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6 janvier 2014

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Chronique Concert

Molière & Lully, Monsieur de Pourceaugnac

Les Musiciens de Saint-Julien, dir. François Lazarevitch,

mise en scène Vincent Tavernier

© Opéra de Reims / Benoît Bremer

Jean-Baptiste Molière & Jean-Baptiste Lully

 

Monsieur de Pourceaugnac

Comédie-ballet en trois actes, 1669

 

Mise en scène : Vincent Tavernier

Décors : Claire Niquet

Lumières : Carlos Pérez

Costumes : Erick Plaza-Cochet

 

Pierre-Guy Cluzeau (Monsieur de Pourceaugnac)

Marie Loisel (Julie)

Maxime Costa (Éraste, 2e Suisse)

Mélanie Le Moine (Nérine, 1er docteur, exempt)

Laurent Prévot (Sbrigani)

Marie-Alexandre Ferrier (2e docteur, Oronte)

Quentin-Maya Boyé (apothicaire, 1er Suisse)

 

Marie-Louise Duthoit (dessus)

David Lefort (taille)

Jean-Louis Serre (basse-taille)

 

Les Musiciens de Saint-Julien

François Lazarevitch, flûtes et direction

Thomas Dunford, théorbe

Julien Léonard, basse de viole

Matthieu Boutineau, clavecin

Zefira Valova, Nicolas Sansarlat, violons

Jérôme van Waerbeke, Pierre Vallet, altos

Laura Duthuillé, hautbois

 

Chorégraphies : Marie-Geneviève Massé

L’Éventail

Romain Arreghini, Marc Barret, Bruno Benne, David Berring, Olivier Collin, Robert Lenuz

 

1er avril 2012, Opéra de Rennes,

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"La grande affaire est le plaisir"

Parmi les comédies-ballets de Molière, seuls Le Bourgeois gentilhomme et Le Malade imaginaire on su se faire une place durable, et ce n’est qu’épisodiquement qu’on voit apparaître ici un Amour médecin, là un Monsieur de Pourceaugnac. Parmi les réalisations récentes, peu peuvent se targuer de réussites. Certes, on pense au Bourgeois très discuté de Benjamin Lazar, Vincent Dumestre et Cécile Roussat, mais à côté, il y a eu à la Comédie-Française L’Amour médecin et Le Sicilien très piètrement servis aussi bien par une mise en scène peu inspirée que par des chanteurs qui n’en étaient pas. Ici, point de tout cela : la production, qui a par ailleurs abondamment tourné en France depuis sa création aux Nuits Baroques du Touquet en 2011, n’a pas été pensée pour économiser le personnel : sept acteurs, dont aucun ne dépareillait, trois chanteurs, neuf instrumentistes, six danseurs, et trois enfants.

À côté de cela, un décor simple de Claire Niquet, peut-être pas très original (des maisons de 2,50 m de haut qui pouvaient se déplacer sur la scène) mais diablement efficace, et extrêmement bien utilisé — la scène où Julie s’échappe de la captivité que lui impose son père joue d’une maison à deux portes avec brio. Les costumes stylisés et colorés mais élégants d’Erick Plaza-Cochet rappellent l’Ancien Régime plus qu’ils ne peignent une époque précise. C’est donc dans un cadre évoquant le XVIIe siècle sans le singer ni tenter de le restituer que va se dérouler l’intrigue comique, musicale et chorégraphique.

© Opéra de Reims / Benoît Bremer

De quoi s’agit-il ? Oronte veut marier sa fille Julie à un provincial parvenu, monsieur de Pourceaugnac. Cependant celle-ci aime et est aimée d’Éraste. Deux intrigants, la servante Nérine, mais surtout le napolitain Sbrigani, vont mener Pourceaugnac, et un peu le père aussi, en bateau pendant trois actes pour décourager père et futur genre de ce mariage. Un seul petit coup sera nécessaire à mettre ensuite Éraste à la place de Pourceaugnac, et la pièce se termine, comme on le pense bien, par un mariage. Le parcours est semé de personnages ridicules hauts en couleurs : un apothicaire, deux médecins, deux avocats, deux gardes suisses. Il y a aussi mascarade : devant Oronte, deux femmes, l’une picarde, l’autre languedocienne, viennent reprocher à Pourceaugnac de leur avoir à chacune fait un ou deux enfants avant de s’enfuir, le tout chacune dans leur dialecte.

Un mot d’ailleurs de la diction. Point ici, l’on s’en doute, de prononciation dite restituée, mais une façon de dire la langue de Molière qui la rapproche de celle d’aujourd’hui, par mille petites intonations, une aisance et un naturel, et ce de la part de tous les acteurs.

De manière générale, tous les personnages sont composés avec soin. Mélanie Le Moine campe au début de la pièce une Nérine un peu trop réservée, mais elle joue ensuite un premier docteur plutôt convaincant, bien que sa voix nasillarde et aigüe pût agacer les oreilles à la longue. Nous avons cependant beaucoup apprécié la performance que constitue l’immense tirade du médecin, qu’elle a su rendre vivante et dont le comique n’a pas échappé, trois siècles après, aux spectateurs.

L’Éraste de Maxime Costa est plus bonhomme, voire gaillard, que touchant, et c’est tant mieux. Un air du XVIIIe siècle dit "Fi d’un amant s’il n’est que poète" : celui-ci ne l’est pas ; c’est lui qui a demandé à Sbrigani et Nérine d’intriguer, il se mêle d’ailleurs de jouer dans certaines de leur mascarade, jusqu’à feindre de n’aimer plus Julie pour la mieux reprendre à son père. Sa Julie, Marie Loisel, le vaut au double : elle est aussi fourbesse que lui, et feint, quant à elle, d’être prise d’une passion violente et… physique, pour Pourceaugnac. La scène dans laquelle elle échappe des mains de son père pour se jeter littéralement sur le mari qui lui est promis a beaucoup réjoui les spectateurs.

© Opéra de Reims / Benoît Bremer

 

Dans Monsieur de Pourceaugnac, le père n’est point vraiment ridicule. L’Oronte de Marie-Alexandre Ferrier est un personnage bougon, bourru, mais au fond bonhomme et même bienveillant. Il en impose, comme le doit un père, par sa prestance en scène. Ajoutons que Marie-Alexandre Ferrier jouait également le second docteur dont le rire bouffon et l’allure presque niaise malgré sa barbe ont à eux seuls créé le caractère.

Il y a des rôles secondaires qui marquent. L’apothicaire joué par Quentin-Maya Boyé en est : avec son air extatique, son admiration inconditionnelle pour les médecins ses supérieurs, son zèle, et sa manie de tirer la langue à tout bout de champ, voilà un personnage qui dans deux ou trois scènes a dominé l’action avec une gaieté remarquable.

Pierre-Guy Cluzeau a fait de monsieur de Pourceaugnac lui-même un personnage finalement assez franc, y compris dans ses ridicules, toujours perdu mais pourtant sûr de lui, disant des idioties avec l’air le plus péremptoire — "Voilà le seul homme honnête que j’ai trouvé à Paris", à propos de Sbrigani. À la fin de la pièce, Pourceaugnac se déguise en femme, et il faut avouer que Pierre-Guy Cluzeau nous a pleinement convaincu de l’incapacité de Pourceaugnac à se travestir. Où voit-on des hommes qui singent si mal les dames ! Cela est admirable.

La palme revient cependant à Laurent Prévot, un Sbrigani vif, enjoué, flatteur, gracieux, malin… Ses gestes, ses expressions, ses tons de voix, tout assurait que Sbrigani est un comédien habile et un fourbe de profession.

Les qualités qu’on vient d’évoquer à propos de Laurent Prévot sont en fait aussi celles de la mise en scène, d’une grande vivacité — tout file, tout va, tout vole même, comme cet avocat en l’air à l’acte II —, entrant en connivence avec le public à maintes reprises. Quelle efficacité ! Les scènes sont réglées avec soin, de sorte que les transitions avec la musique et la danse se font sans difficulté. Oui, c’est de la bouffonnerie, mais la bouffonnerie n’exclut pas la grâce. Comme nous l’avions pu dire à propos de La Fausse Magie, Vincent Tavernier connaît le répertoire, le comprend, et le fait vraiment vivre. Son théâtre n’est point une pièce de musée.

© Opéra de Reims / Benoît Bremer

 

Les danses, réglées par Marie-Geneviève Massé, font alterner, voire se mélanger, pantomime et "belle danse" à proprement parler. Ainsi, dans le prologue, à une entrée de deux hommes très sérieuse  succède une pantomime de quatre fourbes qui, tout en intégrant des pas baroques, n’est pas de la "belle danse". Les matassins-apothicaires de l’acte I adoptent également un style qui mélange la danse baroque et le jeu en pantomime. Le divertissement de l’acte III, dans lequel les Jeux dansent, est un pur délice, avec ses personnages à deux faces dont on ne sait plus toujours lesquels sont de dos et lesquels de faces. Tout est exécuté avec la plus grande perfection par six danseurs de la compagnie l’Éventail. Signalons aussi un très beau solo, dans le divertissement du dernier avec, confié à Bruno Benne.

Parmi les chanteurs, on regrettera que Marie-Louise Duthoit ait peiné à se faire entendre ; le timbre nous a semblé fin, délicat, mais la voix manquait de puissance. Jean-Louis Serre était, semble-t-il, quelque peu indisposé ; pourtant, sa voix de basse-taille sonore se faisait bien entendre et ne nous a pas paru peiner à soutenir l’édifice vocal. La taille de David Lefort est dotée d’un timbre agréable et d’une articulation très claire.

Les Musiciens de Saint-Julien, dirigés par François Lazarevitch depuis ses flûtes, sont habitués au répertoire de la danse, et ont soutenu le tout avec force, malgré un effectif réduit. Le son ne manquait pas de variété, et se révélait plaisant pour l’oreille autant que les danses l’étaient pour l’œil. L’ensemble paraissait toujours entrer en résonance avec ce qui se passait sur la scène.

Ce Monsieur de Pourceaugnac est une belle production, dans un genre très différent du Bourgeois gentilhomme de Lazar, Dumestre et Roussat, un genre dont les maîtres mots sont gaieté, vivacité, folie, réjouissance et plaisir. S’il fallait formuler un regret, ce serait que le spectacle ne soit pas capté et distribué en DVD : il le vaut largement.

 

Loïc Chahine

Site officiel de l'Opéra de Rennes : www.opera-rennes.fr

Site officiel des Malins Plaisirs : www.lesmalinsplaisirs.com

Tournée de Monsieur de Pourceaugnac

En 2011,Monsieur de Pourceaugnac a été crée aux Nuits baroques du Touquet, puis a été présenté à Coignières et Saint-Germain-en-Laye avant d'être repris en 2012 à l’Atelier Lyrique de Tourcoing, au grand Théâtre de Reims, à l’Opéra de Rennes, au festival baroque de Pontoise, puis en Ile-de-France.

 

Affichage recommandé : 1280 x 800

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