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Chronique Concert

Vivaldi, Giustino

I Virtuosi delle Muse,

dir. Stefano Molardi

 

 

Stefano Molardi - D.R.

 

Antonio Vivaldi (1673 – 1741)

 

Giustino

 

Giustino – Marina de Liso – Mezzo-soprano

Anastasio – Ileana Mateescu – Mezzo-soprano

Arianna – Maria-Grazia Schiavo - soprano

Leocasta – Sabina Puertolas - Soprano

Vitaliano – Ed Lyon - Ténor

Andronico – Varduhi Abrahamyan - Soprano

Amanzio /Fortuna – Lucia Cirillo - Soprano

Polidarte/ Vitaliano Seniore – Vincent Lesage – baryton

 

I Virtuosi delle Muse

Dir. Stefano Molardi

 

24 février 2012, Théâtre des Champs-Elysées, Paris.

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"Si celle-ci ne plait pas, je n’écrirai plus de musique"

Rome en 1724, sortait de près d’un quart de siècle de jeun opératique grâce au Pontifex Maximus Benoît XIII, issu de la prestigieuse lignée des Orsini, qui rétablit l’ouverture des scènes tels le Teatro Capranica. Son court règne verra un durcissement dogmatique avec la persécution des adeptes de l’Augustinus mais sera aussi une manne de tolérance pour les Arts et les Belles Lettres, puisque c’est sous son pontificat que le délicieux poète Juan de la Cruz sera canonisé, élevant désormais ses louanges mystiques depuis l’encens des autels.

Ce même encens, dit-on, a fait fuir le roux prêtre vénitien Vivaldi des autels de l’office. Asthmatique ou passionné, sa musique devint au tournant des premières décennies du XVIIIème siècle un phénomène seulement comparable au hit parade de nos artistes internationaux. Contrairement aux idées reçues, ce ne sont pas les sempiternelles Quatre Saisons qui étaient les plus plébiscitées à l’époque, ces concerti ne servaient littéralement que pour le plaisir des salons et pour "arrondir les fins de mois", c’est l’opéra qui rendait célèbre, et ouvrait les portes sublimes de la renommée.

Dans le livret de Niccolo Berengan, Giustino, cultivateur à l’esprit ardent,  reçoit la visite de la Fortune pendant son sommeil. C’est finalement une grande constante dans les livrets d’opéra baroque que la présence de la Fortune dans le sommeil des héros.  Le rêve de l’opéra porte toujours avec lui les vœux de la Fortune.

Nous avons été agréablement surpris par la programmation de cet opéra rarissime de la saison romaine de Vivaldi. Le Théâtre des Champs Elysées dans tout le lustre de sa tradition de redécouverte nous offre ce Giustino sous une mouture bien plus brillante que les anciennes reprises, notamment celle au disque par Alan Curtis (Virgin Classics, 2001). 

Malgré les péripéties étonnantes du livret et la longueur toute baroque de la partition, Giustino est un bijou extraordinairement bariolé, aux mille feux de la sensibilité baroque. Etonnamment Vivaldi déploie une palette protéiforme et variée en situations et aux riches chromatismes, très loin des poncifs qu’il emploiera par la suite.  Nous remarquons notamment les airs d’Arianna, d’Anastasio, de Vitaliano et ceux de Giustino dont le plus remarquable est "Ho nel petto un cor si forte".  Ce dernier air est un véritable bijou dans toute la musique baroque, puisque Vivaldi créé une ambiance particulière avec le psaltérion obligé qui accompagne les superbes émoluments des cordes qui rendent une atmosphère à la fois introspective et calme dans l’accomplissement des affects du rôle-titre. 

Et ce soir nous avons été charmés dans ce voyage au cœur de l’Histoire Byzantine par Stefano Molardi, Stéphane Guyonnet et les spectaculaires Virtuosi delle Muse, dont nous avions pourtant reçu des échos plutôt peu engageants lors de leur prestation versaillaise de novembre dans un "Paris Virtuose" sans imagination. Inspirés sans aucun doute par les neuf sœurs dont la ronde gracieuse est immortalisée sur les fresques du Théâtre des Champs Elysées, l'orchestre fait valoir cette fois-ci souplesse, réactivité et sensibilité dans le respect absolu du style et de la partition.

Marina De Liso © Migros Classics

Et c’est Vivaldi qui a gagné avec un casting d’exception. En incarnant le rôle-titre, la divine tragédienne Marina De Liso nous offre encore une fois son mezzo velouté, nuancé et virtuose dans cette partition riche d’émotions pour le rôle principal.  L'artiste possède en effet une voix qui se prête à merveille à l’émotion,  avec naturel, chaleur et la brillance, retrouvant ainsi les couleurs du rôle et la virtuosité de la partition. Alors que la folie commerciale s’empare de la torche contre-ténoristique pour enflammer les productions, seules des voix féminines comme celle de Marina De Liso atteignent les cœurs et embrasent les âmes, ce que les froides voix des néo-castrats ne font que plus rarement.

C’est avec une émotion très grande que nous avons enfin écouté la superbe voix de la magnifique Maria-Grazia Schiavo dans le rôle de l’Impératrice Arianna. Si elle nous a envoûté depuis très longtemps dans tous ses prises de rôle que ce soit dans le genre napolitain avec Vinci, Leo ou Pergolesi, ou bien chez Haendel dans une Partenope incroyable à Beaune, nous avons été totalement subjugués par la pureté, l’agilité et la beauté de sa voix. Alliant l’intelligence de son interprétation à la musique magnifique de Vivaldi, Maria Grazia Schiavo redonne vie à l’hiératique Impératrice du diptyque du Musée du Bargello.

Dans le vaste rôle de l’empereur Anastasio, nous découvrons la jeune Ileana Mateescu, qui campe le personnage avec bravoure, grâce et une surprenante et parfaite sensibilité. Si l’historien byzantin Johannes Malalas dit vrai, Anastase Ier, serait mort frappé par la foudre en 518. Près d’un millénaire et demi nous avons été frappés par les puissants éclairs qu’Ileana Mateescu a fait resurgir de la partition.

Dans le rôle un peu plus discret d’Andronico, Varduhi Abrahamyan nous surprend avec un legato multicolore et sensible et une grande imagination dans les reprises et l’ornementation, tout comme Sabina Puértolas qui campe une Leocasta aux accents poétiques, sensibles et énergiques et qui nous donne envie d'entendre de nouveau le talent de cette nouvelle génération d’artistes baroques venus des Ibéries.

Avec le double rôle de la Fortune et du traître et calculateur Amanzio, la sensible Lucia Cirillo nous ravit totalement avec des couleurs splendides et une maîtrise technique hors pair, vivant le rôle difficile d’Amanzio avec énergie et pugnacité.

Sans conteste la surprise de la soirée fut le ténor Ed Lyon dans le rôle du "méchant" Vitaliano. Certes, nous avons été assez réservés sur ses prestations dans la musique française et chez Haendel, mais chez Vivaldi, contrairement à bien de ténors qui deviennent grotesques ou falots, Ed Lyon nous offre des purs moments de poésie, d’enthousiasme et de grandeur, et nous rendons solennellement hommage à un chanteur qui a su mettre en avant son naturel et qui a livré une prestation hors pair, une belle voix, une très belle présence scénique et un investissement efficace et brillant.

Enfin, Vincent Lesage incarne le cruel Polidarte et le tout petit rôle de la voix spectrale de Vitaliano Senior.  Son grave velouté, puissant et une présence théâtrale au jeu très intelligent donne à ses rôles, à l’origine purement figuratifs, une envergure nouvelle.

Dans le très fréquenté Musée du Louvre, ce sont les salles médiévales qui referment des trésors souvent ignorés par le flot constant de touristes et de visiteurs. C’est au milieu de ce département, côtoyant les colonnes de l’antique Basilique Saint-Pierre, les joyaux de la Couronne de France et l’épée "Joyeuse" que se trouve l’ivoire Barberini. Pur chef d’œuvre de l’art byzantin tardif, le panneau représente un Basileus à cheval au sourire triomphant.  Selon les historiens ce serait Anastase Ier ou bien Justin Ier, deux des grands monarques qui redonnèrent à l’Empire Grec la grandeur qui se délitait. Peut-être qu’avec les merveilles techniques, un visiteur perdu, traine ses pas devant cet ivoire esseulé, avec sur les oreilles un casque, et le divin Vivaldi pourra faire parler les volutes éléphantines, et en se penchant un peu sur la vitrine on pourra écouter battre sous l’armure "un cor si forte" aux accords du psaltérion et des violons.

Pedro-Octavio Diaz

Site officiel du Théâtre des Champs Elysées : www.theatrechampselysees.fr

 

 

 

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