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mise à jour 6 janvier 2014
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Chronique Concert
Henry Purcell, Didon & Enée, Compagnie Manque Pas d'Airs, dir. Benjamin Fau, mise en scène Alexandra Lacroix
; © BM Palazon, 2010
Henri Purcell (1659-1695)
Didon et Enée (1689) Opéra en un prologue et trois actes, sur un livret de Nahum Tate d'après Virgile.
Solistes : Johanne Cassar (Didon), Guillaume Andrieux (Enée), Maylis de Villoutreys (Belinda), Cecil Gallois (enchanteresse), Florent Baffi (basse du chœur)
Compagnie Manque Pas d'Airs Clavecin : Camille Delaforge Direction musicale : Benjamin Fau
Mise en scène : Alexandra Lacroix Costumes : Aline Hersam Lumières : Romain de Lagarde
Représentation du 18 novembre 2010 au Théâtre Mouffetard (Paris)
Carthage au Quartier Latin Le Théâtre Mouffetard affiche en ce moment un Didon & Enée surprenant à plus d'un titre. Avouons notre perplexité à l'annonce de ce programme et de son affiche : d'abord, le lieu ne passe pas vraiment pour un temple de la musique baroque, ni de l'art lyrique en général. Et que peuvent bien valoir les jeunes talents de la Compagnie Manque Pas d'Airs ? Après avoir vaincu ces réticences, et une fois dans la salle avec le programme en mains, le doute se prolonge : comment cette transposition de la légende antique dans la cantine d'une université contemporaine va-t-elle tenir la route ? Même le livret semble chamboulé : on est passé d'un prologue et trois actes à une ouverture et quatre chapitres ! Seul point de repère rassurant, un clavecin (oui, un vrai clavecin !) campe sur un côté de la scène, meublée d'une table et de quelques chaises très "années cinquante". Avant de s'asseoir devant l'instrument, Camille Delaforge griffonne d'une main décidée le "script" de l'ouverture, utile indication pour les spectateurs qui ne connaissent pas l'intrigue, tout comme pour les mélomanes désarçonnés par la refonte du livret !
© BM Palazon, 2010
Puis la magie de la musique baroque opère. Le clavecin s'élève avec une délicate précision, imposant de sa frêle voix le silence à la salle. Didon paraît, récurant avec méticulosité le sol de la cantine de son institution...Puis arrive Enée, sorte de globe-trotter chargé d'un sac à dos comme on n'en trouve plus que sur la couverture du "Guide du Routard", qui explique à partir d'une projection lumineuse qu'il vient des confins de la planète. Le physique avantageux de Guillaume Andrieux a tôt fait de bouleverser le cœur de Johanne Cassar, qui tente vainement de résister puis succombe après que Maylis de Villoutreys ait fait retentir le rituel "Pursue thy conquest Love". Au chapitre suivant, un étudiant pervers manipule ses proches pour déshonorer la fragile Didon. Cécil Gallois incarne avec conviction le rôle traditionnellement dévolu à l'enchanteresse, au milieu d'un bric-à-brac de cornues fumantes. La chapitre "Le calme avant la tempête" prend place dans un établissement de bains. Tandis que les protagonistes se trempent les pieds dans des tubs qui semblent sortis d'un tableau de Degas, la sensualité monte. Cecil Gallois n'hésite pas à se promener à demi-nu, pour disparaître ensuite derrière les panneaux à oculus, afin de mieux observer les ébats très réalistes de Didon et Enée, dans un voyeurisme malsain. Puis il endosse l'habit de Mercure, afin de dicter au héros son départ. "Le destin" s'ouvre sur le "Come away, fellow sailors". Didon et Enée s'affrontent, autour d'un espace délimité à la Rubalise, siège d'improbables travaux. C'est dans une pose surréaliste, spectre dressé sous des bâches de plastique transparent, que Didon chante son "Remember me" final, tandis que le chœur s'enfle depuis le fond de la salle. Voilà pour la mise en scène, qui méritait d'être retracée en quelques lignes pour en restituer l'atmosphère. Soulignons aussi le jeu subtil des éclairages en clair-obscur. Au total, il faut souligner (car ce n'est pas si fréquent !) le caractère parfaitement crédible de cette transposition a priori hasardeuse, qui offre une relecture moderne et pleine de sens de cette œuvre célèbre. On pourra aussi évoquer le "clin d'œil" au pensionnat de jeunes filles de la création, le "Boarding School for Girls" de John Priest à Chelsea, devenu université du XXIème siècle dans l'univers théâtral du Quartier Latin. Enfin, la mise en scène met intelligemment à profit les possibilités de la scène du théâtre Mouffetard.
© BM Palazon, 2010
Et la musique, notamment les voix dans tout cela ? Faire reposer toute la représentation sur l'unique clavecin de la scène relevait quasiment de la gageure, n'eût été le jeu fin et obstiné de Camille Delaforge, tantôt discrète lors des récitatifs, tantôt se haussant avec conviction pour faire briller les airs. Regrettons seulement l'incongruité de certains bruitages, qui n'apportent rien au drame qui se joue, et nous distraient inutilement de la ligne mélodique du clavecin. Et pour les voix, la représentation du théâtre Mouffetard n'a rien à envier à des scènes plus familières du baroque. Qu'on en juge : la voix cristalline de Johanne Cassar donne à Didon une fragilité bien émouvante, face au timbre rond et bien posé de Guillaume Andrieux. Maylis de Villoutreys campe une Belinda attentionnée et juvénile, dont le timbre gagnerait toutefois à davantage d'ampleur. Florent Baffi s'acquitte fort honorablement des différents rôles de la basse du chœur. Mais la véritable révélation de cette représentation est assurément Cecil Gallois, saisissant dans le rôle de l'enchanteresse, dont l'attribution à un contre-ténor renforce puissamment le caractère dramatique, en soulignant la jalousie et la vengeance qui animent le personnage. Il habite entièrement le court rôle du faux Mercure, trop souvent confié dans d'autres représentations à des chanteurs de second ordre en raison de sa brièveté. Une dernière bonne surprise, au-delà de la qualité des voix individuelles, est celle de l'homogénéité des chœurs qu'elles forment tout au long de la pièce, distribution réduite oblige. Si l'on ajoute la modicité du prix des places, et leur disponibilité relativement aisée (non, il n'est pas nécessaire de surveiller l'ouverture des locations des mois à l'avance, comme pour d'autres spectacles lyriques...), alors n'hésitez pas : allez redécouvrir l'œuvre de Purcell au Théâtre Mouffetard !
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Affichage recommandé : 1280 x 800 Muse Baroque, le magazine de la musique baroque tous droits réservés, 2003-2014
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