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Chronique Festival

Mozart, Thamos, Roi d'Egypte

 

Le Cercle de l’Harmonie, direction Jérémie Rhorer

 

Jérémie Rohrer - D.R.

MOZART
 

THAMOS, ROI D’EGYPTE

Mozart
La Flûte enchantée, ouverture (K. 620)
Symphonie n° 31 (K. 297)

Rigel
La Sortie d’Egypte

Mozart
Thamos, roi d’Egypte (K. 345)

Eugénie Warnier, soprano
Camille Merckx, mezzo-soprano
Mathias Vidal, ténor
Andreas Wolf, baryton-basse

Choeur de chambre Les Eléments, Joël Suhubiette (direction musicale)

Orchestre Le Cercle de l’Harmonie, sur instruments d’époque, direction Jérémie Rhorer

 

1er juillet 2010, Basilique cathédrale de Saint-Denis

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« Cette pièce, n’ayant pas plu, est reléguée ici parmi les pièces discréditées qui ne seront plus jouées. Il faudrait la donner uniquement pour la musique et ce sera bien difficile… C’est certainement dommage » Lettre de Mozart à son père à propos de Thamos, le 15 février 1783.

C’est avec un concert riche et original, à dominante Mozart, que le Festival de Saint-Denis s’est clôturé le 1er juillet 2010 au sein de la Basilique Cathédrale : une ouverture d’opéra et trois œuvres, dont deux rares, occupaient l’affiche. L’orchestre Le Cercle de l’Harmonie et le Chœur de chambre Les Eléments dirigés par Jérémie Rhorer n’étaient pas moins l’objet de notre curiosité, compte tenu qu’ils jouent le répertoire de la fin du 18e siècle sur instruments d’époque et collaborent depuis quelques années.

L’orchestre débutait seul la soirée avec l’ouverture de la Flûte enchantée. Une œuvre populaire jouée en introduction facilite non seulement la prise de repères au niveau de l’interprétation, mais aussi par rapport à l’acoustique de la salle. Or, force est de constater, que la Basilique Cathédrale présente une réverbération importante, certes inhérente aux édifices religieux en général, mais qui a dégradé durablement la qualité de l’écoute. Heureusement, d’un point de vue musical, la justesse du style a pu apparaître à tout un chacun dès les premières mesures : maîtrise des contrastes, finesse et allant des violons, cohésion orchestrale autour d’une ligne directrice, le rideau pouvait se lever…

L’ouverture d’opéra annonçait la suite du programme avec chœur et solistes : Thamos roi d’Egypte, œuvre de jeunesse méconnue de Mozart dont la thématique alimentera plus tard la Flûte enchantée, et dans une moindre mesure, la Sortie d’Egypte du compositeur d’origine allemande Henri-Joseph Rigel. Mais avant ces deux œuvres pourtant conséquentes, Jérémie Rhorer nous proposait la symphonie n° 31 appelée "Paris". Celle-ci fut écrite en effet sur mesure par Mozart pour le public parisien et créée en 1778 par Joseph Legros, directeur du Concert Spirituel. C’est sa première symphonie qui utilise l’orchestre au complet avec les clarinettes. Si les deux mouvements extérieurs sont brillants et sans doute plus superficiels que les grandes pièces ultérieures, le mouvement andante central est un joyau de l’art mozartien ; la première version à 6/8 aurait été remplacée par une seconde à 3/4, après les critiques de Legros ("trop de modulations… trop long" aurait-il dit au compositeur). En dépit de l’acoustique défavorable (promis je n’en parle plus), les interprètes nous ont immédiatement plongé au cœur de l’allegro assai : alors que chaque pupitre présentait un caractère et une couleur bien spécifiques (notamment dans le registre mezzo voce), tout progressait avec une ardeur et une fraîcheur étonnantes. Certes, nous n’avons pas l’habitude d’entendre Mozart sur instruments d’époque, mais cela peut donner le meilleur comme le pire. L’andante a laissé une impression d’épure, dont l’architecture invisible mais protéiforme, avançait gracieusement, ponctuée deçà delà par les bois et les cuivres, humbles et touchants. L’explosion finale de l’allegro n’en a été que d’autant plus fulgurante, les violons officiant de leur sonorité à la fois suave et cristalline, et l’essaim de nuances virevoltant avec une précision magistrale ! Un grand bravo au premier violon Julien Chauvin, l’un des principaux instigateurs de cette maestria.

La symphonie n° 31 nous conduisait presque naturellement à Henri-Joseph Rigel, compositeur contemporain de Mozart et de Gluck qui, une fois installé à Paris en 1767, dirigea le Concert Spirituel… La Sortie d’Egypte au programme de ce concert est l’un des quatre hiérodrames - ou drames sacrés - écrits par Rigel, il décrit Moïse qui libère son peuple et traverse la Mer Rouge. Créée en 1774, l’œuvre nécessite quatre chanteurs en plus de l’orchestre et du chœur. Avouons-le dès à présent : la Sortie d’Egypte nous a un peu ennuyé, et ce, malgré l’interprétation éclairée de l’ensemble des musiciens. Rigel démontre certes une aisance indiscutable dans le genre dramatique de l'oratorio français à l'époque de Gluck (celui-ci ayant d’ailleurs défendu la pièce), mais son style est très éclectique, revisitant à la fois Rameau et Mondonville, il enchaîne les fresques grandiloquentes et les effets choraux (par exemple le chœur des Egyptiens "Courons, hâtons-nous"). Cependant, impossible de ne pas rendre compte des très grandes qualités du Chœur de chambre Les Eléments : continuellement en première ligne, il a fait preuve de clarté et d’homogénéité, de nervosité et d’ampleur. De plus, aussi bien dans le passage émouvant "Ô prodige inouï, le Dieu de l’univers ouvre devant nos pas les abîmes des mers" que dans la fin mouvementée, il a su créer l’ambiance ébauchée par le texte et donner le relief nécessaire à la dramaturgie. Quant aux voix solistes, certes de belle facture, elles étaient plus en retrait et venaient renforcer brièvement les différents épisodes narratifs. Notons néanmoins l’exécution haute en couleur par la soprano Eugénie Warnier - pourtant annoncée comme souffrante - du passage de la femme seule "Ciel, ô ciel ! De mon fils j’ai vu tomber la tête".

Que faisiez-vous à 17 ans ? Mozart écrivait Thamos roi d’Egypte, étape majeure dans la gestation de l’œuvre du compositeur. Il s’agit d’une musique de scène écrite pour le "drame héroïque" du baron Von Gebler entre 1773 et 1779 (date à laquelle est apparu le chœur final). Soulignons de nouveau la cohérence du programme : c’est Gluck, dont il a été question avec Rigel, qui était pressenti pour accompagner le texte, mais il déclina l’offre. S’il existe des points communs avec la Flûte enchantée (1791) concernant l’intrigue qui se passe en Egypte, les personnages (Sethos le grand prêtre ressemble par exemple à Sarastro) et les connotations franc-maçonniques (Von Gebler appartenait à une Loge), l’intérêt de Thamos selon Rémy Stricker « réside plus dans la manière dont il s’inscrit dans la préhistoire de l’opéra mozartien (traitement du chœur et innovation du mélodrame, essentiellement), que dans une préfiguration du dernier opéra » (p. 340, Guide des opéras de Mozart, sous la direction de Brigitte Massin, Fayard, 1991). Nous sommes effectivement sept années avant Idoménée, le premier opéra de Mozart. Thamos va succéder à son père Ramsès, ce dernier ayant usurpé le trône au roi légitime Ménès. Celui-ci revient pour se venger sous l’identité du grand prêtre Sethos. Thamos aime la prêtresse Saïs qui est en fait Tharsis, la fille de Ménès, mais celui-ci la destine à Phéron, un général traître. Quand Ménès révèle sa vraie nature, Phéron est frappé par la foudre. Ménès vaincu cède sa place à Thamos et Tharsis.

La partition comprend trois chœurs, quatre entractes et un mélodrame ; le seul rôle nommé est celui de Sethos, le grand prêtre (baryton), et il est également prévu des parties pour quatre solistes (soprano, alto, ténor et basse). Ecrit dès 1773 et modifié six années plus tard, le premier chœur «"Schon weichet dir, Sonne, des Lichtes Feindin, die Nacht !" (déjà la nuit, ennemie du jour, te cède la place, ô soleil) appartient aux plus imposantes compositions chorales de Mozart. Dans un mouvement maestoso avec timbales et trompettes, les vierges et les prêtres demandent au soleil qu’il soutienne le futur souverain et son peuple. Ce type de musique n’a d’intérêt que s’il est parfaitement mis en place avec les effets attendus, simples mais efficaces. Ce fut bel et bien le cas dans l’interprétation qu’en a donnée Jérémie Rhorer : remarquable était le pianissimo du chœur sur "die Nacht" dans les premières mesures, ou encore, vifs et légers étaient les violons qui ont accompagné "Det muntern Jugend gib Lenksamkeit, Tugend" (donne à l’alerte jeunesse docilité et vertu). Le double chœur masculin et féminin nous a gratifié aussi d’un rendu saisissant, en raison de l’implication des solistes, de leur parfaite diction et de la belle complémentarité des voix (d’un côté soprano et mezzo-soprano, d’un autre, ténor et baryton-basse).

Des quatre entractes que compte Thamos, le troisième est sans aucun doute le plus intéressant de par sa construction. Un entracte est un interlude orchestral qui fait le lien sur le plan émotionnel entre deux actes, or le compositeur a prolongé le troisième d’un mélodrame, genre nouveau à l’époque mêlant le parlé et l’instrumental ; mais le texte n’étant jamais dit avec la musique (ce que l’on peut regretter d’ailleurs), il appartient aux interprètes de créer cette illusion. Le Cercle de l’Harmonie a atteint cet objectif avec grâce et précision, lors de la succession heurtée des petits motifs non développés, mais très divers : ainsi, les hésitations de Saïs pour s’associer au traître Phéron, n’en paraissaient que plus douloureuses.

Thamos s’achevait avec l’air célèbre du grand prêtre "Ihr Kinder des Staubes, erzittert und bebet, bevor ihr euch wider die Götter erhebet !" (Vous, enfants de la poussière, tremblez et frémissez avant de vous soulever contre les dieux), suivi du chœur qui reprend les paroles à son compte, pour finir ensuite sur un ton plus optimiste. Sethos révèle en effet son identité et appelle le peuple à craindre le tonnerre divin : cet air de basse est marquant à plus d’un titre, non seulement parce qu’il se rapproche du Commandeur dans Don Giovanni et de Sarastro dans la Flûte enchantée, mais aussi parce que l’accompagnement orchestral de par sa masse et son écriture dense, accentue l’angoisse suscitée par le texte. Bénéficiant d’un timbre riche et ample, ainsi que d’une grande tenue vocale, Andreas Wolf a incarné un Sethos sombre et charismatique, sans tomber non plus exagérément dans le pathos. L’orchestre de son côté, en pleine maîtrise de ses moyens, était déchaîné dès le passage introductif très imagé (Phéron est foudroyé) ; il poursuivait avec brio et théâtralité sur le solo de la basse, n’hésitant pas à exhiber des contrastes exacerbés et ce, jusqu’à la transition subtile et haletante qui mène au chœur final. Les choristes justement, toujours aussi clairs, nuancés et énergiques, nous ont comblé avec un final distillant à la fois solennité et légèreté ! On peut souligner à ce propos le travail magnifique de préparation de Joël Suhubiette, leur directeur musical.

En conclusion, le concert de clôture du Festival de Saint-Denis était sur tous les plans très réussi pour cette année 2010.

Frédéric Laglaive

Festival de Saint-Denis (Saint-Denis, 1er juin - 1er juillet 2010)

Le site officiel du Festival : http://festival-saint-denis.com (programme, réservations)

 

 

 

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