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mise à jour 6 janvier 2014
| Chronique Concert "Le Triomphe de l'Amour" Les Paladins, dir. Jérôme Correas
Sandrine Piau © Sandrine Expilly / Naïves
"Le Triomphe de l’Amour" Œuvres de Lully, Rebel, Francoeur, Rameau, Camora, Charpentier, Gretry, Favart
Sandrine Piau, soprano
Les Paladins :
Juliette Roumailhac, violon Solo Marion Korkmaz, Kate Goodbehere, Diana Lee Planes, Anaïs Flores, 1ers violons Benjamin Scherer, Catherine Plattner, Camille Antoinet, Vojtech Semerad, 2nd violons Martha Moore, Diane Dubon, Benoit Bursztejn, altos Nicolas Crnjanski, Julien Hainsworth, Pascale Clement, Franck Ratajczyk, basses François Nicolet, Lorenzo Brondetta, flûtes Vincent Blanchard, Tereza Pavelkova, hautbois Arthur Breuil, Benjamin Locher, cors Nicolas Pouyanne, basson Charles-Edouard Fantin, théorbe/Guitare Kevin Manent, clavecin
Dir. Jérôme Correas
19 mars 2012, Galerie des Glaces du Château de Versailles
« Dans ce Palais bravez l’envie, Dans ce Palais vivez en paix. » Philippe Quinault – Phaéton (1683)
Les flaques des averses passées étaient encore humides, l’air semblait ceint d’une crinière luisante de gouttelettes invisibles. Dans l’empyrée cobalt, l’astre de feu, réchauffait ce lundi le fond de l’ourane telle une perle d’or au milieu d’un bassin clair. Et le soir basculait ses rondes en mille émoluments limpides de voiles parfumés, l’air se vivifia, la terre devint douce et sur les pelouses d’émeraude les trilles des oiseaux formaient de branche en branche des galants entrelacs.
Flore en un instant, discrète et diaphane fit son entrée et commença son colin-maillard passionné avec Zéphyr qui lui arrachait entre les bosquets un à un ses voiles fleuris. Le soleil se fraya des sentiers dans les jardins et les fontaines silencieuses, les eaux dormantes et les statues retrouvèrent la chaleur des crépuscules lumineux.
Du salon à la chambre, Versailles reçut la manne d’or comme une caresse à sa peau blanche et ses dorures anciennes. Les dépouilles de l’hiver s’évanouirent en un soupir qui fit frissonner les ombres des forêts lointaines. Et de la Galerie des Glaces, parée comme les astres de Benserade, contempla de ses hauteurs vitrées comment le Grand Canal posa sa lame d’argent face aux flammes de l’éther.
Ce soir chez le roi les couleurs des éléments allaient s’accorder avec celles de l’affect. La musique de deux siècles de sentimentalité française allait s’épanouir comme une rose fraiche et pulpeuse au premier crépuscule de printemps.
En entrant dans cette galerie si célèbre, au parquet respirant les pas des grands hommes qui y firent basculer l’Histoire, le seul baiser un peu suranné de Clio nous rappelle que nous nous trouvons dans son temple. La muse cède à sa sœur Erato le libre cours de la célébration. Et la scène se trouve comme un symbole à la place même du trône d’argent arraché aux forts de Cartagena de Indias à l’Empire Espagnol. La Lumière de Louis XIV est bienveillante pour ceux qui font briller son cher opéra.
Et ce fut un pari réussi sans l’ombre d’un doute. Je dois vous avouer chers lecteurs que jamais je n’ai eu une impression aussi forte durant un concert. Le choix du lieu, le poids impressionnant de l’Histoire qui hante ses miroirs, mais sans aucun doute, le choix du répertoire, des airs et surtout, les sublimissimes artistes qui se donnèrent à nous avec une générosité hors du commun.
© Naïve
Versailles est un lieu magique et il est encore plus beau pour ceux qui savent parler son langage. C’est le cas de Sandrine Piau dont nous chroniquerons prochainement le disque sorti chez Naïve au programme sensiblement proche de celui de cette soirée. Cette soprano au timbre exquis dans tout répertoire, de Mozart à Massenet, de Rossi à Offenbach, est une magicienne du style, une artiste accomplie dans l’art de la beauté. Nous l’avions adoré hier avec sa divine et poignante Electre de l’Idomenée de Campra, Son Ismene délicate du Mitridate de Mozart ou les époustouflantes d’agilité et de finesse Berenice du Scipione et Constanza de Riccardo Primo de Händel. Elle nous offrit des moments de bonheur avec ses incarnations inégalables de Wanda dans La Grande Duchesse de Gérolstein et sa sublimissime interprétation du divin Colibri de Chausson. Sandrine Piau donne voix avec un raffinement théâtral et musical jamais entendu dans cette musique, elle incarne tour à tour la délicatesse d’Illione, Jonathas ou Galathée et la force tragique d’une Roxane ou Léonore. Son timbre à la fois d’un lyrisme touchant, poétique et fragile peut d’un coup devenir d’une puissance olympienne et porte en lui toutes les couleurs de la sensibilité baroque.
Nous avons été littéralement envoûtés par sa présence, touchés au fond de nos plus sensibles états par cette chanteuse qu’on n’entend pas assez en France et qui nous rappelle souvent que les meilleurs artistes ne sont pas ceux qui savent poser et « faire joli », mais ceux qui comprennent que la musique est un art du surpassement, du partage, de générosité et Sandrine Piau se donne entièrement à nous, nous serions bien ingrats de ne pas démontrer à cette extraordinaire artiste qu’elle nous a sensiblement porté avec elle dans la musique et le théâtre.
Mais ce concert ne serait pas le même sans la complicité et la présence de Jérôme Correas et ses magnifiques Paladins. L’orchestre ajoute des couleurs insoupçonnées aux partitions qui avaient déjà été interprétées par d’autres baroqueux et signent ainsi un renouveau incroyable pour des airs tels ceux d’Idoménée de Campra, David et Jonathas de Charpentier ou l’Amant Jaloux de Grétry, nous mettant l’eau à la bouche pour les entendre dans des intégrales que Jérôme Corréas et Les Paladins rendraient à leurs couleurs les plus vives. Parce que nous n’arrêterons pas de le dire, Jérôme Corréas est un coloriste incroyable, il mène ses musiciens au cœur du théâtre avec une sensibilité vocale toute naturelle, n’oublions pas qu’il est une des grandes voix du baroque. Contrairement à d’autres orchestres qui s’attaquent parfois avec beaucoup de virtuosité ou d’ultra-perfectionnisme qui frôle le glacial ces œuvres. Jérôme Corréas et ses musiciens rendent leur chaleur humaine à des partitions telles le sublime Scanderberg de Francoeur ou les incroyables airs de l’Amant Jaloux, Renaud de Sacchini ou l’ouverture du Tableau parlant.
La puissance de l’orchestre se mesure aussi dans des pupitres que nous souhaiterions citer nominalement, mais nous avons remarqué la sensible présence du premier violon agile et raffiné de Juliette Roumailhac, la maîtrise des flûtistes François Nicolet et Lorenzo Brondetta. Mais un hommage spécial et exceptionnel doit être rendu aux cornistes Arthur Breuil et Benjamin Locher et au basson de Nicolas Pouyanne, qui d’une justesse parfaite et d’une puissance colorée nous ont fait vibrer dans les airs virtuoses et les belles pièces instrumentales. Les mêmes qualités ont été remarquées dans le théorbe et la guitare baroque de Charles-Edouard Fantin et le clavecin alerte de Kevin Manent. En somme Les Paladins nous montrent avec panache que la musique Française n’est pas seulement réservée aux « tragédiennes » ou aux cercles harmoniques mais qu’elle peut fleurir avec beaucoup d’art de l’initiative d’un ensemble qui a le courage, l’audace et la générosité de la couleur et d’un chef qui a saisi que le premier langage de la musique est d’interpeller, d’échanger et que le souffle du théâtre passe aussi par le sourire.
Ce soir à Versailles, Sandrine Piau, Jérôme Corréas et ses divins Paladins nous démontrent que la passion n’est pas simplement une question de style mais une affaire de cœur. Quand la musique s’est tue après le quatrième rappel et que les grandes glaces de Versailles se couvraient petit à petit du voile de la nuit, la galerie semblait ne plus être la même, elle battait avec un rythme nouveau, des couleurs que la musique à retrouvé sous les denses draperies du passé. En glosant la remarque juste de Grace Coddington, on ne se rend pas compte qu’en venant à Versailles on frôle l’Histoire juste à la pointe du sein. En sortant des portes encore empreintes de fête, la ville endormie laissa aux lustres du Palais briller des mille feux qu’Apollon a voulu imposer à sa sœur pour l’éclairer dans ses danses mystérieuses.
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Affichage recommandé : 1280 x 800 Muse Baroque, le magazine de la musique baroque tous droits réservés, 2003-2014
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