliers en fleur et dans une caresse de cristal réveille les façades éburnées de la ville de Pierre l’Enfant,  Ryan Brown invoque les splendeurs délicates de Monsigny, couplées avec une mise en scène extraordinaire entre pantomime et jeu de gestes de Denis Rousselet. Inspirés comme le dit le programme par l’exposition Pajou au Metropolitan Museum, le metteur en scène et son assistante sont des bustes qui se transforment en narrateurs, et en dialoguistes illustrant et accompagnant les acteurs tels des bons esprits qui ajoutent du fabuleux à cette délicieuse farce. Denis Rousselet et  Monica Neagoy entre scène, salle et orchestre sont le lien magique pour créer une homogénéité enthousiaste et communicative. Grâce à leur présence et le jeu extrêmement désinvolte des chanteurs, la poussière que nous redoutions d’une reconstitution historique s’envole et Le Roi et le Fermier devient l’exemple même de l’équilibre entre historicisme et modernité.

Une grande partie du mérite revient à Ryan Brown et Opera Lafayette. Que ce soit la direction alerte, nuancée, énergique et sensible du chef américain  qui sait permettre aux chanteurs de se mettre en valeur et restitue avec soin chaque bijou de cette partition sans l’alourdir d’une approche muséale et scientifique. Ryan Brown est un chef incomparable pour le théâtre. Suivant avec précision, chromatisme et pertinence leur chef, Opera Lafayette se révèle splendide dans la profusion d’effets, toujours homogène et d’une justesse incomparable. 

Complices dans ce joli succès, le roi magnifique au ténor équilibré de Thomas Allen et le baryton puissant et clair de William Sharp rendent le double rôle titre élégiaque dans les morceaux sentimentaux, parfaits dans le vaudeville et désopilants dans les morceaux d’ensemble.

La part du lion reviens néanmoins à la sublime Dominique Labelle, qui nous a charmé dans ses interventions haendéliennes avec Alan Curtis (Radamisto, Deidamia) et maintenant nous restitue avec panache, charme et délicatesse les délicieuses parties musicales de Jenny. Ex æquo, la divine Betsy de Yulia van Doren, aux aigus perlés, divine dans ce rôle adolescent et naïf, nous saluons son investissement théâtral émouvant et picaresque. Dans le rôle de la mère, Delores Ziegler dénote quelques problèmes avec la prosodie, mais son mezzo de carattere nous ravit. 

Dans le rôle du grand méchant, le perfide et libidineux Lord Lurewel, l’extraordinaire Jeffrey Thompson aux extravagances théâtrales et à la voix sublime. Dans les rôles secondaires nous saluons la voix et le jeu du magnifique Thomas Dolié qu’on aimerait voir davantage sur les premiers plans car il unit en lui le charme et le talent des grandes voix.  Nous saluons aussi la finesse de Tony Boutté et de David Newman.

Toute cette belle équipe ont rendu justice à deux grands hommes oubliés, Monsigny est revenu à Versailles et Sédaine a pu retrouver son habit qui le rendit célèbre. Ryan Brown récolte d’un double triomphe en recréant Le Roi et le Fermier, il démontre que Monsigny a toute sa place dans les programmes des maisons d’opéra, et que les Etats-Unis sont aussi une nation baroque, les leçons de Lafayette ne s’oublient pas.

Pedro-Octavio Diaz

Site officiel de Château de Versailles Spectacles : www.chateauversaillesspectacles.fr

 

 

Affichage recommandé : 1280 x 800

Muse Baroque, le magazine de la musique baroque

tous droits réservés, 2003-2014