Rechercher Newsletter  - Qui sommes-nous ? - Espace Presse - FAQ - Contacts - Liens -   - Bookmark and Share

 

mise à jour

6 janvier 2014

Editorial

Brèves

Numéro du mois

Agenda

Critiques CDs

Critiques concerts

Interviews

Chroniques 

Tribune

Articles & Essais

Documents

Partitions

Bibliographie

Glossaire

Quizz

 

 

Chronique Concert

Vinci, Artaserse

Concerto Köln, dir. Diego Fasolis

Diego Fasolis - D.R.

Leonardo VINCI (1696 – 1730)

 

ARTASERSE

Opéra seria en trois actes sur un livret de Métastase, créé à Rome en 1730

 

Artaserse – Philippe Jaroussky

Arbace – Franco Fagioli

Mandane – Max – Emmanuel Cencic

Artabano – Daniel Behle

Semira – Valer Barna – Sabadus

Megabise – Yuriy Mynenko

  

Concerto Köln 

Direction : Diego Fasolis

11 décembre 2012, Théâtre des Champs-Elysées, Paris. Version de concert.

horizontal rule

Melon ou chocolat ? – la fable et l’Histoire

Chocolat ou melon, Leonardo Vinci a passé le Styx. Par des mains jalouses, par un certain penchant au plaisir et une folle course vers la vie. La flamme de son génie a vite consommé son enveloppe charnelle. Mais Leonardo Vinci a vu sa résurrection plusieurs fois tentée, notamment avec Antonio Florio et ses Turchini avec les désopilants Zite n’galera ou la splendide Partenope. Cette fois, c’est l’Artaserse, dépouillé heureusement de toute fantaisie plumassière et de perruques grotesques et meringuées, qui investissait le Théâtre des Champs Elysées. On se demande bien quelle aurait été la réaction de Gabriel Astruc cent ans auparavant s’il avait entendu cette musique en son théâtre. Le fond de la trame entre mélodrame et tragédie classique nous plonge quasiment dans l’académisme mais révèle une source profonde et claire d’émotions. Leonardo Vinci transperce ses personnages comme des papillons qu’il cloue à une partition fleurie et géniale.

La vitalité de l’Artaserse de Leonardo Vinci, épouse tout à fait les premières idées d’étonnement et d’innovation du rêve d’Astruc. Nous ne sommes pas simplement face à une œuvre détrempée de gazouillis et de virevoltantes vocalises, mais une modernité musicale, un mélange de dramatisme et de légèreté. Si Leonardo Vinci a cédé aux sirènes de la mode avec des virtuosités parfois convenues, l’émoi qui s’en découle n’est pas des moindres, au contraire, c’est une source intarissable.

Ce soir nous avons été comblés, malgré un léger manque de projection et surtout des microphones de salle éteints, ce qui ne simplifia pas la tâche des chanteurs. Après avoir triomphé à Nancy dans une version scénique, Leonardo Vinci a conquis Paris avec un casting sensiblement identique à l'exception du rôle d''Artabano. 

Comme évoqué dans la chronique du disque éponyme de cette soirée (Virgin Classics), Leonardo Vinci a signé avec Artaserse sa dernière œuvre, mais de loin la plus brillante. Quand on écoute la Partenope on a la sensation parfois d’un léger anachronisme stylistique. Une sorte d’œuvre encore composite et en balbutiement. La veine comique de Vinci est brillante et tant Les Zite et Lo Cecauto Fauzo sont des purs bijoux. C’est de même que les quelques cantates qu’il composa pour la cour de Madrid telles Erighetta et Don Chilone ou "Triste ausente en esta selva" d’une adaptation stylistique au langage, d’une verve à la fois touchante dans le comique et puissante dans le pathos. Quelques exemples qui illustrent bien le génie de ce grand compositeur oublié sont l’air "Vedovella afflitta e sola" qui ouvre l’Erighetta et Don Chilone (Disponible dans le CD "Napoli/Madrid" chez Naïve) ; l’ouverture et les airs "Men superba andra la sorte" et  "Vuol tornare alla sua sponda" de la Partenope ; l’air "In braccia a mille furie" de la Semiramide Riconosciuta  et bien entendu " Vurria adoventare un sorecillo", " Ammore dimme tu"  et "Negra mene" des Zite n’galera ou " Che bella n’zalatella" du Cecauto Fauzo (air de salade désopilant). Leonardo Vinci dans sa courte vie a passionné son temps, maintenant il est plus que temps qu’il passionne nos cœurs du XXIème siècle. 

La tâche n’était pas simple et grâce à l’équipe brillantissime de cette production et l’originalité de Michel Franck d’inclure cette rareté dans sa programmation, Leonardo Vinci a révélé sa musique au public parisien.  Cependant, gardera-t-on le souvenir de la musique phénoménale du maître napolitain ou bien songera-t-on davantage au kitschissime plateau de néo-castratti ? Certes, nous avons été comblés, mais cet événement pour le public, vraisemblablement, ce concert prit une allure d’un happening mondain plus que d’une recréation, d’un retour de l’odyssée de l’oubli. On se demande vraiment quel est le but précis du public de la musique baroque aujourd’hui. Si les phénomènes de conformisme se ressentent de plus en plus et ce qui est certain pour la musique dite "classique" (et ne l’était pas pour le baroque) c’est le snobisme issu des jeunes actifs, de plus en plus consommateurs et de moins en moins passionnés. La musique baroque, avant affaire d’outsiders, est devenue une sorte de manière de flatter le bobo et de rassurer l’investisseur. Triste réalité dans le ressenti en salle d’un concert.  Sic transit….

Ce soir au Théâtre des Champs Elysées, le plateau accueillit malgré tout une force exceptionnelle. 

Phalange riche de couleurs, de puissance et de raffinement, le Concerto Köln nous ahurit. On l'a déjà aperçu en effectifs plus fournis et on ne s'aperçoit guère que l’orchestre baroque paraît en petite formation tant il est riche en couleurs et variétés de timbres. L’étonnement ne fut pas tari en écoutant l’ouverture puissante et triomphante,l’inventivité du continuo et l’intelligence parfaite des instrumentistes avec les chanteurs. Nous saluons vivement la beauté du timbre et la justesse des cuivres !

Donnant une cohérence et un équilibre parfaits à l’orchestre, Diego Fasolis s'avère énergiqueet  précis. Nous apprécions son engagement auprès des chanteurs, tant dans la liberté qu’il laisse pour les da capi et la structure qu’il met en place pour les accompagner. Un réel chef.

Les surprises ne demeurent pas moindres côté solistes. Faire une chronique de concert est un exercice risqué. On ne peut pas être catégorique avec ce que les artistes nous offrent, c’est toujours une part d’eux qu’ils misent et qu’ils offrent à notre sensibilité. Depuis un moment nous reprochons à Philippe Jaroussky son manque d’investissement dramatique, son timbre un peu monochrome et parfois une incarnation trop pâle. Cependant, nous dûmes revoir notre jugement ce soir. Philippe Jaroussky a une très belle technique, une belle voix, ce n’est pas une découverte. Cependant, de bout en bout,  son rôle a été sublimé par une réelle prise de risque et une vraie incarnation. Artaserse est un rôle assez proche du Tito de la Clemenza, une sorte de monarque philosophe et juste. Philippe Jaroussky rend bien cette grandeur, cette âme généreuse et un réel investissement dans les da capi. Vraiment, nous avons été conquis, séduits en tout cas ce soir.

La palme revient évidemment à l’incroyable Franco Fagioli, sublime, inénarrable Arbace !  Que ce soit dans des airs pathétiques ou dans les fusées sidérantes des vocalisants  "Fra cento" et évidemment le tubesque "Vo solcando", Franco Fagioli a les aigus, les graves, l’équilibre, l’élégance et l’imagination. C’est un interprète d’exception qui a totalement conquis Paris.

Mais aussi, dans un rôle féminin, Max–Emmanuel Cencic a retrouvé le Théâtre des Champs-Elysées et nous a offert une prestation incroyable d’émotion et de puissance. Quelque peu effrayés par le fait qu’il était souffrant, nous craignions à une doublure et finalement, M. Cencic nous a conquis et ahuris totalement. Nous avons été émus par son incroyable "Se d’un amor tiranno", air pathétique, interprété avec une passion dévorante. La Mandane de Max-Emmanuel Cencic a aussi eu son moment humoristique quand à la fin, pendant la scène du poison, il fit état d’évanouissements et cris. Un vrai régal de théâtre.

Bien que dans le rôle terrible, mais très intéressant du perfide Artabano, Daniel Behle a eu du mal à démarrer. Des airs d’une difficulté redoutable et à la variété aussi chromatique que les évolutions du rôle ont été servis malgré tout avec un investissement certain. On peine à oublier sa prestation discographique, une des meilleures démonstrations que le ténor peut avoir un vrai rôle virtuose dans un opéra séria.

On a assez vanté les progrès de Valer Varna Sabadus dans son rôle de Semira, il nous offre des airs non seulement touchants par la grâce et l’équilibre de son timbre. Contrairement au disque, ici, en direct, sa diction italiennne reste très approximative et gâte sa prestation. La compréhension du texte est quasiment aussi importante que celle de la restitution de la partition. L’un ne va pas sans l’autre, l’intention nait du livret, l’émotion de la musique qui le colore. En d’autres termes, le texte est le cheveu, la musique est le ruban.  Il n’empêche que Valer Varna Sabadus nous a conquis totalement avec le sublime "Bramar di perdere" qui nous a tiré quelques soupirs.

Dans le rôle du général félon, le veule Megabise, Yuryi Mynenko est impérial. Incroyable découverte de l’écurie Parnassus. Le contre-ténor ukrainien réunit en lui la jeunesse, la beauté et la force interprétative.  Il nous épate dès qu’il se lance dans un air à vocalises.  Il se révèle incroyable dans "Sogna il guerrier"  sublime de virtuosité.  Un talent à suivre et à développer !

Après la dernière note, les applaudissements tus, nous quittions le théâtre d’Astruc en ordre mesuré. Qui aurait soupçonné qu’un jour la scène du Sacre du Printemps allait accueillir les volutes baroques de Leonardo Vinci. Et pourtant, un goût d’inabouti nous envahit. Après la douceur du melon, revient la morsure du poison, et sous le parfum du chocolat se cache l’inévitable amertume de l’arsenic. Les artistes nous offrirent Leonardo Vinci, le public le reçut, mais allait-il le rendre immortel ou faire passer son souvenir comme un vecteur pour célébrer les stars du moment ? La résurrection était là, indubitablement. L’Artaserse vécut assez longtemps dans l’oubli pour ne pas attendre encore quelques mois pour rendre à son créateur sa place dans la ronde infernale de Mnémosyne.  Réjouissons-nous et intégrons que "Perdre une partie de soi dans l’être aimé est la plus cruelle des douleurs."

Pedro-Octavio Diaz

Site officiel du Théâtre des Champs Elysées : www.theatrechampselysees.fr

Lire aussi :

4 novembre 2012 - Opéra national de Lorraine, Nancy : Leonardo Vinci, Artaserse, Philippe Jaroussky, Max-Emanuel Cencic, Juan Sancho, Franco Fagioli, Valer Barna Sabadus, Yuriy Mynenko, Concerto Köln, direction Diego Fasolis, mise en scène Silviu Purcärete

Leonardo Vinci, Artaserse, Philippe Jaroussky, Max-Emmanuel Cencic, Franco Fagioli, Valer Varna Sabadus, Daniel Behle, Yuriy Mynenko, Concerto Köln, dir. Diego Fasolis (Virgin Classics, 2012)

 

 

 

Affichage recommandé : 1280 x 800

Muse Baroque, le magazine de la musique baroque

tous droits réservés, 2003-2014