|
Rechercher
- Newsletter
-
Qui sommes-nous ?
-
Espace Presse - FAQ
-
Contacts -
Liens
- |
|
mise à jour 6 janvier 2014
|
Chronique Concert Müsenna, Fêtes et divertissements à Istanbul au XVIIIème siècle Ensembles La Turchesta et Cevher-i Musiki, Chimène Seymen
© Gautier Pallancher
"Müsennâ" Fêtes et divertissements à Istanbul au XVIIème siècle
Introduction Premier tableau "Le Palais du Sultan" Deuxième tableau "La Ville d'Istanbul" Troisième tableau "Les Bords du Kagithane" Quatrième tableau : "Le Palais de France" Final : "Le Départ"
Ensemble de musique baroque La Turchesta Ensemble de musique traditionnelle turque Cevher-i Musiki
Mise en scène et chorégraphie : Cécile Roussat & Julien Lubek Scénographie : Elodie Monet Costumes : David Messinger Maquillages : Giorgia Neveu Lumières : Benoît Fenayon Régisseur : Pierre Martigne
Comédien récitant : Julien Lubek Danse baroque : Cécile Roussat, Akiko Veaux, Flora Sans Danses traditionnelles turques : Ümit Yumlu Danse, acrobatie : Iris Garabedian, Hilarion Brumant
Direction artistique Chimène Seymen
29 mars 2010, Théâtre des Bouffes du Nord, Paris
"Je vous l'avais bien dit, qu'il parle turc" (Molière, Le Bourgeois Gentilhomme) Il faut parfois savoir se taire, et se laisser emporter par la musique et les couleurs, les timbres surprenants, les galipettes des saltimbanques (sans aucun sens péjoratif), les consonances chantantes des récits de voyage. Et Müsennâ compte parmi ces voyages, où l'on se retrouve pendant presque 2 heures propulsés vers une Sublime Porte sublime, les yeux émerveillés étincelants d'une lueur espiègle d'enfant. Alors, oui, certains reprocheront à notre Muse de ne pas suffisamment se concentrer sur la musicologie et les constats froids et objectifs. Détailler les ports de voix de Chimène Seymen dans le "Lagrime mie" de Strozzi, détailler l'acoustique particulière des Bouffes du Nord qui privilégie les vents et les percussions au détriment de la voix (ce qui varie peut-être en fonction du placement). Mais ce compte-rendu sera résolument celui d'un récit de voyage, reflet des mémoires d'Ali Ufkî, Antoine Galland, Joseph Grelot, Jean Thévenot... déclamés avec drôlerie et emphase en français restitué par Julien Lubek vêtu de sa veste et son justaucorps XVIIIème, et nous laisserons prochainement la parole à Chimène Seymen elle-même pour découvrir plus avant les coulisses et l'esprit de ce projet ambitieux d'un pont jeté entre l'Orient et l'Occident.
Julien Lubek et 3 "grosses têtes" © Gautier Pallancher Mais revenons au titre du spectacle, "Müsennâ", qui tire son nom de l’écriture "en miroir" de la calligraphie turque du XVIIe siècle ce qui lui sert de fil d'Ariane. Car miroir entre deux civilisations et miroir entre les arts, Müsennâ, créé en août 2009 lors du Festival de Sablé, poursuite du travail engagé par Chimène Seymen avec notamment la parution de "La Sérénissime et la Sublime Porte" (Calliope), se révèle un spectacle total, alliant musique, déclamation et théâtre, danse et acrobaties dans lequel l'on suit les pérégrinations d'un Français dans la capitale ottomane, qui en découvre les plaisirs festifs. Et nous avouons avoir bien du mal à poursuivre notre relation sur ce canevas, tant le spectacle se révèle chatoyant et dynamique, bouillonnant de vie et de tableaux aussi variés que spectaculaires, qui correspondent aux épisodes du voyage imaginaire de notre compatriote émerveillé incarné par Julien Lubek.
Chimène Seymen © Gautier Pallancher Le décor (ici amputé de ses deux galeries latérales pour des raisons logistiques) évoque les architectures ornant les miniatures ottomanes, avec des couleurs pastels et des lignes de perspective un peu bancales que les éclairages de Benoît Fenayon amplifient, jouant sur une palette chromatique chaude, et parfois de beaux clairs-obscurs comme dans une séquence éclairée de seules lanternes. A droite à à gauche du décor se placent les deux orchestres de La Turchesta et Cevher-i Musiki, en apparence irrémédiablement séparés. Mais la musique abolit le temps et l'espace et à de nombreuses reprises, les instruments des deux rives du Bosphore mêlent leurs sonorités sur des pièces ottomanes ou italiennes, conservant leur expressivité et leurs codes tout en reprenant les mélodies, si bien que l'auditeur, troublé, se demande véritablement parfois si telle Colascione de Kapsberger (nous avons relu 2 fois le programme pour nous en assurer !) ou tel Scherzo de Calestani n'est pas un air venu de l'Orient. Chimène Seymen entretient cette troublante proximité par un art consommé des enchaînements de tonalités, des transitions, des improvisations introductives, de la combinaison échelonnée des différents instruments qui s'ajoutent au fur et à mesure à la palette sonore. On admire la poésie douce qui enveloppe le spectacle, la mise en abîme des danses baroques et ottomanes. L'exécution musicale, très évocatrice, et avec un soin particulier apporté aux timbres et à l'ornementation, parvient à conserver une fraîcheur spontanée, un caractère chambriste presque "artisanal" - malgré une préparation minutieuse - qui rend crédible les déambulations des voyageurs européens à travers les souks et les palais stambouliotes. Les airs de cour et danses italiennes sont extrêmement rythmés, avec des percussions bienvenues et des cordes pincées (théorbe et harpe baroque) fermement assises, où le violon grainé et lyrique de Steffanie de Failly dessine ses arabesques. Tout en confessant notre relative ignorance quant aux instruments ottomans de l'époque que les membres de Cevher-i Musiki manient tous avec ductilité et naturel, le jeu de miroir permet de déceler des similitudes en termes de sonorités ou de facture et l'on s'intéressera notamment au rebap (sorte de parent du rebec médiéval), au long luth tanbur, ou encore à la cithare sur table santur qui se marie si bien à nos autres cordes pincées d'Europe.
© Gautier Pallancher Aux trois scènes du Cocu Imaginaire de Molière encor empreinte du vocabulaire scénique de la Commedia dell'Arte, aux reflets dorés de la robe vénitienne de Chimène Seymen répondent le théâtre d'ombres "Karagöz", les gigantesques marionnettes si réjouissantes avec leurs visages démesurés, le cerf-volant écarlate en forme de Phénix qui flotte sans peine sur un enchaînement qui jamais ne s'essouffle dramatiquement jusqu'à l'effusion finale et les ovations tout aussi frénétiques du public. Ce spectacle original et si difficilement descriptible a été repris pour le gala de clôture de la Saison de la Turquie en France dans le cadre prestigieux de l'Opéra Royal de Versailles. Souhaitons qu'après le tombé du rideau fleurdelisé , "Müsennâ" puisse continuer à paraître sur les scènes d'Europe, et que ce miroir réfléchi continue de briller.
|
|
Affichage recommandé : 1280 x 800 Muse Baroque, le magazine de la musique baroque tous droits réservés, 2003-2014
|