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6 janvier 2014

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Chronique Concert

Rameau, Les Indes Galantes
Les Talens Lyriques, dir. Christophe Rousset,

mise en scène Laura Scozzi

 

 Judith van Wanroij (Emilie) – Vittorio Prato (Osman) © Patrice Nin

 

Jean-Philippe Rameau (1683-1764)

 

Les Indes Galantes

Opéra-ballet en un prologue et quatre entrées, sur un livret de Louis Fuzelier

Créé le 23 août 1735 à l'Académie Royale de Musique de Paris

 

Hélène Guilmette (Hébé, Phani, Fatime), Judith van Wanroij (Emilie, Atalide), Julia Novikova (Amour, Roxane, Zima), Aimery Lefèvre (Bellone, Alvar), Vittorio Prato (Osman), Kenneth Tarver (Valère, Tacmas), Cyril Auvity (Carlos, Damon), Nathan Berg (Huascar), Thomas Dolié (Adario)

 

Danseurs : Marie-Laure Agrapart, Ivo Bauchiero, Eloy Casanova, Salomé Carco-Llovera, Victor Duclos, Claire Laureau, Charlie-Anastasia Merlet, Maud Payen, Olivier Sferlaza, Nele Suisalu, Rodolphe Viaud.

Mimes (« Les Amours ») : Daphné Mauger, Juliette Nicolotto, Laetitia Viallet

 

Choeurs du Capitole

Direction : Alfonso Caiani

 

Orchestre Les Talens Lyriques

Direction : Christophe Rousset

 

Mise en scène et chorégraphie : Laura Scozzi

Décors : Natacha Le Guen de Kerneison

Costumes : Jean-Jacques Delmotte

Lumières : Ludovic Bouaud

Vidéo : Stéphane Broc

 

Co-production Théâtre du Capitole/ Opéra national de Bordeaux/ Staatstheater Nürnberg

Représentation du 13 mai 2012 au Théâtre du Capitole de Toulouse

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Les Indes choquantes

Un pâle soleil réchauffait en ce début d'après-midi la place du Capitole. Mais qu'importait cette météo indigente de mai dans la Ville Rose, la foule qui se pressait aux portes du théâtre n'avait en tête que la représentation au léger parfum de scandale qui s'annonçait. Pensez : une mise en scène contemporaine, avec qui plus est un ballet de nus sur scène ! Il est vrai qu'à ma connaissance, jamais le souci de jeter aux orties les perruques et les dentelles baroques, les bas de soie et les rhingraves n'avait abouti jusqu'à présent à un tel dénuement, au sens propre du terme...

Et pourtant, lorsqu'on prend la peine d'y réfléchir, la mise en scène de Laura Scozzi restitue de manière assez convaincante l'esprit de Rameau et Fuzelier. On peut certes questionner les partis-pris provocateurs et le manque de fidélité au contexte : pourquoi lier le Pérou aux narcotrafiquants, la condition féminine dans le monde musulman au seul Iran, la Perse moderne ? Mais une fois le pas franchi, le thème est traité avec conviction, et s'accommode sans écart aux paroles mêmes du livret. Commençons par le ballet des jardins d'Hébé : quelle meilleure suggestion du bonheur simple et primitif censé régner autour de la déesse que la pantomime de ces danseurs nus, qui ont mis de côté la pudeur et les conventions pour s'exhiber dans le plus simple appareil pendant toute la durée du prologue ? Au demeurant, quelques effets comiques un peu convenus ont vite fait de détendre l'atmosphère, et de faire triompher l'esprit "galant" sur celui d'éventuels fâcheux, qui ne se sont d'ailleurs pas manifestés...

Judith van Wanroij (Emilie) – Vittorio Prato (Osman) © Patrice Nin

On ne peut citer ici toutes les trouvailles de la mise en scène. Une des plus frappantes est assurément l'usage de la vidéo, avec projection de mappemondes sur le fond de scène pour illustrer les pays des entrées à partir d'un vol d'avion pendant les ouvertures. Le recours aux trois "Amours", envoyées de l'Amour présentes dans chacune des entrées, renforce le fil ténu de cette succession d'entrées. Il permet également de suggérer le lien avec le spectateur, touriste moderne dans cet exotisme convenu : les "Amours" arborent à chaque entrée des tee-shirts "I love Istanbul/ Peru...", en agitant des sachets H&M aux couleurs du cru ! Les transpositions contemporaines, très directes, nous ramènent en pleine actualité : "boat-people" de la première entrée, hélicoptères qui attaquent le campement andin des narcos dans la seconde, dans la troisième femmes qui sortent d'un van (!) en tenue de bain pour défiler devant une assemblée d'hommes voyeurs, puis finissent par brandir des panneaux évoquant les injures faites aux femmes par le sexe fort... Sans compter la quatrième entrée, entre écologie, machisme et gaspillages de la société contemporaine nord-américaine, mais qui est à notre sens la moins convaincante, peut-être trop pétrie d'un comique très appuyé.

Côté musical, la version choisie est celle du "manuscrit de Toulouse", daté de 1750 et conservé à la Bibliothèque de la Ville de Toulouse. Il diffère légèrement de la version originale par l'ajout d'un air d'opéra seria (en italien) dans la troisième entrée (Les Fleurs). A la baguette, le maestro Rousset dirige de main de maître ses Talens Lyriques : rythme soutenu, ballets enlevés, solos soignés, et surtout parfaite adéquation de la ligne de chant à la ligne mélodique de l'orchestre, qui fait briller l'univers musical riche et complexe des opéras de Rameau. Sur ce socle impeccable, les effets les plus saisissants de la mise en scène interviennent avec à un parfait à-propos, pour concourir à un spectacle complet ravissant les yeux comme les oreilles. La seconde entrée, la seule dotée d'un incontestable caractère dramatique, en constitue probablement la meilleure illustration.

Julia Novikova (Zima) – Aimery Lefèvre (Alvar) - Cyril Auvity (Damon) © Patrice Nin

La distribution est tout à fait à l'aune de cette haute ambition. Ouvrant le prologue dans le rôle d'Hébé, Hélène Guilmette affirme d'emblée la déclamation parfaite d'un timbre ensoleillé. Dans son interprétation de Phani (deuxième entrée), on retiendra le bel air "Viens Hymen" aux accents filés avec grâce. Signalons aussi sa magnifique interprétation de Fatime (troisième entrée), avec le fameux air italien inédit ("Fra le pupille") aux brillants ornements, et le timbre cristallin du délicat "Papillon inconstant" qui clôt l'entrée. Judith van Wanroij campe une Emilie partagée entre son amour pour Valère, et la complicité qu'elle se découvre avec Osman (première entrée). Sa projection énergique à la pointe légèrement acide affronte sans peine la tempête ("La nuit couvre les Cieux !), et répond avec vivacité au choeur final.  A la troisième entrée, elle incarne de manière très convaincante une Atalide à la chevelure blond platine, minaudant tout d'abord avec affectation, pour découvrir avec surprise qu'elle s'est ouverte imprudemment de sa jalousie à sa rivale...

Julia Novikova est également très à l'aise dans ses différents travestissements : en Amour (habillée d'un tee-shirt "I love me !") puis en hôtesse de l'air au prologue, dans le court rôle de Roxane à la troisième entrée, et dans le rôle central de Zima à la dernière entrée. Sa déclamation assurée, son timbre nacré font merveille tant pour expédier ses envoyées à travers le vaste monde ("Ranimez vos flambeaux") que pour renvoyer galamment dos à dos ses deux soupirants ("Vous aspirez tous deux...").

Les voix masculines ne sont pas en reste. Aimery Lefèvre incarne de sa voix ferme de baryton un Bellone faisant irruption sur un quad électrique (!) au milieu des jardins d'Hébé ("La Gloire vous appelle"). Dans un tout autre registre, il campe un soupirant crédible (Alvar) à la quatrième entrée, donnant aimablement la réplique à son rival Damon (Cyril Auvity). Ce dernier  illumine brillamment de sa voix ensoleillée de ténor la quatrième entrée, et excelle dans les pantomimes dévolues à son rôle. On n'oubliera pas de sitôt sa seconde entrée, dans le rôle de Carlos, avec son improbable descente des cintres (sur un treuil d'hélicoptère !) pour récupérer sa bien-aimée Phani au milieu du campement des narcos. Kenneth Tarver (Valère, Tacmas) s'appuie lui aussi sur sa voix chaleureuse de ténor. Malgré une absence quasi-totale d'accent, nous en avons toutefois trouvé la palette un peu riche pour l'intégrité de la déclamation française : ses attaques sont un peu larges pour ce répertoire.

Hélène Guilmette (Hébé) © Patrice Nin

Le baryton Vittorio Prato joue avec assurance de son physique lorsqu'il sort de son bain (à côté d'un collecteur d'égouts...) pour séduire la belle Emilie, puis découvre avec sensibilité la misère des boat-people qui attirent sa clémence. Son timbre est généreux, ses ornements bien troussés ("Il faut que l'Amour s'envole"). Thomas Dolié (Adario à la quatrième entrée), autre baryton, fait preuve d'une projection assurée, et d'une belle expressivité ("Nos guerriers, par mon ordre..."). Enfin Nathan Berg campe un Huascar terrifiant, tatoué jusqu'aux oreilles, crachant partout et n'hésitant pas à liquider son comparse sous les yeux d'une Phani horrifiée (deuxième entrée). Sa voix caverneuse, aux puissants reflets métalliques, donne toute sa mesure dans les incantations du culte solaire ("Soleil, on a détruit..."), culminant dans une quasi-hallucination lors de l'éruption du volcan.

Après la reconstitution historique de Philippe Herreweghe et Pier-Luigi Pizzi au Théâtre du Châtelet en 1983 (un souvenir inoubliable pour votre serviteur, en ces temps où le baroque retrouvait peu à peu le chemin de la scène après deux siècles de purgatoire...) et les productions de William Christie dans les années 1990, cette production fera date dans les représentations des Indes Galantes. Souhaitons qu'elle soit prochainement immortalisée dans un enregistrement !

Bruno Maury

Site officiel du Théâtre du Capitole : www.theatre-du-capitole.fr

Site officiel des Talens Lyriques : www.lestalenslyriques.com

 

 

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