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6 janvier 2014

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Chronique Concert

Pagliardi, Caligula delirante,

Le Poème Harmonique, dir. Vincent Dumestre

 

© Maroussia Podkosova
 

Giovanni Maria Pagliardi (1637-1702)

 

Caligula Delirante

(1672 – créé à Venise au Teatro San Giovanni e Paolo)

 

Caligula – Jan van Elsacker – ténor

Cesonia – Caroline Meng – soprano

Artabano/ Domitio – Florian Götz – baryton

Tigrane/ Claudio – Jean-François Lombard – haute-contre

Teosena – Luanda Siqueira – soprano

Gelsa/ Nesbo – Serge Goubioud – ténor

 

Compagnie Figli d’Arte Cuticchio

 

Le Poëme Harmonique

Dir. Vincent Dumestre

 

10 Mars 2012 – Théâtre de l’Athénée – Louis Jouvet

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« Es pasión, delirio de estar contigo.» / « C’est une passion, je délire d’être auprès de toi. »

 

Pablo Milanés, Delirio.

 

On impute souvent dans les pays hyperboréens aux latins la chaleur de leur sang et les excès de leurs passions. Si bien les sentiments poussés à l’extrême peuvent demeurer, malgré la psychologie, inexpliqués et souvent à l’époque baroque référencés comme des coups de sang, c’est au delà de la raison et de la logique qu’ils puisent leur nature, bien au fond de ce que nous sommes, l’instinct animal de survie, de reproduction et de prédation.

 

Parallèlement à toute analyse, quasiment la figuration de ces excès se retrouvent dans les chroniques rocambolesques des historiens romains, que ce soit dans les Histoires, dans Suétone ou dans Dion Cassius, la haute sphère capitoline porte souvent des lauriers irrationnels et la pourpre impériale est souvent de la même couleur que le sang.  Une des figures notables de cette histoire est Caius Caesar Germanicus dit Caligula. Empereur au destin conduit par la gloire et le meurtre de cette engeance issue d’Octave, Caligula est à la fois la jeunesse, la folie, la passion et la vanité. Figure tragique issue du Germanicus aux abords marmoréens dignes de Racine ou de Corneille, Caligula est bien plus proche de la tragédie humaine contemporaine dont Camus se fit le chantre.

 

Cependant, l’ère baroque, fascinée par cette Rome pulsionnelle et hautement séduisante par ses saltimbanques de pouvoir, de sexe et de folie, revient souvent vers Néron ou vers César, mais rarement vers ce jeune Caligula à la silhouette éternellement adolescente. 

 

Quand le théâtre de l’Athénée-Louis Jouvet nous offrit la surprise immense de recréer à Paris ces larges extraits du Caligula Delirante de Giovanni Maria Pagliardi, notre curiosité et notre passion fut à son comble.

 

Vincent Dumestre, en archéologue de talent, redécouvre la musique extraordinaire de Pagliardi. Ce compositeur génois est surtout célèbre par ses opéras et notamment par ce Caligola qui le porta pendant toute sa carrière. La musique de Pagliardi est plus proche de celle d’un Stradella que celle d’un Cavalli, elle a évidemment beaucoup d’originalité, avec un fort sentiment dramatique et un traitement des voix extrêmement riche. Cependant nous sommes assez tentés de le placer dans le giron des rares opéras de Stradella et surtout du Moro per Amore. Néanmoins, Pagliardi nous étonne avec une intensité dans les airs, un lyrisme absolu comme dans des moments uniques tels les airs de Cesonia, de Teosena ou le divin solo splendide de Caligola où sa folie s’exprime par un lyrisme unique. Nous encourageons les producteurs et Vincent Dumestre à enregistrer ces extraits pour les garder pour la postérité, et ne pas donner une double mort à Pagliardi.

 

 

 © Maroussia Podkosova
 

 

Mais la magie de ce spectacle, tout aussi évocateur du délire passionnel de Caligula, fut le dédoublement entre les chanteurs et les marionnettes. Dans un spectacle comme celui-ci, au décor réduit, aux minuties des pupari siciliens, il aurait fallu pour apprécier toute sa beauté et avoir les meilleures impressions, avoir une proximité certaine avec la scène. Hélas ce ne fut pas le cas de ce chroniqueur, placé au deuxième rang du deuxième balcon, le plaisir du spectacle qu’on devinait somptueux était tronqué par une vision partielle de la scène, de la fosse, des chanteurs. Nous rassurons tout de suite les artistes, qui ont été plus que remarquables et qui, grâce à leur talent confirmé,  ont réussi à nous donner une excellente impression malgré les handicaps pour la critique de ne  pas avoir pu apprécier dans toute sa splendeur le spectacle que je supposais beaucoup plus beau que ce que nos yeux ont réussi à entrevoir.

 

Malgré les circonstances, nous avons été complètement conquis par cette mise en scène somptueuse, par la complicité entre les marionnettes et les solistes en noir à l’expressivité vocale extraordinaire, à la précision marquée par la discrétion et dont l’investissement était doublé d’une intelligence du texte.

 

Saluons avec enthousiasme la sublime interprétation de Jan van Elsacker en Caligula, non seulement dans les moments de pur lyrisme et dans la comédie des scènes de folie. Sa voix est tout à fait dans le style et en accord avec la double nature de l’empereur. Avec une voix de soprano hors pair et un rôle sur mesure pour elle, Caroline Meng campe la dernière femme de Caligula, la sensuelle Cesonia Milonia, celle qui partagea le sort de son époux lorsque les prétoriens l’occirent. Caroline Meng unit dans son interprétation la puissance et une sensibilité dans la nuance, un phrasé magnifique et coloré et une restitution du texte et de l’émotion remarquables. Pour une fois dans le rôle de jeune premier, Jean-François Lombard dont la voix ductile et veloutée de haute-contre nous ravit dans la portée de sa sensibilité profonde dans les rôles du délicieux Tigrane et du martial Claudio. Nous remarquons son enthousiasme à chaque fois qu’il interprète cette belle musique et réveille en nous les nuances des émotions que seules ces œuvres gardent jalousement. Dans le registre fragile de la jeune première, la délicate Luanda Siqueiro nous ravit dans le rôle de Teosena, aux accents tragiques des héroïnes en proie à l’adversité.  Surtout dans la passion elle déploie un éventail de couleurs qui peuvent décliner toutes les formes du discours amoureux avec beaucoup de sensualité. Dans les rôles pas loin de la caricature que sont celui d’Artabano et de Domitio, le beau baryton de Florian Götz éveille le caractère martial du monarque Parthe et l’hiératisme du censeur. Belle prestation en somme. Dans les rôles dont l’ampleur à Venise était assez importante, Serge Goubioud est une Gelsa, nourrice, d’exception, aux inflexions drolatiques géniales, notamment lorsque Caligula dans son délire la poursuit et tente de la posséder.  Par ailleurs il est un Nesbo très doux.

 

Secondant avec poésie, comédie et un sens de la musique incroyable, les membres de la Compagnie Figli d’Arte Cuticchio développent un savoir faire dramatique extraordinaire. Nous renouvelons le regret de ne pas avoir pu apprécier comme il se doit la beauté apparente de ces marionnettes de 60 – 80cm mais nous avons vu une brillante prestation d’artistes sensibles, en extrême intelligence et modestie face aux musiciens et aux chanteurs. Ils ont contribué avec panache à nous faire voir des larmes couler sur les visages peints, des lèvres s’enhardir et s’embrasser et des mains décrire en un geste les plus subtiles volutes des l’âme humaine. Dans le cœur de chaque marionnette de ce Caligula bat un cœur humain.

 

Et que dire du Poème Harmonique  à six pupitres, composés des violons raffinés de David Plantier et Birgit Goris, du lirone sublime de Lucas Peres, du violone profond de Françoise Enock, du clavecin clair et précis de Frédéric Rivoal, du luth passionné et onirique de Thor-Harald Johnsen tout ce monde dirigé du théorbe par Vincent Dumestre, qui réveille à nouveau des sensations passées et nous fait encore et encore rêver avec des musiques sublimes.

 

Quand le passant des galeries anciennes du Louvre tombe nez à nez avec le buste fracturé de Caligula, l’adolescent plus que fou semble atteint de la mélancolie des puissants, du détachement passionné du monde, une sorte de rêve imprécis d’une vie qui aurait pu être normale. Caligula périt dans son sang et sa folie demeure dans les livres d’Histoire, mais dans le marbre blanc il continue de nous hanter de son regard intense.

Pedro-Octavio Diaz

Site officiel du Poème Harmonique : www.lepoemeharmonique.fr

Site officiel du Théâtre de l'Athénée : www.athenee-theatre.com (les 8, 10 et 11 mars 2012 puis en tournée)

 

 

Affichage recommandé : 1280 x 800

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