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6 janvier 2014

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Chronique Concert

Haendel, Orlando,

Le Concert d'Astrée, dir. Emmanuelle Haïm direction,

mise en scène David McVicar

Haendel, Orlando - mise en scène David McVicar © Alvaro Yanès

 

Georg Friedrich HAENDEL (1685 - 1759)

Orlando

Opéra en trois actes sur un livret d’après Orlando furioso de l’Arioste. Créé en 1733

 

Sonia Prina Orlando

Henriette Bonde-Hansen Angelica

Stephen Wallace Medoro

Lucy Crowe Dorinda

Nathan Berg Zoroastro

Danseurs Paul Chantry, Emma Cole, Valeria Giuga, Henrik Jessen, Sébastien Quemere, Colm Seery,

Sirena Tocco Khalatian

 

Le Concert d’Astrée

Direction musicale Emmanuelle Haïm

 

Mise en scène David McVicar

Scénographie et costumes Jenny Tiramani

Lumières Davy Cunningham

Chorégraphie Andrew George

Chefs de chant Philippe Grisvard, Yves Castagnet

Assistant à la direction musicale Iñaki Encina Oyón

Assistante à la mise en scène Marie Lambert

 

Coproduction Opéra de Lille, Théâtre des Champs-Élysées (Paris), Opéra de Dijon

 

5 novembre 2010, Théâtre des Champs-Elysées, Paris

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"Le scélérat a ses vertus, comme l'honnête homme a ses faiblesses." (Choderlos de Laclos, Les Liaisons Dangereuses)

Après son mémorable Giulio Cesare, l’une des productions haendéliennes les plus convaincantes de ces dernières années, David McVicar nous revient pour l’un des opus les plus riches et les plus originaux de la production du Caro Sassone, foisonnement chatoyant et inspiré culminant avec sa scène de folie d’une liberté formelle troublante et ses rythmes en 3/8 d’une audace iconoclaste.

 

David McVicar n’a cette fois-ci pas insufflé un parfum épique et grandiose à un livret qui se prête moins à la géopolitique guerrière. Évacuant l’aspect magique du livret, le metteur en scène a donc choisi de situer l’action dans un XVIIIème siècle éclairé, où Zoroastre se transmute en savant chirurgien plongé dans son cabinet de curiosités en pleine dissection dès la première scène nimbée d'un clair de lune nacré. L’opulence des décors comme des costumes n’est pas sans rappeler celles des Liaisons Dangereuses de Stephen Frears, comme plusieurs de nos confrères l’ont également fait valoir. C’est donc dans l’intimité luxueuse d'alcôves, de salons, et même d'un théâtre dans le théâtre que les intrigues amoureuses se nouent, sous la houlette d'un Cupidon tout de strass vêtu réminicent de celui, écarlate, de la Sémélé du même metteur en scène.

 

On louera la beauté visuelle de l’ensemble, qui oscille entre le faste d’un Ancien Régime chancelant sous les remises en causes des Lumières et de la science, et quelques séquences oniriques très poétiques comme l'incroyable scène de folie où Orlando en proie à des visions d'horreur se trouve cerné par les pantomimes menaçantes de laquais à tête animales sur fond d'incendie. Ce parti-pris resserré autour de la psychologie des personnages, permet une tension dramatique tout aussi forte que dans l’épisode césarien, le bruit et la fureur des têtes tranchées et des prisonniers laissant la place aux troubles psychiques du paladin. La direction d'acteurs est également à louer, avec des postures et une gestuelle soignées, de même que les lumières douces et dorées de Davy Cunningham. A la fois décoratif dans son premier acte libertin, plus profond dans son second acte où le badinage cède la place à l'émotion, et désespéré dans un 3ème acte qui part à vau l'eau dans un décor ravagé, cet Orlando a su marier élégamment modernité et tradition, et prouve de manière éclatante que revêtir les artistes de plastrons de cuirasse et les ceindre d'une épée n'est pas d'une vanité facile et ringarde. Tout au plus se demandera t-on si l'intrusion du Cupidon était vraiment nécessaire, d'autant plus qu'il distribue des cœurs à paillettes et autres gadgets distrayants aux protagonistes, de même que la saynète érotisante qui défile derrière le "Lascia amor e segui marte" avec ses corsets et son travesti.

Haendel, Orlando - mise en scène David McVicar © Alvaro Yanès

 

Sanglée dans son buffle et le plastron de cuirasse aux reflets d’acier, Sonia Prina campe un preux viril et fier grâce à son timbre superbement androgyne, dévalant les coloratures, se jetant corps et âme dans des da capos risqués tel le fameux "Fammi combatere". La voix est agile, cuivrée, d’une spontanéité parfois un peu brute, l’incarnation inspirée. Si certains de nos voisins se sont élevés contre des graves un peu "poitrinants", et des écarts dans les départs, ces menus défauts ne peuvent faire oublier une incarnation entière et fière, d'une androgynie troublante, et où le chevalier prend le pas sur l'amoureux même dans les airs galants (cavatine "stimulato della gloria"). La scène de folie, erratique et amère, puis la délicatesse résignée du "Gia l’ebro" achèvent de remporter l’adhésion.

L'Angelica d'Henriette Bonde-Hansen délicieusement mozartienne dans ses phrasés, a d'abord paru un peu en retrait dans lors du marivaudage du premier acte, dénotant un vibratello et une lecture appliquée ("Chi possessore e del mio cor") avant de prendre son envol dès lors que l'action se précipite. Drapée dans une dignité noble, le regret pudique, la soprano délivre un "verdi piante" émouvant et relâché qui contraste avec le carcan social qui l'environne. Son amant Medoro, dépeint comme un aristocrate veule et superficiel, un peu lâche et pour tout dire assez goujat revient à un Stephen Wallace qui manquait de projection et à l'émission fragile, ce qui correspond à la psychologie du personnage qu'il doit endosser. On notera toutefois un poétique "verdi allori".

Enfin, Lucy Crowe, impériale, rehausse sa Dorinda (devenue servante ici) d'un second rôle un peu plat au seul personnage franc et véritablement amoureux de l'œuvre. D'une voix tour à tour sensuelle ou espiègle, d'une sensibilité rare, variant les registres et les ornements, d'une aisance et d'une égalité sur toute la tessiture  ("Poverà me" presque vénitien avec ses glissandi comiques, "Quando spieghi" tragique), la soubrette avait ce soir-là tout d'une grande dame.

Hélas, alors qu’Orlando est l’un des rares opéras italiens de Haendel où la basse remplit un rôle si présent, la mage de Nathan Berg au timbre résonnant et à la projection forte s'avère trop imprécis et n’a pas su atteindre les étoiles qu’il tente de déchiffrer dès son arioso introductif. Cela est d’autant plus dommage qu’Haendel lui destine des airs magnifiques "Lascia amor", "Sorge infausta" aux mélodies carrées particulièrement dynamiques.

Dans la fosse, le Concert d’Astrée dirigé d'une main de velours dans un gantelet d'airain par Emmanuelle Haïm, se gorge de couleurs instrumentales depuis les cuivres aux violes d’amour. Volubile, vif et percutant, doté d’une basse continue musclée, l’orchestre vibre avec les protagonistes, soutient le drame, dialogue avec les chanteurs sur un pied d’égalité, retient son souffle lors de da capos étourdissants, pour faire de cette hymne à la démence un opéra de folie.

Viet-Linh Nguyen

Site officiel du Théâtre des Champs Elysées : www.theatrechampselysees.fr

Site officiel du Concert d'Astrée : www.leconcertdastree.fr

 

 

 

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