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6 janvier 2014

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Chronique Concert

Monteverdi, Le Couronnement de Poppée

Le Concert d'Astrée, dir. Emmanuelle Haïm

 

 

Octavie (Ann Hallenberg) © Frédéric Iovino

 

Claudio MONTEVERDI  (1567-1643)

 

Le Couronnement de Poppée (1642)

Opéra en un prologue et trois actes

Livret de Giovanni Francesco Busenello d'après Tacite

 

Sonya Yoncheva (Poppée),

Max-Emanuel Cencic (Néron),

Ann Hallenberg (Octavie),

Tim Mead (Othon),

Paul Whelan (Sénèque),

Amel Brahim-Djelloul (Drusilla),

Rachid Ben Abdeslam (Nourrice/ Homme de la maison de Sénèque),

Emiliano Gonzalez-Toro (Arnalta),

Anna Wall (la Fortune/ Vénus/ Pallas),

Khatouna Gadelia (la Vertu/ Valet),

Camille Poul (l'Amour/ Demoiselle),

Aimery Lefèvre (Mercure/ Consul),

Patrick Schramm (Homme de la maison de Sénèque/ Licteur/ Consul),

Mathias Vidal (Soldat/ Homme de la maison de Sénèque/ Lucain/ Tribun),

Nicholas Mulroy (Soldat/ Libertus/ Tribun),

Rachid Zanouda (comédien),

Pierre-Guy Cluzeau (narrateur).

 

Mise en scène : Jean-François Sivadier

Scénographie : Alexandre de Dardel

Costumes : Virginie Gervaise

Lumières : Philippe Berthomé

 

Orchestre Le Concert d'Astrée

Direction Emmanuelle Haïm

 

Représentation du 16 mars 2012 à l'Opéra de Lille

Coproduction Opéra de Lille, Opéra de Dijon.

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Un Couronnement triomphal !

Il régnait en cette fin d'après-midi une atmosphère printanière dans la métropole lilloise. Mais que nos amis baroqueux se rassurent aussitôt : il n'était nullement question ce soir-là à l'Opéra du Sacre du Printemps, mais bien du Couronnement de Poppée, chef d'œuvre de Monteverdi (et de ses contemporains Cavalli, Sacrati ou Laurenzi, le fameux duo final « Pur ti miro » proviendrait d’ailleurs de la plume de Ferrari). L'affiche ne laissait pas de faire frémir nos esgourdes, enflammées à l'annonce de trois contre-ténors sur scène (le grand Cencic lui-même, Tim Mead - dont nous avions pensé le plus grand bien lors de sa récente prestation lors de l'Agrippine de Haendel à Dijon il y a quelques mois, Rachid Ben Abdeslam)...Du côté des femmes, Sonya Yoncheva avait déjà incarné une Poppée provocatrice à souhait dans la même Agrippine, et Ann Hallenberg s'est déjà largement illustrée dans les enregistrements baroques (notamment le récent Farnace de Vivaldi).

Côté mise en scène, si les mimiques du prologue (dont les parties orchestrales sont toujours délicates à "meubler") nous laissent un peu sur notre faim, les choix de Jean-François Sivadier se révèlent au total plutôt convaincants : un palais impérial suggéré à partir du déploiement de quelques écrans placés sur le sol qui s'élèvent peu à peu en colonnes, l'établissement de bains aux éclairages diaphanes où Sénèque se donne la mort, un "trône" surélevé en fin de scène et meublé de quelques fauteuils dorés, une scène du couronnement partiellement éclairée à la bougie...Au chapitre des trouvailles, la lecture par Pierre-Guy Cluzeau (juste avant le duo final) des circonstances qui entourent la fin des julio-claudiens (mort de Néron après qu'il ait tué Poppée enceinte, la brève succession de Galba, Othon et Vitellius marquée de complots et d'assassinats) constitue un rappel pertinent de cette période troublée, mais interrompt le flot musical à un moment-clé du drame.

Les costumes signés Virginie Gervaise soulignent clairement le caractère des personnages dans cette atmosphère "antiquisante" : une Octavie tout droit sortie du banquet de Trimalcion dans le Satyricon de Felllini (robe turquoise rehaussée d'or, perruque très "baroque"), un Néron en toge safran à la chevelure blond peroxydé qui évoque la Rome de la décadence, une Poppée en tenue très légère qui étale ses charmes, un Sénèque stoïque dans sa toge grisâtre, des tenues assez caractéristiques pour identifier les divinités, et des habits burlesques pour accentuer les rôles travestis (notamment Arnalta). Les costumes évoluent aussi au gré de l'action : lorsqu'il prépare l'assassinat de Poppée, Othon revêt un pagne rouge sang !

 

Sonya Yoncheva (Poppée) © Frédéric Iovino

 

Au chapitre des voix le plateau se caractérise par une bonne homogénéité, ce qui n'était pas gagné pour les seconds rôles, les premiers étant confiés à des interprètes de premier plan. Dans le rôle-titre, Sonya Yoncheva incarne une Poppée dévorée d'ambition, à peine atténuée par sa sensualité et sa simplicité naturelle. Son timbre cristallin aux accents langoureux, ses attitudes enjouées règnent sans partage sur Néron comme sur les spectateurs...De son côté, Max-Emanuel Cencic accentue le caractère acéré de son timbre pour mieux camper un Néron versatile et colérique, qui n'hésitera pas à sacrifier son précepteur Sénèque et son épouse Octavie pour mieux assouvir son désir charnel. Dans le duo final, retrouvant une couleur plus naturelle, il mêle avec bonheur sa voix à celle de Yoncheva pour nous offrir un magnifique sommet musical. Ann Hallenberg se montre une Octavie humiliée et émouvante (superbe "Ah disprezzata regina !" au premier acte). La pointe d'acidité du timbre ajoute une note dramatique à son caractère cuivré, sans toutefois verser dans la rigidité.

L'aspect ouaté de la voix de Tim Mead dans le rôle d'Othon traduit à merveille le caractère indécis du personnage, jaloux et toujours épris de Poppée, qui hésite à aller au bout de l'assassinat commandé par Octavie et encouragé par Drusilla. Soulignons aussi l'excellent jeu scénique du contre-ténor, qui rend bien compte de ses hésitations, puis de sa détermination lorsqu'il se dénonce à Néron. Avec ses graves caverneux, la basse Paul Whelan incarne de manière très théâtrale le philosophe stoïcien, s'opposant avec vigueur au projet de répudiation de Néron puis affrontant la mort avec sérénité. La Drusilla d'Amel Brahim-Djelloul a le charme plus discret que Poppée, même si elle est vêtue presqu'aussi légèrement...Son timbre nacré, avec une petite pointe cuivrée, restitue avec conviction son dévouement et son amour pour Othon.

Rachid Ben Abdeslam égaie de son timbre de falsetto le rôle de nourrice. Mais la palme du burlesque revient incontestablement à Emiliano Gonzalez-Toro (Arnalta). Habilement le ténor joue de la stabilité de sa projection pour outrer son timbre charnu, et démultiplier le comique du rôle travesti. Effet garanti lorsqu'il dépeint l'avenir d'Arnalta, future grande dame de la Cour après le couronnement, en entamant une danse endiablée au son des tambourins ! Camille Poul, de sa voix aux reflets moirés, incarne avec conviction l'Amour, bien secondée par les autres divinités (Anna Wall et Khatouna Gadelia). Signalons aussi la courte mais brillante apparition de Mercure (Aimery Lefèvre, au timbre de baryton chaleureux), avec son étonnante pantomime, fort réussie, et la diction délicate du ténor Nicholas Mulroy (Libertus), qui traduit efficacement l'effroi du messager chargé de transmettre l'ordre du suicide au grand philosophe.

Enfin Mathias Vidal (qui incarne le poète Lucain) mêle admirablement sa voix de ténor à celle de Cencic pour nous offrir un magnifique duo à la reprise de l'entr'acte (l'unique coupure ayant été réalisée au milieu de l'acte II).

 

Tim Mead (Othon), Amel Brahim-Djelloul (Drusilla) © Frédéric Iovino

 

Côté orchestral, Emmanuelle Haïm oppose à de récentes interprétations plus dépouillées la richesse enthousiaste du Concert d'Astrée avec violons et violoncelle, mais aussi les reflets colorés des harpe, luths et guitares, flûtes, cornets et dulciane...Les percussions sont également présentes à des moments-clés. A défaut de correspondre à la vérité historique de la création (avec probablement un effectif nettement plus réduit – on se réfèrera à l’interview de Jérôme Correas sur la partition et l’instrumentarium), cette orchestration foisonnante s'avère parfaitement convaincante malgré les distractions qu’elle impose vis-à-vis des récitatifs. L’orchestre sert ainsi à merveille la somptuosité des ariosos, imprime un rythme soutenu à l'ensemble de l'ouvrage et rehausse avec bonheur les nuances du chant. Certes, ce bouillonnement constant est quelquefois trop présent, et les fortes inflexions méditerranéennes, tout comme certains partis-pris expérimentaux (continuo proche du pizzicato jazz) s’avèrent douteux. Toutefois, rappelons ici que, compte tenu du caractère incomplet des deux manuscrits dits de Naples et de Venise qui nous sont parvenus, toute exécution du Couronnement laisse une belle part d'initiative à l'orchestre, sous la direction de son chef, pour en recréer les différentes parties.

Il est inutile d'ajouter que la représentation fut longuement applaudie par le public lillois ce soir-là, avec de nombreux rappels. Il ne reste que quelques jours pour profiter de cette excellente production à Lille, puis à Dijon où elle sera reprise début avril : avis aux amateurs !

 

 

Bruno Maury

Site officiel de l'Opéra de Lille (12, 14, 16, 18, 20, 22 mars 2012) : www.opera-lille.fr/fr/saison-11-12/bdd/sid/99293_le-couronnement-de-poppee

Site officiel de l'Opéra de Dijon (1er et 3 avril 2012) : www.opera-dijon.fr

Dès le 26 Mars, la captation du Couronnement de Poppée sera disponible sur Arte Live Web pendant 6 mois.

 

 

 

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