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6 janvier 2014

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Chronique Concert

Monteverdi, Il Combattimento di Tancredi e Clorinda

Le Poème Harmonique, Vincent Dumestre

 

 

 © Patrice Nin

 

Claudio Monteverdi (1567-1643)

Trois extraits du Huitième Livre des Magrigali Guerrieri ed Amorosi, 1638

Or ch'el Ciel e la Terra sur un poème de Petrarca

Il Combattimento di Tancredi e Clorinda extrait de la Gerusalemme liberata de Torquato Tasso

Il Lamento della Ninfa sur un poème de Rinuccini

 

Giovanni Maria Trabaci

Consonanze Stravaganti

 

Marco Marazzoli (1602/1608-1662)

La Fiera di Farfa (Rome, 1639)

 

Claire Lefilliâtre, soprano
Isabelle Druet, mezzo-soprano
Bruno Le Levreur, Alto
Jean-François Lombard, alto
Serge Goubioud, ténor
Jan van Elsacker, ténor
Hugues Primard, ténor
Olivier Martin Salvan, Ténor
Marc Mauillon, Baryton
Benoît Arnould, basse
 

Le Poème Harmonique :
Lorenzo Colitto Violon
Lisa Ferguson, Violon
Isabelle Saint Yves, Viole de gambe
Lucas Peres, Lirone
Françoise Enock, Violone
Emmanuel Jacques, Basse de violon
Massimo Moscardo, Archiluth et guitare
Frédéric Rivoal, Clavecin
 

Vincent Dumestre, Théorbe & Direction

 

25 Février 2010, Opéra Comique, Paris

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Nuages et Grand Soleil : le combat

Haletant sous la pluie, accompagné virtuellement à travers le casque audio de l'ouverture de l'Amant Jaloux, le chroniqueur ruisselant tournait ses pas empressés dans la rue Grétry. La rue Marivaux luisait tel le dos d'un cétacé au bord de la place intime de la Salle Favart toute de feu resplendissante. Mais il est presque 20h, la cloche allait retentir, imminente et comminatoire. Rassemblés au deuxième balcon, pas très loin du plafond aux éphémérides silencieuses, des belles dames et beaux messieurs endimanchés de vestons de bureau ou de tailleurs administratifs cessaient leur bavardage nonchalant aux sirènes de scène qui annonçaient le lever du rideau. Le chroniqueur, séchait péniblement son front de la giboulée parisienne qu'il trainait depuis la rue Richelieu, dans son élan il prit place et espéra au fond de son fauteuil les rayons nourriciers de la musique ultramontaine. Monteverdi et son Combattimento di Tancredi e Clorinda à l'affiche promettaient leur fastueuse présence dramatique sur une scène nue de décors dans une mise en espace sobre et tendue du rideau vermillon qui préfigurait le sang de la Jérusalem délivrée et des amours passionnées du fier Tancrède et de la belle et funeste Clorinde. La soirée s'avéra inégale et surprenante, car il faut avouer que le plaisir vint non de l'attendu Combattimento montéverdien, mais du génie comique de Marazzoli.

Alors qu'une nouvelle giboulée dénouait ses mèches en désordre sur la vieille tête de Paris, le Poème Harmonique en formation restreinte (un clavecin, un luth, deux violes, deux violons, un violone) et un chœur fourni (Mlles Lefilliâtre et Druet bien identifiées) égrena un madrigal sur des vers de Pétrarque "Or ch'el ciel e la terra" en bien triste introduction pour un concert annoncé combatif et passionné. Aux couleurs opaques et harmonies sérieuses mais sans relief, le madrigal est  malheureusement noyé dans les plis et replis de la partition, la poésie devenant un prétexte pour vocaliser et non plus le cœur même du Recitar Cantando.

Notre étonnement fut à son comble quand nos oreilles ahuries ont entendu le Combat de Tancrède et Clorinde qui suivit. Ce récit dramatique est fondé sur un large extrait du poème de Torquato Tasso sur une allégorique et fantaisiste Première Croisade. Ici Tancrède, bel et chevaleresque croisé combat avec la guerrière musulmane Clorinde lors d'une courte escarmouche aux portes de Jérusalem. Mais le drame se corse quand, la mahométane blessée, jusqu'alors coiffée de son morion, laisse choir son armure pour découvrir sa beauté féminine où Tancrède reconnaît l'inconnue dont il est tombé amoureux. La musique de Monteverdi, en temps normal, presque indissociable du texte est d'une vraisemblance rhétorique et poétique brillante. Hélas, Le Poème Harmonique, malgré les voix très belles des trois personnages de Clorinde, Tancrède et le Narrateur, et la haute qualité des instrumentistes pêche d'extravagance et de personnalisation. Des essais de variations ça et là n'ajoutèrent rien ni au propos musical ni au drame, qui au contraire était sobrement interprété, sans engagement et avec une lourdeur étonnante pour une pièce aussi connue et autant jouée.

Et nous avons été aussi surpris par le Lamento della Ninfa. Voyant paraître Claire Lefilliâtre les augures d'une interprétation mémorable étaient garantis. Mais, malgré les efforts engagés de la splendide chanteuse pour nous attendrir et nous émouvoir, la masse musicale ne s'envolait pas, nous n'étions que très faiblement touchés. Nous regrettons aussi le semblant d'indifférence qui habita le morceau de Trabaci.

 © Patrice Nin

Mais l'accalmie des cieux laissa sentir sur le plafond de l'Opéra Comique comme un soulagement des éléments. Les combats de l'ancien temps, aux accords parfois sévères mais évocateurs allaient trainer leur langueur loin de ce temple du rire et de l'ironie. Le Poème Harmonique est un ensemble avant-gardiste et curieux, la plus belle trouvaille est en définitive la musique de Marco Marazzoli. Compositeur romain, à l'époque où la ville pontificale était le centre névralgique du Baroque Européen, il collabora avec les plus grandes figures culturelles et politiques de son temps. Ce soir nous allons entendre pour la première fois depuis le XVIIème siècle, un petit intermezzo, La Fiera di Farfa. L'émotion du passionné pour la recréation est augmentée en apprenant dans le programme que ce fut le tout premier Intermezzo comique inséré dans un opéra. La Fiera di Farfa, mêlant les accents populaires et la parodie représente les intrigues et caricatures d'une foire romaine. Elle est intégrée en 1639 à l'opéra Chi sofre speri de Virgilio Mazzocchi et de Marco Marazzoli et son livret fut rédigé par Giulio Rospigliosi.

Ce dernier personnage mérite un petit détour. Né en 1600 dans la ville florentine de Pistoia, il fut éduqué par les Jésuites et devenu un des plus proches collaborateurs du pape Urbain VIII Maffeo Barberini (1623-1644) dont la famille était protectrice des plus grands artistes romains dont Le Bernin, Marazzoli, les frères Mazzocchi, Luigi Rossi mais aussi un certain Giulio Mazarini, qui fera connaître les splendeurs musicales et artistiques de Rome à Paris, sous le nom de Jules Mazarin. Rospigliosi est connu en tant qu'homme d'église et ses qualités le propulseront en 1667 au trône de Saint-Pierre sous le nom de Clément IX jusqu'en 1669, année de son décès. Par ailleurs, il fut un des librettistes les plus réputés de la Ville Éternelle. On lui doit, à part d'innombrables poèmes de circonstance mis en musique, les livrets du Palazzo Incantato d'Atlante, mis en musique par Luigi Rossi et recréé par Christina Pluhar et son Arpeggiata, La Vita Humana de Marco Marazzoli recréée par le Poème Harmonique et le plus célèbre Sant'Alessio mis en musique par Stefano Landi, en 1631, premier opéra romain et dont les reprises contemporaines ont été nombreuses. La Fiera di Farfa constitue une exception dans sa production étant un livret burlesque court.

Dès les premiers accords, c'est tout le soleil de l'Italie qui envahit le théâtre, avec sa chaleur et ses lumineux bienfaits. La seule chose que nous déplorons c'est le manque de sur-titrage qui rendent finalement parfois inintelligibles certains traits comiques qui semblent désopilants. Car les interprètes nous ont mimé, chanté, joué et déclamé, incarné les marchands, les clients, les poissardes, les galants et les charlatans d'une foire populaire de l'ère baroque. Aux charmants "airs minute" de chaque personnage (nous retiendrons une musette bêlée par le vieux barbon), s'est mêlée soudain la parodie d'un extrait du Combattimento de Tancredi e Clorinda. Mais l'apothéose fut atteinte lors d'une chaconne chantée par le ténor Serge Goubioud qui s'accompagna de castagnettes. Cet air mêlant le style romain propre à Marazzoli, déclamatoire et raffiné, aux accents populaires encore présents dans le folklore, dérida définitivement le chroniqueur. La voix charnue à l'émission claire et au timbre brillant de Serge Goubioud nous ont fait oublier la pluie, les nordiques morsures du vent de février, les trottoirs mouillés d'un jeudi affairé; le ciel s'ouvrit sur un bleu céruléen, la lumière devint dorée et les couleurs du Caravage et de Tiepolo se mêlèrent pour nous peindre l'humaine volupté du sentiment et du rire. La danse fit son apparition et telles les hypnotiques tarentelles de Naples, la salle fut possédée par l'appel sec et chaud des castagnettes, au point que notre voisin fut saisi et suivait les mouvements de la musique et avec son torse, ses épaules et ses mains.

Étonnante Soirée de Favart, où la délicate poésie de Monteverdi fut dépassée par le fougueux génie de Marazzoli. Belle revanche alors pour l'opéra romain qui campe la plèbe en lui donnant des accents nobles. La Fiera di Farfa a démontré que sa force est d'actualité, elle a trouvé sa voix grâce à l'intelligence et l'engagement de Vincent Dumestre et son Poème Harmonique et sa place dans un Opéra Comique ensoleillé. Nous espérons que le prodige de Marazzoli aura les honneurs du disque, La Fiera di Farfa mérite largement de figurer à coté de La Serva Padrona. De même nous espérons que Vincent Dumestre et son ensemble nous charmeront encore avec la musique merveilleuse de la Rome baroque qu'ils servent avec honneur et perfection.

Ici le charme ne vient pas plus à propos, le Boulevard des Italiens n'est qu'à quelques pas d'une salle Favart qui a chanté sous ses ors, cent et mille fois les rires cristallins des pays du soleil, même sous les derniers frimas de l'hiver.

Pedro-Octavio Diaz

Site officiel de l'Opéra Comique : www.opera-comique.com

 

 

 

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