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20 janvier 2014

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Genre : œuvres pour clavier

Jean-Sébastien BACH (1685-1750)

Toccatas

Toccata BWV 912 D-dur
Toccata BWV 913 d-moll
Toccata BWV 916 G-dur
Toccata BWV 911 c-moll
Toccata BWV 915 g-moll
Toccata BWV 914 e-moll
Toccata BWV 910 fis-moll

 

Noëlle Spieth, clavecins Emile Jobin d'après Fleischer (1710) et Goujon (1749).

 

62’24, Eloquentia, 2012.

 

 

Le mineur lui va si bien...

On a tendance à réduire Noëlle Spieth à la musique française. Son intégrale des pièces de Rameau ou de Couperin Le Grand (Solstice), sans compter celle de Louis Couperin (Ades), ont marqué les esprits par leur engagement, leur savant équilibre entre intériorité et chant, leur variété de climats, leur discrétion troublante, doublée d'une technique sans faille. Nous avions été toutefois été déçus par la transcription pour clavecin seul des pièces de clavecin en concert de 1741 (Eloquentia), peut-être plus par le matériau lui-même que par l'interprétation d'ailleurs. Revoici donc l'artiste chez Bach, et dans les difficiles Toccatas, ce genre capricieux et mouvant, à la structure complexe et changeante, où la surprise le dispute à l'imagination et à la virtuosité. Nous ne reviendrons pas sur la structure de chacune des œuvres, parfaitement étudiée par C. Himmelfarb dans les notes de programme. Les Toccatas de Bach, c'est un monde en soi que chaque claveciniste se doit de reinventer, insufflant sa cohérence et sa vision à ces épisodes touffus et remuants liés entre eux par le fil ténu de la tonalité.

C'est exactement ce que fait Noëlle Spieth, dans l'un de ses enregistrements les plus spectaculaires, incroyable de couleur, et de puissance évocatrice. De son jeu alliant la profondeur contrapuntique à l'intimité de la confidence, sachant glisser au détour de quelques mesures un brin de causerie claudicante couperinienne (Toccata BWV 915) mais capable du bouillonnement le plus sanguin comme de la gravité la plus angoissée (ouverture de la Toccata BWV 914 puis jouissive fugue d'un entrain démesuré), Noëlle Spieth campe autant d'atmosphères et de climats qu'elle fait de ces Toccatas un voyage presqu'éprouvant tant il est riche. Prenons la BWV 913 et ses premières mesures cuivrées, cette main gauche sévère, tandis que la droite dévale encore et encore les touches avec une aisance éloquente, ces imperceptibles retards, cette manière bien à elle qu'a Spieth de soudain tourner la page comme on enlève sa perruque, de plaquer soudain au détour d'un accord de nouvelles couleurs. Voici le contraste caravagesque mais sans violence, l'abondance sans la surcharge car le discours est mûrement réfléchi, tenu, dirigé, d'une clarté presque brûlante et porteuse de sens. Vous autres lecteurs ne comprendrez peut-être guère nos propos incohérents, nous accusez peut-être de surinterprétation, d'envol inconsidéré, voire d'abus de substances illicites. Ecoutez, et jugez.

Il faut en effet convenir que le clavier de Noëlle Spieth n'est pas bien tempéré, et que ses courbes et contre-courbes, sa fusion des styles, la brillance des timbres, la précision du toucher, l'impression d'éternel renouvèlement, de griserie et de perdition que sa lecture procure est incroyablement difficile à décrire, sans même parler de l'analyser. Et disons-le tout net, nous ne le souhaitons pas forcément : un peu de lapis-lazuli, de terre de sienne et de minium ne fait pas un Leonard de Vinci... Alors, nous avouons notre défaite à l'idée d'expliquer en quoi nous sommes transportés par la vigueur irrésistible de la BWV 911, implacable marche vers un horizon lointain et à la route semée d'embûches avec son immense fugue, vautrée dans un hédonisme sonore d'une opulence quasi orchestrale, où le thème hypnotique finit par hanter l'auditeur. C'est d'ailleurs dans les diverses fugues conclusives - nos passages favoris - que Noëlle Spieth excelle, martelant les motifs, étoffant les voix, bâtissant sa cathédrale de lignes, combinant et recombinant les lignes sans que jamais l'ensemble, d'une complexité sans nom, n'en devienne confus ou d'une froide verticalité.

Alors pour conclure, nous nous sommes égarés dans ses Toccatas, saisissant la main de cette Messagère qui nous porta de monde en monde. Peu de gens peuvent prétendre avoir voyagé sur le sautereau d'un clavecin. Avec Noëlle Spieth, c'est fait.

Viet-Linh Nguyen

Technique : excellente captation, très colorée et sans bruits mécaniques.

 

 

 

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