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mise à jour 6 janvier 2014
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Chronique Festival Haendel, Tamerlano, Les Musiciens du Louvre, dir. Marc Minkowski
Marc Minkowski © Marco Borggreve
Georg Friedrich HAENDEL (1685-1759)
Georg Friedrich Haendel
Tamerlano (1724)
Tamerlano – Christophe Dumaux – Contre ténor Bajazet – Tassis Christoyannis – Baryton Asteria – Julia Lezhneva – soprano Andronico – Tim Mead – Contreténor Irene – Marianne Crebassa – Mezzo-soprano Leone – Luca Titotto – Basse
Les Musiciens du Louvre dir. Marc Minkowski
Mercredi 11 Juillet 2012, Opéra Royal du Château de Versailles, dans le cadre du Festival "Le Triomphe de Haendel"
Voyage en Orient A l’heure où les premiers ralentissements de l’été se font sentir, le cœur à vif de Paris s’endort petit à petit. Entre les pavés, sous le tarmac aux âcres parfums de torpeur s’élança comme un soupir asthmatiquement compulsé l’éclat livide de la chaleur humide. Le pas pressé, furtif des semelles en résine ou en caoutchouc sur les quais, menant les passants fauves vers les longues chenilles de métal sous le ciel vert de gris de la gare du ressuscité. Vers les hauteurs de Valérien, de Clodoald comme une aiguille d’argent file le rail au cœur des bois, entre les chambres aérées sous l’œil cyclopéen de la fille Eiffel. La flèche pointe au cœur du palais du Soleil, et le gravier sous le socle du monarque apollinien craque lentement sous le pied assoiffé du touriste las et du spectateur enthousiaste. Versailles se remplit de rêveurs égarés. Petit à petit d’heure en heure, des jardins surgissent des lutins multicolores, créatures curieuses des bosquets assombris. Les avis d’orage s’envolaient avec le vent d’un revers de sa main éthérée fit détaler les dodues ondées vers les sombres ruelles de la ville et ses banlieues. Les couloirs de Versailles frétillaient déjà, l’arôme Guerlain, Chanel, Dior ou Van Cleef & Arpels démêlaient leur traine surannée là où jadis se perlait le potpourri de l’eau de rose, d’encens ou de santal. Dans le marbre écru qui savait qu’on parfume à l’approche de la mort. La salle de l’Opéra Royal, toujours aux velours teintés de douceur et d’une solennité quasiment cinématographique, parfois on croirait apercevoir l’ombre de Lady Lyndon et d’autres Redmond Barry dans les couloirs, les loges et les corbeilles. Si le public n’est plus affublé des perruques et d’autres paniers couverts de la soie craquante de broderies. D’autres élégances occupaient les sièges des ducs, des marquises et des notables qui ne payaient que la naissance et les respects au chiffre des Louis. L’occasion était précieuse, Marc Minkowski, le brave conquérant des sommets haendéliens allait nous offrir enfin un Tamerlano qui s’annonçait unique. Après avoir véritablement recréé Ariodante, rendu un souffle puissant au divin Hercules et porté aux plus hautes contrées du drame, de la couleur et du sublime Giulio Cesare, Marc Minkowski nous rend à la vie l’extraordinaire Tamerlano, véritable tragédie lyrique de Haendel. Tamerlano est le jumeau maudit de Giulio Cesare. Si bien le succès le retrouve à chaque représentation depuis 1724, on lui préfère César peut-être par la légèreté de son intrigue et ses airs bien plus conventionnels que l’histoire tragique de la mort de Bayazid Ier (Bajazet). Si l’histoire nous apprend que Timur Lang, Timour le Boiteux, a conquis la moitié de l’Asie Centrale au XVe siècle et a même fait plier en Anatolie le puissant sultan des Turcs. L’argument du livret de Piovene pour Haendel est issu de la tragédie de Jacques Pradon davantage que du grandiose Bajazet de Racine. D’ailleurs certaines idées musicales sont un hommage certain à Il Bajazet de Francesco Gasparini, que Haendel connaissait bien, comme d’autres œuvres du maître vénitien injustement oublié. Parce que le maître Gasparini, qui fut le patron de Vivaldi à l’Ospedale della Pietà est un des rares compositeurs que la vague baroque n’a pratiquement jamais touché. Le Bajazet de Gasparini, tout comme la Principessa Fedele d’Alessandro Scarlatti et la Partenope de Leonardo Vinci figuraient parmi les œuvres les plus admirées et chéries par Haendel. Malheureusement de ces trois œuvres seule la Partenope a connu les grâces de l’enregistrement. Le livret de Tamerlano fournit à Haendel un défi qu’il relève avec un génie bien plus ample que dans Giulio Cesare ou Rinaldo. Haendel se livre à des expérimentations avec les voix, les récits accompagnés et les ariosi, la sublime mort de Bajazet en constitue la pierre de touche extraordinaire. Haendel approfondit notablement les caractères et la personnalité de chacun des protagonistes : Si le rôle titre est Tamerlan, le personnage clef est Bajazet, catalyseur de toute la tension dramatique. Tamerlano est un condensé de divers parcours dont certains pourraient s’assimiler à une initiation sentimentale. Si bien Bajazet est condamné d’avance au désespoir et même à un certain anti-héroïsme prégnant. Tamerlan souffre l’éducation sentimentale de tout monarque, le mariage d’Etat finit par triompher de l’amour, en effet avant l’humiliation, Tamerlan préfère la raison. Andronico, amoureux transi, passe par les enfers du doute, finalement de l’acquisition d’une certaine sagesse, d’un recul face à sa flamme pour Asteria. Cette dernière est l’incarnation même de la force de volonté que son père a perdu. Irene est aussi l’incarnation de la fidélité, de la constance. Leone, personnage secondaire ne fait office que de témoin et commentateur. Sans oser une telle ou telle hypothèse, un constat s’impose. Chaque personnage constitue une valeur allégorique qui renforce le caractère moral ou même idéologique de ce livret. Bajazet représente la dignité, l’acceptation de la mort. Andronico est l’incarnation même de la sagesse, de la prudence. Les deux femmes, Asteria et Irene évoquent deux variantes de la force, celle de la raison et celle du cœur. Au milieu de tout cela Tamerlan est l’impétrant qui est d’une certaine manière poli par les actions des autres protagonistes, incarnant une pierre brute, polie par les qualités, par le ciseau et le maillet des vertus qui l’entourent. Le barbare peut enfin accéder au trône dignement, après le sacrifice sanglant de Bajazet. La cérémonie se tint de note à note. Et Marc Minkowski, artiste absolu nous fit tressaillir, soupirer, et frissonner de plaisir avec sa direction précise, énergique, au chromatisme absolu et d’une intelligence et d’une imagination raffinée dans l’ornementation et le choix des tempi. Nous avons remarqué notamment un de nos musts haendéliens qu’est l’air d’Irene « Dal crudel che m’ha tradita » avec bassons obligés ou les airs incroyables d’Andronico et de Bajazet. Les Musiciens du Louvre sont au sommet de leur talent, un son homogène, une réactivité splendide et un dramatisme absolu. Nous tenons ici à faire une mention spéciale et signaler l’excellence des bassonistes Tomasz Wesolowski et Nicolas André. Nous saluons aussi la beauté du phrasé des flûtes de Florian Cousin et de Jean Brégnac et bien entendu la beauté du continuo et la cohérence des cordes. Marc Minkowski et ses superbes Musiciens du Louvre ont rendu par ce Tamerlano unique, un bien bel hommage à Lina Lalandi, fondatrice de l’English Bach Festival, décédée il y a peu de temps, dédicataire de cette véritable création. Tamerlano a retrouvé sa force, ses couleurs et son originalité et Marc Minkowski se confirme comme le seul chef dans l’empyrée baroque à opérer la magie de la régénérescence, dans cette musique que l’on ne se lasse plus d’entendre grâce à lui.
Christophe Dumaux © IMG Artists Dans le rôle titre, le délicieux Christophe Dumaux nous ravit de sa présence scénique, extraordinaire dans ces rôles forts, brutaux et hautement vocalisants. Si l’air martial « Vo dar pace » est un peu décevant dans l’ornementation, la suite n’est qu’un ravissement absolu, culminant avec le superbe duo avec Tim Mead, et nous fait rêver d’une future incursion Riccardo Primo, d’un Admeto ou pourquoi pas d’un Ambleto de ce malheureux Gasparini. Face à lui, le Bajazet de Tassis Christoyannis est un choix original et intéressant : on connaît ce baryton grec grâce à sa prestation dans l’enregistrement de Tamerlano par l’orchestre Armonia Atenea de George Petrou. Il est aussi une des principales voix de la saison dernière à l’Opéra de Paris. Mais comment on passe de Figaro à Bajazet sans sombrer dans les tics ténoriques pleurnichards et véristes des Domingo et d’autres Villazon ? Même si Tassis Christoyannis ne peut quitter les entorses belcantistes, il réussit néanmoins à s’adapter et à rendre des couleurs originales à la partition, qu’un ténor baroqueux n’y trouverait peut-être pas. Saluons sa prestation et avons été saisis par la force de conviction de la scène de sa mort, tout dans la nuance, dans les pianissimi et dénotant un réel sens du théâtre. Issue de l’école de chant russe, réel cataclysme dans la vocalise et dans la couleur, la jeune Julia Lezhneva campe une Asteria aux beaux aigus. Cependant, nous n’avons pas vraiment étés saisis par son incarnation en dépit d’une voix à l’étendue exceptionnelle, à la beauté certaine, grande cantatrice en germe, mais à la conviction dramatique flageolante. On ne comprend ainsi guère les différents sentiments d’Asteria, ses hésitations, ses doutes et sa détermination.
Julia Lezhneva © Frank Juery pour Naïve Face à elle en amoureux transi, le divin, le surprenant Tim Mead nous ravit et nous reconcilie définitivement avec ce personnage qui peut paraître parfois un peu falot. Chanteur exceptionnel, acteur formidable, Tim Mead domine largement la scène de son chant délicat, subtil, élégant, aux vocalises ciselées. Avec à peine 25 ans, la mezzo-soprano Marianne Crebassa fait une entrée fracassante sur la scène de l’Opéra Royal de Versailles. Le chroniqueur passionné de Haendel porte profondément dans son cœur l’air d’Irene « Dal crudel che m’ha tradita » et que ce soit dans les versions live ou cd, aucun n’a été aussi beau, aussi parfaitement équilibré, que celui que Marianne Crebassa nous a offert à Versailles avec la force, la fougue et la clarté de l’ornementation. Nous regrettons que cette jeune interprète au talent certain n’ai pas bénéficié de davantage d’airs. Enfin, dans le rôle plus anecdotique de Leone, la belle basse de Luca Titotto fait montre d’une voix remarquable et nous souhaitons vivement l’entendre dans des futurs projets. Malgré les aléas des crises et la frilosité potentielle des partenaires, il faut espérer vivement que Marc Minkowski parviendra à nous offrir pour la postérité ce Tamerlano au disque. Ce Tamerlano peut ainsi devenir le manifeste qu’en temps de crise, les grandes choses peuvent nous porter vers un espoir avec la beauté de l’intelligence humaine. Bajazet est tombé sous les coups du désespoir, dans la folie d’une dignité et du pouvoir. Mais la tragédie est inondée par le triomphe artistique. L’orage n’éclata pas, sauf dans l’amphithéâtre. Dehors le ciel est clair, au dessus de l’Avenue de Paris, l’index du roi solaire pointe dans le firmament une triade mystérieuse de force, sagesse et beauté.
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